Thierno Alassane est l’invité spécial des rédactions de Walf Tv et Walf Quotidien. Dans un entretien à bâtons rompus, l’ancien Dg de l’Artp, ex-ministre des Infrastructures, puis du Pétrole aborde les différents contentieux qui ont jalonné son passage dans les hautes sphères de l’Etat, sur son choix de consigner tout cela dans un livre et bien d’autres choses. Aujourd’hui et demain, en deux jets donc, la rédaction vous en donne la quintessence.
Walf Quotidien : Pourquoi le choix d’écrire un livre ? Une envie de faire mal ? De se venger ? Ou de trahir des secrets d’Etat ?
Thierno Alassane SALL : Ni l’un, ni les autres. C’est une sorte de bilan d’étape d’un Sénégalais né après les Indépendances. Qui a grandi dans un contexte de foi au développement de l’Afrique et particulièrement du Sénégal et de l’Afrique. On parlait des Nations en voie de développement. Aujourd’hui, on constate tous que ce terme a même disparu. Tellement notre stagnation économique et notre régression sociale sont frappantes. Soixante ans après les indépendances, il m’était venu de faire une sorte de bilan tout en essayant d’expliquer les raisons pour lesquelles on en est là. Ce, après avoir vécu comme haut cadre dans l’administration, directeur général, ministre, etc.
Et le moment choisi ?
Le livre devait sortir en mars, n’eut été la Covid-19. C’était pour pouvoir susciter le débat autour des indépendances africaines. Le titre, lui-même, Protocole de l’Elysée, renvoie à cette notion d’accords secrets qui existeraient entre les pays africains nouvellement indépendants de la France et qui permettraient à cette dernière d’avoir accès facile, illimité, sans réserve, aux ressources, aux territoires, à travers les bases aériennes et que notre souveraineté ne serait pas totale. Le chapitre qui me plait le plus et à d’autres qui l’ont lu et m’ont fait le retour, est celui consacré à ceux qui ont refusé l’indépendance. On parle très peu du contenu du livre pour le caricaturer. Il y a un chapitre où j’essaye de faire le point de De Gaulle en 1958, pour le référendum que nous avons choisi avec les pays de la zone occidentale.
(…)
Né après les indépendances, vous avez assumé les responsabilités. Serez-vous prêt à assumer votre part ?
J’assume ma part. Le livre l’a admis. C’est un constat d’échec…
De qui, de vous-même ?
De nous tous. De notre génération, même de nous qui étions dans le projet de l’APR qui avions promis le Yonnou Yokkuté, la «gestion sobre et vertueuse». On ne peut tout coller sur un seul homme. Si nous avions tous fait collectivement face à cet homme, je veux dire le président de la République, il n’aurait pas pu s’imposer aussi facilement. Nous avions collectivement porté et défendu les idéaux qu’on prétendait être les nôtres. Si on avait fait front, il n’aurait pas pu imposer si facilement la continuation du système de Wade.
Au moment où vous y étiez, hormis vos responsabilités administratives, dans les positions que vous aviez eu à défendre au niveau du parti, est-ce que vous aviez eu les postures qu’il fallait ?
