Ouvertures successives de représentations diplomatiques dans les provinces sahariennes, retraits de reconnaissance de la RASD et appuis de plus en plus insistants à l’initiative marocaine d’autonomie, pas un jour ne passe sans qu’un nouvel élément ne vienne s’ajouter au dossier déjà complexe du Sahara.
Aujourd’hui, il existe assez de recul permettant de mieux analyser la problématique du Sahara, un recul amené par les prises de positions et des réactions des principaux protagonistes, en l’occurrence le Maroc d’une part et l’Algérie, le Polisario étant le simple prolongement de la position et des attitudes de l’Algérie.
Algérie / Polisario : deux noms pour une même entité
Comme dans tous les domaines et notamment en relations internationales les termes ont une importance majeure et pour avoir les bonnes réponses il ne suffit pas de poser les bonnes questions, il faut surtout les adresser au bon interlocuteur.
Aujourd’hui si l’on veut résoudre le différend du Sahara, il serait erroné de dissocier l’Algérie et le Polisario, le Polisario n’étant qu’un prête nom de l’Algérie et il est difficile voire impossible de trouver une solution en négociant avec une entité qui n’a aucune existence ni sur le plan politique et diplomatique et encore moins sur le plan historique.
Le conflit du Sahara oppose en réalité deux États, le Maroc et l’Algérie, un différend qui crée une tension dans toute une région bloquant notamment la concrétisation de l’Union du Maghreb Arabe.
Comprendre les motivations de ces deux États permettra d’avoir une approche plus lucide vis-à-vis de ce conflit qui perdure depuis plus de 40 années.
Au-delà des aspects, économiques et géopolitiques bien connus de tous, et dont le plus important est l’ambition de l’Algérie à s’assurer un accès sur l’Atlantique, il existe deux éléments clés qui devraient être pris en considération.
Avant toute chose, une différence de fond existe entre ce qu’on pourrait appeler l’approche marocaine et l’approche algérienne de la notion de «territoire» et de l’«État-Nation».
Pour les Algériens une conception «tribale» du territoire subsiste et ce pour des raisons historiques, l’Algérie comme on la connait aujourd’hui ne s’étant constitué territorialement qu’au début de la régence d’Alger, soit au XVIème siècle. C’est bien la colonisation française qui va lui permettre de s’étendre jusqu’au Sahara et va par la même occasion changer la composition sociale. De ce fait, pour les Algériens, le territoire est d’abord un espace politique créé et légué par l’Histoire coloniale.
Pour le Maroc, un état qui existe depuis au moins l’an 788, le territoire national n’est pas aussi arbitraire mais il n’est autre que l’expression de l’évolution historique du pays.
Par conséquent, la culture politique algérienne se pense comme une (re) conquête du national sur des bases nouvelles créées par la lutte coloniale alors que le Maroc voit son indépendance comme des retrouvailles avec un long passé.
Pour bien saisir la réalité de ces pays, et plus généralement toute celle du Maghreb, il faut toujours avoir à l’esprit cette phrase du maréchal Lyautey : «Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie, en face d’une véritable poussière de mini principautés… au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude, qui jusqu’à ces dernières années, faisait encore figure d’État constitué avec sa hiérarchie de fonctionnaires, ses représentants à l’étranger, hommes d’une culture générale qui ont traité d’égal à égal avec les hommes d’État européens».
Ensuite, il subsiste un autre élément malheureusement peu considéré et pourtant très décisif qui est celui de la perception du conflit par l’opinion publique. Si pour l’Algérie la question du Sahara est politique et intéresse peu la population, au Maroc c’est une toute autre histoire.
Tout D’abord, l’esprit de tous les marocains est marqué par la colonisation française et espagnole déguisée en protectorat et qui a retracé les frontières du Maroc, il est donc difficile pour un marocain d’accepter de se voir enlever une seconde fois une autre portion de son territoire.
Puis, Il y a eu aussi la marche verte, une marche présentée par la monarchie à l’époque comme une marche de libération :
«Accepterais-tu cher peuple de courir le risque et de laisser un autre peuple récupérer le Sahara à ta place ! Je ne te le souhaite pas. Et pour plusieurs raisons. Car mon amour pour toi est sans limite. La marche que nous allons entreprendre cher peuple prouvera ta détermination et que la récupération du Sahara est ta propre revendication et non celle d’une partie, d’une tendance, d’un parti politique, d’une organisation syndicale ou culturelle. La question du Sahara concerne tous les Marocains. Nous ne possédons pas la bombe atomique, nous ne possédons pas des fusées, mais nous avons suffisamment, d’armements et de force pour engager la lutte armée et pourtant nous avons choisi la marche pacifique, qui te fera paraître une nouvelle fois victorieux». Discours du Roi Hassan II prononcé à l’occasion de la marche verte.
