CONTRIBUTION
Il n’y a véritablement pas lieu d’entretenir une croisade pour défendre la tenue ou non des grands rassemblements religieux en cette année 2020, celle de la pandémie de la Covid-19. Il ne saurait y avoir débat, confrontation ou affrontement sur le terrain de la religion pour soutenir une interdiction, défendre une restriction ou plaider pour le maintien d’un statu quo. Il y a juste un différend sur la manière de procéder à la commémoration de faits majeurs, de marqueurs historiques et de certaines icônes religieuses élevées au rang d’idoles ou de totems. Se rappeler d’un acte de bravoure, d’une posture héroïque, d’une forme de résistance contre l’oppression, la soumission et l’asservissement doit relever plus du symbole que du spectacle.
Célébrer et non festoyer. Que Magal et Gamou soient devenus des moments d’intenses communions est somme toute quelque chose de tout à fait normal. Que ces grands rassemblements cèdent de plus en plus leur identité de pèlerinages religieux pour devenir des kermesses et des foires commerciales est une réalité incontestable. Ce n’est d’ailleurs pas une mauvaise chose en soi, car, comme toute activité humaine, la religion a aussi l’économie dans son ADN. Aussi, nulle idée ou proposition qui tendrait à interdire la célébration d’un grand pèlerinage confrérique au Sénégal ne m’effleure-t-elle. Tout juste, l’expression d’une réflexion sur la manière de procéder à la célébration d’une identité confrérique marquante qui, tout en respectant le sens originel, tiendrait toutefois compte du contexte dans lequel elle se déroule. Déjà, ici ou ailleurs, des autorités religieuses musulmanes, chrétiennes ou autres, prennent la juste mesure de la réalité de l’heure marquée par la rapide circulation du virus en adaptant des formats et des formules permettant de célébrer le culte et sa valeur sacrée, tout en évitant de faire le lit de la fulgurante propagation de la covid-19.
Ainsi, en Arabie Saoudite, les Autorités religieuses et étatiques ont-elles convenu, pour cette année, d’un pèlerinage qui n’a réuni que dix mille résidents triés sur le volet pour être les seuls pèlerins à La Mecque et à Médine. L’accent a été mis sur le symbole lors de cette commémoration du Hajj 2020. A l’évidence, la venue de près de deux millions de pèlerins annuellement pour le Hajj représentait une véritable manne financière pour les finances du royaume wahhabite qui n’a pas hésité à s’en priver sans hésitation aucune. Pour d’évidentes raisons de sécurité sanitaire.
L’adhésion à une confrérie, c’est entrer dans un ordre et accepter sa discipline et son code de conduite. Sous nos cieux, l’Islam se distingue par une pratique confrérique qui astreint à une obéissance au «ndigueul» du Serigne qui vous y a accueilli après votre «djébalou» (allégeance). Les choses sont donc claires.
Fidélité et obéissance pour tout talibé. Il ne peut y avoir donc ni refus ni remise en cause de l’autorité du Serigne. Encore moins des règles établies par cet ordre religieux. A la seule différence que dès leur apparition et leur première célébration, Magal pour les mourides et Gamou pour les tidianes étaient porteurs de messages véhiculant une éthique de comportement et une philosophie politique. Il ne serait donc pas superflu de revenir sur le sens de ces messages originels de Serigne Touba, Khadimoul Rasoul, et de El Hadj Malick, le Maodo, qui ont toujours mis en exergue la quête du savoir et l’adoration de Dieu. Le Magal commémore le départ en exil de Serigne Touba au Gabon et non le retour de ce dernier après sa déportation à Mayombé. Le pouvoir colonial français, impressionné par la posture de résistance non violente du fondateur de la ville de Touba, et après l’avoir contraint à plusieurs exils en Mauritanie, n’avait trouvé que le départ forcé dans la forêt équatoriale pour tenter de faire plier ce frêle Sahélien que ni les colifichets, fanfreluches, pacotilles et autres verroteries coloniaux n’arrivaient à séduire, encore moins son administration et ses supplétifs locaux. faut-il rappeler que Serigne Touba Khadimoul Rasoul a fait face seul à cette terrible épreuve ? Aucun talibé, disciple, frère ou cousin ne l’a accompagné sur ce chemin d’exil. Durant tout ce voyage, du fin fond du baol jusqu’à la forêt équatoriale du Gabon en passant par les villes de Diourbel, Thiès, Saint-Louis et Dakar, nul accompagnant même pour lui tenir sa natte de prières ou sa bouilloire pour les ablutions. Le fils de Mame Mor Anta Saly et de Mame Diarra bousso n’avait que la solitude et la vérité comme compagnons.