Absolument ! Je donne des exemples à certaines occasions dans le livre. Mon premier départ du gouvernement aurait pu intervenir en 2013, dans les premiers mois si je ne m’abuse. C’était sur l’affaire de l’autoroute à péage. Cela a été confirmé par le Premier ministre Abdoul Mbaye chez un de vos confrères. Il a déclaré que je lui ai présenté ma démission sur les accords de l’autoroute à péage. L’histoire me donne raison sur ce sujet. Je donne des exemples. Donc, chaque fois qu’il a fallu ouvertement – pas à l’intérieur où les divergences se gèrent – prendre position, je l’ai fait, notamment en tant que responsable des cadres de l’Apr. Nous avons sorti une déclaration, en 2015, quand il se susurrait déjà que le Président voulait revenir sur sa promesse de faire un mandat de cinq ans. Nous avions fait une déclaration pour dire que le respect de la parole donnée est sacré. Le président de la République a l’obligation de respecter sa parole. C’est l’un des engagements fondateurs de l’APR, c’est-à-dire le Dekkal Ngor qui a comme point d’ancrage le respect de la parole. Quand il a voulu défendre la transhumance à Kaffrine, le week-end d’après, je suis allé à Thiès pour dire que la transhumance est une abomination. Que je n’entends même pas envisager un jour, démarcher des gens de Rewmi. Un autre exemple qui me vient en tête est la menace d’interdire la marche de Y en a marre. Des voix de l’APR se sont élevées pour essayer de vouer aux gémonies Y en a marre. Avec Moustapha Diakhaté, nous avons dit que nous nous inscrivions totalement en porte à faux avec toute interdiction, parce que nous mêmes, nous marchions avec Y en a marre face au même ministère de l’Intérieur qui interdisait les manifestations. Aujourd’hui, les rôles semblent inversés, on utilise les mêmes arguments. On ne peut pas me faire le procès de n’avoir rien dit sur les grands dossiers qui concernent l’intérêt supérieur de la nation.
Justement les grands dossiers, parlons-en ! Le parquet avait lancé un appel à témoins après la publication de ce fameux reportage de la BBC. Est-ce que vous aviez répondu à cet appel ?
Je suis allé me présenter à la Dic par respect à la police. Mais, je n’ai pas fait de déposition. Après, ils m’ont demandé de l’écrire sur le PV. J’ai dit que le fait de l’écrire sur PV vaut caution de leur démarche. J’ai refusé de déposer pour trois raisons. Premièrement, le ministre de l’Intérieur de l’époque se trouve être Aly Ngouille Ndiaye, l’un des principaux suspects dans cette affaire. Comment il peut être ministre de l’Intérieur et qu’on lui rende compte de ma déposition ? Deuxièmement, les premiers qui devaient être convoqués si on veut être dans une démarche cohérente d’établissement de la vérité, ce sont le principaux suspects à savoir Abdoulaye Wade, Karim Wade, Macky Sall – dont on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure il peut être appelé à donner sa version – et Aly Ngouille Ndiaye. Ce sont eux les principaux acteurs de cette situation. Ça, c’était pour la forme. Dans le fond, cette enquête, je le dis avec toute la désolation nécessaire, traduit le fait que notre justice est instrumentalisée. C’est pourquoi je parle de système mafieux où c’est la loi du silence et du plus fort qui règne. Je m’explique : le rapport de l’Ige était du domaine public. Si la BBC a pu y avoir accès, le procureur a pu en faire de même. Il a accès à toutes les informations. Il doit pouvoir se servir de ça comme pièce, comme premier élément, pour pouvoir conduire son enquête. Ils ont nié, fait croire aux Sénégalais que ce rapport dont ils ne peuvent nier l’existence, n’a pas été reçu par le président de la République. Sur quoi se fondent-ils pour tirer une conclusion qui n’aurait du résulter que d’une enquête sérieuse ? Le ministre s’est fendu d’un communiqué en juin, jour de la Korité, pour dire que le président de la République n’a pas reçu le rapport et qu’on va faire une enquête qui serait confiée à la section de recherche pour pouvoir établir pourquoi il n’a pas reçu. Un an et demi après, on n’a toujours pas les conclusions de cette enquête. On ne sait pas toujours pourquoi le président de la République n’a pas reçu le rapport de l’Ige. C’est la preuve la plus patente que c’était un stratagème délibérément organisé pour pouvoir noyer cette affaire.
Il y a eu le rapport de l’Ige mais aussi le «faux rapport» de présentation diligenté par les services du ministère de l’Energie et dont vous parlez dans votre livre. Vous en avez connaissance en tant que ministre de l’Energie, mais vous n’en parlez pas publiquement. Qu’est-ce qui justifie cette attitude ?