Au-delà de sa symbolique historique, la marche verte a joué un grand rôle dans le changement de la perception de la question du Sahara par l’opinion publique marocaine, qui est passée d’une question politique portée par les dirigeants à une cause nationale portée par tout un peuple.
Devant une population qui a été largement «éduquée», socialisée sous l’angle de l’intégrité territoriale, le Maroc ne peut et ne pourra pas céder sur ce qui est communément appelé «la cause nationale», ancrée au plus profond de la mémoire collective de tout un peuple. L’Échec du Maroc pourrait déstabiliser le pays et par conséquent toute la région.
C’est dans cette optique que le Royaume a proposé une solution médiane et une porte de sortie du différend qui est l’initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie qui donne une autonomie au territoires sahraouis sous souveraineté marocaine.
Depuis l’enclenchement du conflit, le Maroc a choisi la voie diplomatique et privilégié une solution politique à la question du Sahara. On peut dire que la diplomatie marocaine malgré quelques erreurs passées qui ont amené à des faux pas et qui ont parfois ralenti l’évolution du dossier, a globalement fait preuve d’efficacité et d’ingéniosité et récolte actuellement les fruits d’un très long et dur labeur.
Aujourd’hui et plus que jamais et pour faire avancer le dossier du Sahara, cette diplomatie a besoin d’être épaulée, d’une part au niveau international et d’autre part au niveau national.
Les affaires politiques sont souvent une affaire d’opinion publique
Au niveau international, les opinions hostiles à la position marocaine, le sont souvent pour des raisons idéologiques et essentiellement par manque d’informations et en se basant sur des aprioris. En effet, l’erreur du Maroc a été d’avoir beaucoup axé sa communication sur les volets institutionnels et régaliens en ayant omis pour partie de s’appuyer sur d’autres voies et outils de communication, véritables interlocuteurs des opinions publiques étrangères laissant la part belle à la désinformation par des relais partisans et mal intentionnés vis-à-vis du Royaume.
Par exemple, la présence du Maroc au Sahara est perçue par certaines franges de la société civile comme étant une «occupation» et par conséquent le Polisario comme un «mouvement de résistance» ce qui est la preuve même d’une méconnaissance complète du dossier. A cette occasion, il est important de préciser qu’il n’existe aucune résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies, qui est l’organe onusien en charge de la question du Sahara, qui définit le problème du Sahara comme un cas d’occupation ou qui qualifie le Maroc de puissance occupante.
Un autre exemple est que beaucoup reprochent au Maroc son refus de réaliser un référendum d’autodétermination, partant du principe que tout peuple a le droit à l’autodétermination mais ignorant les spécificités démographiques et culturelles qui feraient que ce référendum serait un déni de démocratie.
En effet, le recensement des populations éligibles au vote retenu par l’Onu écarte les sahraouis qui ont émigré vers d’autres villes du Maroc ou vers d’autres pays étrangers leur enlevant le droit de décider de leur propre avenir.
Par ailleurs, cette solution est apparue «illusoire» ce que l’Onu elle-même reconnaît, ainsi le processus de référendum n’est plus mentionné, et ce depuis 2001, ni dans les résolutions du Conseil de sécurité, ni dans les rapports du Secrétaire général.
C’est une «solution» aussi inutile car le résultat qui serait obtenu serait automatiquement contesté par la partie perdante vu que les parties prenantes ne sont pas d’accord sur les modalités de base de l’établissement des listes électorales, une contestation qui pourrait amener à une fragilisation d’une région déjà sous tension.
Aussi, beaucoup ne connaissent pas les tenants et les aboutissants de l’Initiative marocaine pour la négociation d’un statut d’autonomie ni les avantages que pourrait représenter cette initiative pour toute la région.
Cette initiative, qui a fait ses preuves par le passé dans la résolution de plusieurs conflits et différents, représente ce compromis ou cette « troisième voie » tant recherchée, puisque qu’elle permet une autonomie du territoire du Sahara mais sous souveraineté marocaine reconnaissant ainsi la spécificité de cette région et de ses habitants.
