«Un seul être vous manque et tout est dépeuplé»
Alphonse de Lamartine
Le khalife général des mourides, dernier de la branche filiale de Cheikh Ahmadou Bamba s’est éteint à l’âge de 92 ans dans la nuit du 28 au 29 décembre 2007. Le dernier fils de Serigne Touba, connu pour son abstraction des contingences matérielles, était un homme multidimensionnel. Si on est arrivé à faire de lui la réincarnation de Serigne Touba, cela procède du fait qu’il a pu être la synthèse des quatre khalifes qui l’ont précédé tant sur le plan spirituel que temporel. L’ardeur et l’amour de Serigne Moustapha, premier khalife de Serigne Touba, des travaux champêtres se retrouvent chez Cheikh Saliou. S’inspirant de son père qui disait dans l’exorde du khassaïde Mouhaibou «Prie Dieu comme si tu devais mourir demain, mais travail comme si tu ne devais jamais mourir» Serigne Saliou vouait un culte sans limite au travail, lequel travail sanctifiant permet d’impétrer l’agrément de Allah le Tout-puissant.
Le soufisme et le talent de bâtisseur de Serigne Fallou ont été des traits de caractères du cinquième khalife de Serigne Touba. La vision moderniste de Serigne Abdou Lahat qui a doté la ville d’infrastructures modernes (telles que l’érection d’un grand marché, le lotissement de Touba, l’implantation d’une gendarmerie pour traquer les bandits et vendeurs de drogues et de boissons alcoolisées, l’interdiction de fumer dans et l’élargissement de la grande mosquée) s’inscrit en droite ligne avec celle incarnée par Serigne Saliou.
Il a achevé les travaux de l’université Al Ahzar d’une capacité d’accueil de 5000 étudiants, modernisé la bibliothèque Touba et implanté de nombreux daaras à travers le pays pour la vulgarisation de l’enseignement islamique. L’érudition, l’amour et la connaissance insondable du Coran de Serigne Abdou Khadre sont des vertus cardinales chez Serigne Saliou. Le prénom de Saliou ne signifie-t-il pas vertu ?
Mais le plus de Serigne Saliou par rapport à certains de ses frères khalifes, c’est son équidistance vis-à-vis de la chose politique. Quand il étrennait son khalifat, il avait fait une profession de foi dans son discours inaugural fort retentissant : «Hormis l’Islam et par conséquent la gestion de l’héritage de Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba, rien ne saurait retenir son attention, encore moins susciter de sa part commentaires ou directives quelconques».
Des khalifes comme Serigne Fallou et Serigne Abdou Lahat étaient connus, à juste raison, pour leur collaboration ostensible avec le pouvoir socialiste. Ce qui n’a jamais été le cas du vénéré guide que fut Serigne Saliou avec le régime politique libéral sous son khalifat. Il avait la même attitude à l’endroit de tout le monde syndical, politique comme civil parce qu’il voyait en chacun un talibé de Serigne Touba ou un esclave de Dieu.
Ce comportement neutraliste faisait de lui un régulateur et un stabilisateur social. Serigne Saliou s’était détaché des choses matérielles parce que, pour lui, seule la parole divine mérite un intérêt. Ascète, il restait souvent enfermé travaillant jours et nuits avec le souci obsessionnel de la perfection en se soumettant à Dieu. Les recommandations puisées du saint Coran de Dieu, de la Sunna de Mahomet et des khassaïdes de Serigne Touba, il les traduisait par ses réalisations terrestres concrètes, visibles et profitables à tous les Sénégalais.
Il savait qu’on ne peut pas conduire les hommes vers Dieu sans passer par la terre c’est-à-dire sans travailler à la sueur de son front. Puisque le travail sanctifiant est le premier acte de la croyance en Dieu. C’est ce qui explique l’exploitation de l’espace agricole moderne des 45000 hectares de Khelcom qui, pourtant, avait poussé certains mauvais esprits rétifs au progrès à élever des voix protestataires et à manifester des grincements de dents sur le projet agricole révolutionnaire du khalife. Aujourd’hui, les Sénégalais se sont rendu compte de l’utilité de Khelcom dans le combat pour l’autosuffisance alimentaire.
Les nombreux “daaras”, auxquels sont adjointes des structures connexes qu’il y a implantés et partout dans le pays, montrent à quel point le Cheikh tenait à l’éducation islamique des enfants. Rien qu’à Khelcom, de son vivant, on y comptait 15 centres d’éducation et un centre de santé moderne avec des soins gratuits pour la population locale. En cela, Khelcom constitue une un pôle agricole et culturel mettant en relief le triptyque : enseignement, éducation et travail sanctifiant.
La ville de Touba aura connu sous son khalifat une modernité sans faille. La mosquée a subi une extension en faisant peau neuve. Le réseau hydrographique et électrique de la sainte ville a été amélioré. L’urbanisation de Touba est devenue une réalité avec ses nombreuses routes bitumées et soigneusement compassées en plus de 110 mille parcelles loties.
L’érection d’un hôpital moderne et des structures de santé en appoint font que la ville de Touba jouit de toutes infrastructures d’une ville moderne. Les 10 milliards, débloqués pour la deuxième capitale démographique du Sénégal, ont fini d’achever la vision moderniste du cinquième khalife des mourides.
Apôtre de l’Islam et du mouridisme, altruiste, humaniste, éducateur, régulateur, bâtisseur, agriculteur, acteur de l’économie, voilà Serigne Saliou Mbacké. Et comme disait Lamartine louant le prophète Mahomet (PSL), «à toutes les échelles que l’on mesure la grandeur humaine, quel khalife fut plus grand que le sceau des fils de Serigne Touba ?»