Terminons d’abord avec le rapport de l’Ige pour vous démontrer la conspiration du silence qui m’a amené à parler. En réalité, quand on dit «il révèle des secrets d’Etat», ce n’est pas cela. Je révèle une conspiration d’Etat. Aussi bien la Constitution que les lois du pays, notamment celle du 22 septembre 2012, promulguée par Macky Sall, fait obligation à tout agent de l’Etat ou fonctionnaire qui est au courant de concussion, de fait de corruption, d’en parler. C’est mon cas. Je suis dans l’obligation de parler si je constate une conspiration. Concernant toujours ce rapport, le Dg de Petrosen et certains collaborateurs directs que j’avais au niveau du ministère ont été interrogés par l’Ige. C’était en 2012. Ils ont déposé par écrit et signé des éléments qui tendent à démontrer que, non seulement Petrotim n’était pas compétente pour pouvoir disposer des permis sur Rufisque Offshore profond et Kayar Offshore profond, mais également que tout a été frauduleusement fait, puisque antidaté. Parce que Petrotim a été créée le 19 et les contrats ont été signés le 17 ! Il y a suffisamment de convergences et de faits connus par ces personnes. Quand je deviens ministre, je les interroge, parce que je suis perturbé par les rumeurs. Mais, également, par le fait que Timis est une entreprise crépusculaire, fantomatique qui ne participe pas aux réunions, ni au financement.
Vous avez pu constater, en tant que ministre, qu’il n’y a pas trace de Timis ?
C’est la seule entreprise parmi toutes celles qui étaient dans le secteur des hydrocarbures, parce qu’on avait découvert du pétrole à Sangomar. Toutes les entreprises concernées venaient me voir régulièrement pour me faire le point. Sur Rufisque et Kayar, seule Cosmos se présentait. Timis était dans le temps du noir. Quand j’ai interrogés mes collaborateurs sur Timis, ils feignaient de n’en savoir pas plus que moi. Alors qu’ils ont été interrogés par l’Ige. Cela veut dire qu’on les a instruits de se taire, parce que tout ce beau monde ne peut garder le silence. Cela veut dire qu’on leur a dit de ne jamais mentionner le rapport de l’Ige. Quand on prétend que le rapport de l’Ige n’a pas été reçu par le président de la République ; quand on dit que ce dernier a «oublié» de même que le Directeur de cabinet, ça devient une amnésie organisée. Le premier qui aurait pu en être victime, c’est le ministre de l’Energie qui vient d’arriver, nageant, au début, en pleine confiance que tout allait bien et qui, au fur et à mesure, découvre qu’on lui cache des choses. Est-ce que c’est cela une République ? Le dire, est-ce révéler des secrets ?
Vous avez pu constater, en tant que ministre, qu’il n’y a pas trace de Timis ?
C’est la seule entreprise parmi toutes celles qui étaient dans le secteur des hydrocarbures, parce qu’on avait découvert du pétrole à Sangomar. Toutes les entreprises concernées venaient me voir régulièrement pour me faire le point. Sur Rufisque et Kayar, seule Cosmos se présentait. Timis était dans le temps du noir. Quand j’ai interrogés mes collaborateurs sur Timis, ils feignaient de n’en savoir pas plus que moi. Alors qu’ils ont été interrogés par l’Ige. Cela veut dire qu’on les a instruits de se taire, parce que tout ce beau monde ne peut garder le silence. Cela veut dire qu’on leur a dit de ne jamais mentionner le rapport de l’Ige. Quand on prétend que le rapport de l’Ige n’a pas été reçu par le président de la République ; quand on dit que ce dernier a «oublié» de même que le Directeur de cabinet, ça devient une amnésie organisée. Le premier qui aurait pu en être victime, c’est le ministre de l’Energie qui vient d’arriver, nageant, au début, en pleine confiance que tout allait bien et qui, au fur et à mesure, découvre qu’on lui cache des choses. Est-ce que c’est cela une République ? Le dire, est-ce révéler des secrets ?