Samory Touré, une autre victime du pouvoir colonial français, avait lui au moins eu un compagnon d’exil en la personne de son chef des armées, Mory Kidian Diabaté. C’est le résistant ceddo Samba Laobé fall, déporté au Gabon en même temps que Serigne Touba, fut le seul compagnon d’infortune du fondateur du mouridisme dans une forêt infestée de mouches tsétsé, de reptiles et autres bêtes sauvages. Opter de commémorer le départ en exil et non le retour est une invite au sens à donner à une vie, une existence, un combat. La pertinence et la justesse de l’engagement de Serigne Touba dans la résistance patriotique et la non violence comme arme de lutte, ont généré un fondement idéologique et doctrinaire. Le Magal, en plus de son contenu philosophique, devient ainsi au fil des époques une chaîne de valeurs spirituelles et économiques. L’œuvre de Serigne Touba est multidimensionnelle, et telles des poupées russes, elle renvoie toujours aux mêmes valeurs islamiques.
Puiser auprès du Saint homme et de ses enseignements, c’est s’abreuver dans un puits intarissable car la richesse spirituelle y est en abondance. Une richesse spirituelle au premier rang de laquelle trône la quête de la connaissance. Ce que le défunt Professeur émérite Moustapha Sourang a toujours soutenu. Serigne Touba a été une arme de libération des esprits avant de l’être contre l’oppresseur colonial. Lui être fidèle, c’est donc ne pas exposer ses disciples à une fragilité en ces temps de corona. Ainsi, doit-on comprendre d’ailleurs la première contribution reçue par l’Etat dans le combat contre la covid-19 dès son apparition. Serigne Mountakha Mbacké, actuel Khalife général de Serigne Touba, a débloqué 200 millions pour participer à l’effort de guerre contre le coronavirus au Sénégal. Cette posture avant-gardiste a été le déclencheur de tous les donateurs qui ont suivi le sillon qu’il est le premier à avoir tracé. Nul doute donc que les regroupements de fidèles ne sauraient être plus fervents ou significatifs que la préservation de la santé de ceux-ci. Serigne Touba a besoin d’une armée de fidèles enracinés dans leur foi et galvanisés dans leur foi et psalmodiant les versets du Saint Coran et exaltés dans le récital des Khassaïdes, et non d’une armée des ombres rescapée d’un grand rassemblement. Le « ndigueul » du Khalife général sur la manière dont le Magal de cette année sera commémoré est très attendu. Cette décision sera respectée par tous sans murmure, car inspirée par le souffle de Khadimoul Rasoul qui avait déjà montré la voie face aux français.
Face au colon soutenu par des suppôts qui ont joué le jeu du grand Maître blanc en acceptant de pactiser avec lui ou de devenir ses collaborateurs, Serigne Touba avait opté pour la lutte non violente, le refus de la compromission et la résistance pacifique contre cet ordre venu de Paris. Il a porté seul le fardeau de l’exil et de la déportation pour éviter l’effusion de sang et le massacre de ses disciples ainsi que des populations qui n’ont cessé d’adhérer à son message. Il aurait suffi qu’il appelle à la mobilisation populaire ou la riposte de ses talibés pour qu’il y eut désobéissance civile, émeutes et révolte au prix de meurtrières confrontations avec le colon français. Ainsi donc, il a toujours mis la préservation de la vie et de la santé des populations au dessus de tout, au point d’avoir été balloté d’exils en Mauritanie en déportation au Gabon. L’universalisme du message de Serigne Touba s’est vérifié dès les années 30 avec le Mahatma Gandhi en Inde qui opta pour la non-violence dans sa résistance face au colonialisme britannique.
A la fin des années 50, le révérend Martin Luther King, aux USA, choisira la même voie dans sa croisade contre la ségrégation raciale. Nelson Mandela, Goran Mbeki et tous les résistants de l’ANC condamnés lors du procès de Rivonia en 1962, et qui séjourneront plus d’un quart de siècle à Robben Island dans leur lutte contre l’Apartheid, ont eu la même stature que Serigne Touba déporté à Mayombé par le pouvoir colonial français. Le Magal n’est pas une festivité, mais plutôt un recueillement, d’où l’importance accordée à la spiritualité. Il s’agit donc, pour cette année, de l’élaguer de ses excroissances pour n’en conserver que la quintessence spirituelle comme l’aurait certainement voulu celui qui l’a inspiré.
Abdoulaye Bamba DIALLO