Personnalité incontournable de la scène politique sénégalaise, Idrissa Seck est un sérieux cas d’école. Alors qu’il a été accusé dans l’affaire dite des «chantiers de Thiès» en 2004 d’avoir détourné près de 60 milliards de francs Cfa, aujourd’hui beaucoup le disent fauché, au point de rallier le pouvoir pour survivre. Mais, entre les deux thèses, il y en a une qui est forcément fausse et qui lui aura porté tort jusqu’à «l’extinction du soleil».
La raison du ralliement d’Idrissa Seck au pouvoir de Macky Sall dont il était le farouche opposant est un cas d’école. Alors que certains l’accusent de ravaler ses crachats, d’avoir trahi le peuple, d’autres se disent que l’homme est allé à Canossa parce que complètement endetté et poursuivi par les banques qui étaient prêtes à vendre sa villa. Une thèse qui intrigue beaucoup. En effet, on peut être amené à se demander comment quelqu’un qui a été accusé d’avoir subtilisé des dizaines de milliards de francs Cfa du contribuable sénégalais peut en être arrivé là? Donc, il y a un sérieux problème. Ou bien les accusations sont vraies et cet ancien Premier ministre n’a jamais eu de problèmes et que ses «soucis financiers», comme lui disait Wade, étaient terminés, ou bien ces problèmes financiers qu’on lui prête sont la meilleure preuve que les accusations étaient fausses. Et qu’on lui a porté un grand tort jusqu’à «l’extinction du soleil». Car, on ne peut pas comprendre comment tout l’Etat wadien, dont son actuel patron qui avait mobilisé les ambassadeurs à l’hôtel Méridien Président pour l’enfoncer, a pu être mobilisé pour finalement du toc. Ce, juste pour casser un homme ambitieux qui «lorgnait le fauteuil de Wade», expression qui était en vogue à l’époque. Dans un Etat de droit, les citoyens ne comprendraient pas ce montage grossier pour quelque chose d’aussi léger.
Mais, ce vaudeville du personnel politique sénégalais prouve que dans leur jeu tous les coups sont permis, même celui consistant à mettre l’appareil étatique de répression à contribution dans le combat politique. Car, voir en 2004, tout l’appareil d’Etat mobilisé contre M. Seck pour le casser et revenir, après quelques mois d’emprisonnement, lui accorder un «non-lieu partiel», est insensé. En effet, les politiciens peuvent avoir des rivalités mais ne doivent pas utiliser l’Etat que nous avons tous en commun pour un «dérèglement de comptes». Parce que c’est une pratique très dangereuse qui met tout opposant dans un régime précaire où l’appareil d’Etat peut sévir contre lui à tout moment.
L’animal a mal
S’il est vraiment innocent sur les faits qui lui étaient reprochés au point d’être fauché aujourd’hui, les Sénégalais doivent quand même s’interroger sur le dérèglement de notre balance, la justice. Laquelle a semblé être la risée du monde en délivrant à l’homme un «non lieu partiel». Laquelle, très bizarrement, tranchait avec une concordance troublante avec les négociations politiques entre Wade et Idy, à travers le protocole de Rebeuss, et la justice. Ce qui prouve que la justice de notre pays a peut-être été instrumentalisée dans un règlement de comptes politiques. Un précédent dangereux dans un Etat de droit. Car, les juges ne doivent jamais écrire sous la dictée des politiciens pour emprisonner ou trouver des arguments juridiques permettant de libérer quelqu’un qui a été Premier ministre de l’Etat du Sénégal. Sinon, on pourrait voir le temple de Thémis comme une agence qui donne un vernis légal ou emballage aux rapports de force politiques.
De son côté, annoncé mort politiquement, comme il en rigole d’ailleurs, Idrissa Seck parvient toujours à renaître de ses cendres. Et cela, malgré les nombreux départs de hauts cadres et proches de sa formation politique, le Rewmi. Il semble ainsi confirmer l’homme d’Etat britannique Winston Churchill qui disait qu’en politique on peut mourir plusieurs fois et revenir à chaque fois, alors qu’à la guerre on a qu’une seule mort. Ce à quoi on a paradoxalement assisté avec l’ex-mentor politique de l’enfant de Thiès, Abdoulaye Wade. Qui, après ses nombreuses tentatives à l’élection présidentielle, avait voulu jeter l’éponge pour sa dernière qui a finalement été la bonne en 2000, à travers la première alternance démocratique du Sénégal.
De plus, M. Seck qui est aujourd’hui béni et cajolé par des gens du système qui le vouaient aux gémonies, hier, montre qu’il est un véritable animal politique. Car, on peut tout lui reprocher, -son inconstance, ses roueries politiques ou même cette tortuosité qu’il reprochait au regretté Djibo Leyti Kâ- sauf de manquer d’autorité. Avec lui, à la présidence de la République, sous Wade, on n’avait pas assisté à l’émergence de Karim Wade encore moins à des phénomènes comme Cissé Lô sous Macky Sall.
Homme d’idées, qui flirte avec les fulgurances de Friedrich August Von Hayek, économiste prix Nobel de paix, ultra libéral ou encore Lee Kuan Yew, auteur de «From Third World to First: The Singapore Story», selon certains de ses proches, Idrissa Seck continuera, certainement, à être une énigme pour de nombreux Sénégalais.
Seyni DIOP