Maintenant, revenons au faux rapport de présentation. Il a été élaboré. Les personnes avec qui je travaillais à l’époque le savaient. J’étais le seul à ne pas être au courant que Petro-Asia était une pure invention. Que quand Petrotim, l’investisseur leader, arrivait, il avait soit disant 10 %. Et tout d’un coup, au moment de faire le rapport de présentation au mois de mai, lorsque les documents remis par Aliou Sall présentent Timis corporation comme actionnaire leader à hauteur de 10 % de Petrotim, quelque deux semaines après, quand Aly Ngouille rédige les rapports de présentation, une entreprise, sortie de nulle part, Petro-Asia devient la maison mère sans qu’il n’y ait aucune transaction ou document qui en attesterait la réalité. On est dans le cas du faux délibéré. Les gens avec qui je travaillais le savaient, mais ne m’ont jamais rien dit. Le procureur a entendu parler du faux rapport de présentation. La règle de l’art en matière d’enquête d’après ce que j’en sais en tant qu’auditeur certifié international de l’aviation civile et qui a travaillé dans énormément de pays, c’est de réunir tous les indices et d’essayer de les décrypter. En ce moment, vous avez des questions pertinentes et cohérentes à poser quand vous rencontrez les témoins.
Vous citez quelques accrochages connus de tous pratiquement du temps où vous étiez ministre. Ce livre nous permet aussi de découvrir que quand vous étiez cadre à l’Asecna, il y a eu des accrochages avec Farba Senghor, sous le régime d’Abdoulaye Wade. Thierno Alassane Sall ne comprend pas notre société ou c’est le contraire ?
Je suis constant. Celui qui lit le livre peut attester, contester la validité de telle ou telle thèse, mais il y a une certaine constance. Ma position, non négociable, c’est la défense les intérêts du Sénégal. C’est ce qui semble être aussi les principes et les lois qui défendent la République. Souvent on dit : «Il n’est pas d’accord avec les gens.» Ce qu’on oublie de préciser, c’est que j’ai eu souvent la loi de mon côté. C’était un problème d’interprétation subjective de la loi, des goûts et des couleurs, on peut dire que c’est peut-être lui qui a des problèmes, des goûts daltoniens, bizarres. Sur les affaires Petrotim, Asecna et autres, c’est avant tout une question d’interprétation de la loi. Avec des éléments à l’appui, je trouve que j’ai la loi de mon côté.
Vous est-il arrivé d’avoir la loi contre vous, de le reconnaitre et de passer à autre chose ?
J’essaie souvent d’éviter d’être du mauvais côté de la loi. En tant que citoyen, responsable, mon obligation, c’est d’observer la loi. Ceux qui la transgressent, le font avec des objectifs d’avoir des intérêts précis. En février 2016, un de vos confrères me disait : «On vous peint sous les traits d’un rebelle, d’un guerrier.» Je lui réponds que les lois de la République sont faites pour être observées. Se rendre complice de violation de la loi de manière délibérée juste pour qu’on ne vous dise pas que vous êtes compliqué, que vous êtes souple, vous en répondrez devant la justice d’ici-bas ou devant Dieu, demain.
Vous caricaturez Wade dans votre livre comme étant un éléphant dans un magasin de porcelaine. Vous avez pratiqué Macky Sall de l’intérieur. Si vous aviez à les comparer en ce qui concerne leur rapport à la norme, lequel est beaucoup plus à cheval sur les règles ?
Quand Abdoulaye Wade va à Benghazi pour que l’Europe bombarde un pays africain pour de fallacieux prétextes, ça pose problème. Kadhafi est un dictateur. Mais, combien d’autres y en a-t-il en Afrique, dans le monde ? Il a été quelqu’un qui a assidûment fréquenté Wade et réciproquement. La culture africaine nous empêche, dans ces conditions, de tirer sur l’ambulance Kadhafi. Au lieu d’aller voir le guide libyen en tant qu’ami pour le sortir du pétrin à Tripoli, lui offrir une chance de se sauver avec sa famille et son peuple, il part à Benghazi, avec le gouvernement de transition, pour des affinités avec ces gens et pour la manne pétrolière, il tire sur Kadhafi. Ça s’appelle comment de votre point de vue ? Comment peut-on, en tant qu’Africain accepter cela ? Cela fait partie des problèmes que nous avons depuis les indépendances africaines. Tout peut nous arriver : des coups d’Etat et des Bob Denard qui débarquent aux Comores et ou à Cotonou, la mainmise étrangère partout qui font et défont nos régimes, c’est choquant et les mots qu’on utilise ne sont suffisamment pas forts parce que la Libye est, depuis lors, déchirée.