De manière plus concrète, le Maroc assurerait, la gestion exclusive des affaires étrangères, de la sécurité nationale et de la défense ainsi que celle des postes et télécommunications, de la monnaie et des douanes, le reste relevant des autorités locales élues. Le Maroc a, également, déclaré que cette initiative n’est qu’une proposition préliminaire et que le Royaume est disposé à aller loin dans les négociations pour peaufiner et adapter sa proposition qui donnera lieu à un schéma cadre final qui sera à ce moment-là soumis au vote de la population par le biais d’un référendum.
La diplomatie officielle marocaine continue à faire ses preuves, cependant, il est essentiel voire indispensable qu’elle soit complétée par une mobilisation de l’opinion publique surtout au niveau international sans tomber dans le piège d’une propagande inefficace et inutile. Le but de cette démarche est très simple ; apporter plus de visibilité à la position marocaine et rectifier les aprioris.
La régionalisation avancée, un processus qui peine à avancer
Quand le Maroc a proposé une initiative d’autonomie des provinces sahariennes, il avait comme idée de faire de cette région un laboratoire d’une expérience qui serait amenée à être étendue à tout le Royaume, cette initiative rentre bien dans le cadre d’une politique nationale globale et n’est donc pas une manœuvre politique ou une simple solution au différent spécifique à la région du Sahara.
En effet, deux éléments prouvent la globalité de la démarche marocaine, d’un côté les énormes investissements réalisés dans les provinces du Sud du Royaume qui ont fait que des villes comme Dakhla ou Laâyoune ont connu un développement considérable ces dernières années et d’un autre côté la représentativité des Sahraouis dans les dernières tables rondes sur la Sahara organisées par l’ONU, la délégation marocaine était de ce fait constituée majoritairement d’élus sahraouis.
Aujourd’hui, l’initiative marocaine bien qu’elle attire de plus en plus de partisans, peine à percer et à connaître le succès espéré par le Maroc.
Il serait peut-être plus efficace que le Maroc accélère le processus de régionalisation avancée et le généralise à tout le territoire marocain bien évidemment provinces du Sahara sous contrôle marocain comprises.
Ceci aura un double bénéfice. Tout d’abord au niveau international, puisque le Maroc apportera la preuve concrète de son expertise dans le domaine, puis aussi au niveau local du fait que les populations qui pourraient être récalcitrantes vivraient l’expérience d’une autonomie partielle que jusque-là on leur expliquait en théorie.
A ce niveau, deux défis majeurs se posent pour le Maroc concernant le processus de régionalisation.
Le premier est d’abord de réaliser cette régionalisation qui peine à avancer et ce pour des raisons essentiellement liées à la culture de contrôle qui a la dent dure au sein de l’administration centrale marocaine qui a du mal à lâcher du lest et à se défaire de ses prérogatives.
Par ailleurs, il ne suffit pas de réaliser une régionalisation avancée, d’où le deuxième défi qui est celui de réussir cette régionalisation car le Maroc qui sera observé par toute la communauté internationale et épié par ses adversaires qui attendraient le moindre faux pas, n’aura pas le droit à l’erreur.
Pour conclure, les différents intervenants dans le dossier du Sahara ont perçu une lumière d’espoir apportée par les remous qu’a connu l’Algérie et le nouveau souffle qu’aurait pu amener un nouveau régime à la gestion de ce différent. Cependant, les déclarations du nouveau Président algérien pas très amicales voire hostiles envers le Maroc et ce dès son discours d’investiture pourraient faire penser que cette lumière perçue n’était finalement qu’un mirage.
Cependant, l’évolution interne de l’Algérie va se poursuivre. De l’indépendance jusqu’à la chute de Bouteflika, c’est l’armée qui contrôlait l’État et avait, comme tous les régimes autoritaires, besoin de détourner le regard de l’opinion vers l’extérieur. C’est ainsi que pendant des décennies le Maroc a été le bouc émissaire et le Sahara l’arme de diversion.
Le peuple algérien qui s’est soulevé et n’accepte plus la diversion, demande qu’on se penche sur les questions internes et le nouveau Président algérien ne pourra pas arrêter la vague démocratique.
Par ailleurs, Cette évolution interne de l’Algérie pourrait accélérer le règlement de la question du Sahara où les armes se sont tues depuis longtemps. En effet, au moment où l’Union Africaine appelle à faire taire les armes, le développement qu’ont connu les provinces du Sahara sous souveraineté marocaine sont une preuve concrète qui démontre que la paix et la stabilité amènent le développement et la croissance, une expérience qu’il serait judicieux de généraliser dans l’ensemble du territoire du Sahara.
Sarah BOUKRI
Docteur en Sciences Politiques
Experte au NewMed Research Network
Membre de l’Institut Marocain des Relations Internationales