Abdoulaye Wade avait, malgré les choses que j’ai dites sur lui, plus de bagout. Il avançait moins masqué. Macky avance masqué. C’est pourquoi certains le qualifient de stratège politique. Quand on est dans un pays où le désespoir est partout, les compagnies aériennes privées comme nationales ferment, on parle de beaucoup de licenciements à cause de la pandémie, nos enfants qui prennent les pirogues pour aller en mer, le président de la République en ces circonstances doit montrer son génie créateur et sa capacité de galvaniseur de la société pour trouver des solutions. Ce ne sont pas les calculs politiciens à la petite semaine qui permettent d’acheter certains opposants et que des soi-disant observateurs applaudissent. Et c’est cela notre histoire. C’est pourquoi, depuis notre indépendance, on n’a rien fait jusqu’à aujourd’hui. De petits calculs à la petite semaine, il y a des gens qui saluent cela comme étant le summum de la stratégie politique alors que notre pays est en train de sombrer aujourd’hui. Voila notre problème. Même quand le président de la République se fourvoie et se fourvoie terriblement, il y a des gens qui vont trouver que, décidément, c’est un génie. Le génie d’un chef d’Etat à qui on donne un champ de théâtre aussi immense qu’une nation, un territoire, des destins à changer, c’est de montrer qu’il est capable de changer ces destins et d’apporter un cours nouveau à leur vie.
«Se rendre complice de violation de la loi de manière délibérée juste pour qu’on ne vous dise pas que vous êtes compliqué, que vous êtes souple, vous en répondrez devant la justice d’ici-bas ou devant Dieu, demain.»
Parmi les problèmes que vous évoquez dans votre livre, il y a celui de l’Artp. A la page 151, vous avez pointé les louvoiements d’un directeur général. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de lire le livre que chercherait à cacher le directeur général de l’Artp à l’époque ?
A cette époque, Global Voice était venue avec l’assentiment de Wade pour, à l’encontre de notre législation, installer un système de taxation des appels téléphoniques entrants. Ce qui, d’ailleurs, a été déploré par toute la communauté sénégalaise. Après la ruée dans les brancards et la mobilisation, l’affaire a été portée par la Sonatel à la Cour suprême. L’Armp avait déjà débouté Global Voice. Wade était obligé de changer le fusil d’épaule d’où la création de MTL qui était un opérateur d’infrastructure dont le Président-directeur général était par ailleurs un membre du conseil de surveillance du Fdsut ? On peut se demander si le conflit d’intérêts n’existe pas ? Et qui reprend les installations de Global Voice dans l’immeuble de l’Artp qui se trouvent à la rue Amadou Assane Ndoye. Voilà un nouvel opérateur qui vient et on lui signe des contrats le 15 décembre et on lui dit : «Vous prenez aujourd’hui même, date de signature du contrat, possession du système.» Un système qu’il aurait dû, de par le contrat, fournir. Bien évidemment, il était dans l’incapacité de prendre possession. Pour le faire, il vous dit qu’il va prendre les travailleurs de l’Artp qui avaient fait ces installations. C’est pourquoi, certains ont été triés sur le volet pour aider MTL à faire son travail qui n’est rien d’autre qu’un prestataire de service supposé de l’Artp qui lui fournit l’immeuble et les travailleurs.
Vous avez pu parler à ces gens ?
Ils m’ont fait des notes écrites comme quoi on leur avait demandé de participer à ces opérations moyennant rémunération. Des rémunérations conséquentes quand même avec des millions, selon le niveau de compétence. J’insiste sur ce document pour dire que jamais ce système n’a été connecté parce qu’il s’agit de contrôle et de taxation aux terminaux de Sonatel, d’Expresso et Tigo qui avaient refusé. Le système était là et pour faire ces fameuses taxes, Mtl s’appuyait sur le Call data recall (CDR) de l’Artp. Cette dernière faisait presque tout le travail qu’il lui donnait pour qu’il mette des factures renvoyées à nouveau à l’Artp. C’est comme ça que, entre janvier et février, il a ramassé 3 milliards 70 millions Cfa.
En un mois ?
Oui ! Sans avoir rien fait, rien fourni ni équipement, ni personnel encore moins l’immeuble parce qu’il était celui de l’Artp. Il ne payait pas le loyer. Si des affaires comme celle-là sont enterrées de manière magistrale, comment peut-on croire à la justice d’un pays ? Trois milliards, je dis. On reproche à Khalifa Sall 1,8 milliard FCfa. Et là encore, on a mis le coude sur l’affaire. Entre parenthèses, j’ai entendu un de vos anciens confères (Abdou Latif Coulibaly, Secrétaire général du gouvernement, Ndlr) dire à la Rfm que les rapports de l’Ige sont consultatifs. C’est faux ! Je rappelle que la loi de 2012 fait obligation à toute personne qui est au courant de toute concussion de la dénoncer. Le président de la République a l’obligation de défendre les intérêts supérieurs de la nation et de défendre les deniers publics. Quand il constate que les deniers publics ont été spoliés, il ne peut pas faire moins que ce qu’il aurait pu faire si c’est son propre argent qui a été spolié. C’est la loi qui lui fait obligation de veiller à ce que nos deniers soient préservés. Il a juré d’observer et de faire observer la loi. Il ne peut pas avoir des informations essentielles et les taire, c’est de la complicité de prévarication de nos deniers publics. Appelons les choses par leurs noms. On ne peut pas faire des pirouettes.
Donc Macky Sall est complice de ces prévarications ?
Oui, s’il refuse de faire en sorte qu’on puisse récupérer les deniers subtilisés qui appartiennent à l’Etat, qu’il mette le coude dessus. Et que, par la suite, la procédure est bloquée.
Mais, il y a quand même l’opportunité des poursuites qui permet au président de la République de choisir telle affaire à confier au procureur de la République, telle affaire à ne pas traiter au nom de la raison d’Etat.
Non. Cela veut dire que si tu tues quelqu’un et que le président est au courant, il peut juger de l’opportunité qu’il faut oublier. Le président n’a qu’un pouvoir de grâce en ultime recours. C’est la loi de la République, on ne peut pas faire une interprétation abusive de la loi de la République. Les lois lui font obligation de défendre les intérêts supérieurs de la nation y compris les intérêts financiers, les espèces sonnantes et trébuchantes. Quand quelqu’un vous dit que le président de la République peut juger de l’opportunité, on appelle cela obstruction à la justice. Il ne faut pas confondre obstruction à la justice et opportunité. On a 3 milliards Francs Cfa siphonnés à partir d’un stratagème.
Revenons à Abdou Latif Coulibaly. Il dit que dans votre livre, vous n’avez pas fourni de preuves. Que lui répondez-vous ?
Il n’a pas lu le livre. Il y a deux Abdou Latif Coulibaly. Celui qui écrivait avant le naufrage du bateau Le Joola qui apportait moins de preuves que je le fais ici et celui qui se fait maintenant l’avocat du Diable.
Il dit qu’il a consacré 20 pages à répondre à votre livre. Cela veut dire qu’il l’a lu…
«Il y a deux Abdou Latif Coulibaly. Celui qui écrivait avant le naufrage du bateau Le Joola qui apportait moins de preuves que je le fais ici et celui qui se fait maintenant l’avocat du Diable.»
(Il coupe). Il n’a répondu à rien. Je vous donne un exemple. Je ne veux pas polémiquer parce qu’il ne faut pas donner plus de poids à des paroles qu’un homme épouse au gré des circonstances et des positions. J’étais ministre, je n’avais aucun intérêt personnel et particulier à prendre les positions que je prends qui sont difficiles et dures et créent des ruptures qui m’ont fait perdre ma position mais que j’avais obligation de prendre par rapport à ma conscience et à l’idée que je me fais pour les intérêts du Sénégal. Il dit, par exemple, que si on avait porté plainte contre Timis, en faisant l’analogie avec l’affaire Arcelor Mital, on aurait payé. C’est faux. Au moment où Macky Sall était président de la République, le contrat n’était pas en vigueur. C’est encore le comble de la mauvaise foi. Il dit que le président Wade avait approuvé les deux contrats. Oui, il les avait approuvés en signant au bas de la dernière page des deux contrats. Mais l’article 34 de la loi de 98 portant code pétrolier qui était en vigueur à l’époque demandait à ce que les décrets d’approbation soient établis. C’est pourquoi, Aly Ngouille Ndiaye, s’est donné tant de mal à faire le décret d’approbation et que cela soit publié au Journal officiel. Tant que cette chose substantielle n’est pas faite, le contrat n’est pas valide.
Mais au moment où le Président Macky Sall arrivait, non seulement cela n’était pas fait mais il y avait des soupçons lourds. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le rapport de l’Ige qui établit des preuves de malversation au moment même de la signature du contrat sous Wade. L’Ige dit même que le contrat initial comporte des vices connus des deux parties qui sont en complicité. Exemple, Petrotim est créé le 19 janvier et signe le 17 janvier. Petrotim est très au courant que ce qu’elle a fait n’est pas logique. En plus, les contrats ont été établis entre les deux tours de la présidentielle, mais ils sont anti datés. Cela figure dans le rapport de l’Ige. C’est pourquoi, il essaie de vous dire que les rapports de l’Ige sont consultatifs. Cela est la preuve claire qu’il y a malversation. Il y aura d’autres avocats du Diable qui vont essayer de brouiller l’opinion parce qu’elle n’a pas encore lu le livre. Ce qui rajoute à la chose que les contrats ont été faits dans des conditions illégales, Aly Ngouille Ndiaye a écrit lui-même au ministre de l’Economie et des Finances, au Premier ministre et au Secrétaire général du gouvernement pour apporter des preuves que les contrats ont été établis de manière illégale. C’est après qu’il a changé de direction. Comment ces gens là peuvent aller porter plainte avec des preuves qui portent leurs turpitudes ? La Justice sénégalaise est la seule qui s’est tue sur cette affaire. Mais, d’autres justices en parlent parce que c’est une affaire internationale.
«Ce sont les conditions de Total qui ont été acceptées sans sourciller au moment de rédiger le contrat final.»
A la page 161, chapitre consacré à l’affaire de l’Artp, vous parlez d’«un courtier nommé Wade». Vous avez cité les protagonistes, Wade lui-même, Ndongo Diao, ancien Dg, l’homme d’affaires Cheikh Amar et un «architecte qui a ses entrées au Palais» sans le nommer. De quoi le téméraire que vous êtes a-t-il subitement peur?
Je n’ai pas peur. L’écriture est une sorte d’énigme et appelle à la réflexion. C’est un style. C’est aussi inviter le lecteur dans une sorte de concentration. C’est un document long qu’il faut écrire de manière à capter l’attention du lecteur. De toutes façons, le nom et les frasques du Monsieur sont révélés en d’autres circonstances.
Citez le nom ?
Je ne veux pas que tout soit dit sur les plateaux. Sinon, cela ne va pas inciter le lecteur à lire le livre. Et là vous montrez que ce n’est pas un livre seulement sur le pétrole encore moins sur Macky Sall. J’ai entendu un proche de Macky Sall dire que les gens de Wade applaudissent mais s’ils avaient lu le livre, ils allaient eux-mêmes attaquer Thierno Alassane Sall. Si je dis des choses qui ne sont pas justes, ils n’ont qu’à m’amener devant les tribunaux. Ma morale m’interdit de dire des choses que les gens n’ont pas faites. Quand un Premier ministre part à l’Assemblée nationale et dit que moi, j’ai signé un pré-contrat à Paris ; c’est le meilleur contrat qu’on ait jamais signé ; c’est le président de la République, parmi les meilleurs ingénieurs du pétrole au Sénégal, c’est faux et j’ai des preuves écrites. Aussi, il dit chez un de vos confrères que j’ai été viré pour incompétence. Je dispose des preuves pour établir que, non seulement, ce qu’il dit devant la représentation nationale ne correspond pas à la réalité mais qu’il m’a supplié de signer.
Justement, certains vous reprochent une certaine inconséquence. On a dit que vous avez paraphé le fameux «protocole de l’Elysée» à Paris. Ensuite vous revenez au Sénégal, au moment de signer le contrat, vous refusez. Qu’est-ce qui s’est passé pour ne pas confirmer votre paraphe ?
Je vais vous reprocher une certaine facilité. Depuis qu’on en parle, vous aurez dû sortir le contrat, il est dans le net et voir la différence. Je veux dire aux Sénégalais qu’il y a le jour et la nuit entre le protocole de Paris et le contrat final.
Ah bon, c’est différent ?
C’est totalement différent. Et c’est ce que j’essaie de démontrer dans le chapitre et avec ces tweets. C’est totalement différent. A Paris, c’est un protocole d’intention. Vous pouvez taper sur le site de l’Agence de presse sénégalaise (Aps), vous verrez la substance. Vous vous souvenez que le Premier ministre français de l’époque, Manuel Valls, avait dit que son pays était intéressé par notre pétrole. C’était donc le début de processus pour ouvrir la voie à Total. Cette dernière s’intéresse au pétrole du Sénégal et veut venir négocier avec l’Etat du Sénégal. Je dis bien négocier. L’Etat du Sénégal est d’accord pour qu’elle vienne négocier, point. C’est cela le protocole d’accord. Mais on n’imagine pas après que ces négociations puissent se faire non pas au profit du Sénégal mais aux conditions de Total que j’explique dans le livre de manière approfondie et détaillée. Ce sont les conditions de Total qui ont été acceptées sans sourciller au moment de rédiger le contrat final. Si les deux protocoles étaient conformes, pourquoi on signe à Paris et non ici au Sénégal ? Pourquoi ? On en signe des dizaines par jour dans les bureaux. Toutes les entreprises chinoises qui viennent au Sénégal qui veulent faire des autoroutes et des ponts, elles signent pour, ensuite, venir discuter.
Je vais vous dire une chose. Le Bloc Rufisque offshore sur le pétrole sur lequel portait un des contrats, c’est moi qui l’ai retiré de African Petroleum. Le contrat que j’ai refusé à Timis était le meilleur que celui signé avec Total. Sur le site l’Itie, vous avez le contrat signé avec Total sur Rufisque Offshore profond et le contrat que Timis avait signé en 2012 avant qu’on découvre le pétrole. Ce sont les fameux contrats frauduleux objets de rapport de l’Ige. Comparez-les. Vous verrez que le contrat décliné à Timis est meilleur que celui de Total de 10 % et au pire des cas 24 %. J’ai fait le calcul dans le livre. Des autorités ont dit que Total a cherché mais n’a pas trouvé. Quelle mauvaise foi. Ce sont des gens comme ça qui ont vendu nos pays à des rois belges et signé des traités à des colonisateurs en donnant la moitié du Cayor ou la moitié du Jolof. Au moment où je vous vends ma vache, je n’ai pas calculé le risque que vous avez que la vache ne produise pas de petits ou produise des petits. Je regarde le prix de la vache sur le marché et vous veillez sur son coût, vous ne reviendrez pas dix ans après pour me dire que votre vache n’a rien produit vous me devez une décote. Ensuite, le Rufisque offshore profond, Total n’a qu’à le rendre s’il n’y a rien. Elle ne va pas le rendre, parce qu’elle continue à espérer. Dans tous ces blocs y compris ceux où on a trouvé du pétrole, des compagnies sont passées 10, 20, 30 fois, elles n’ont rien trouvé.
Rassemblés par Magib GAYE,
Mamadou GACKO, Emile DASYLVA & Salif KA