CONTRIBUTION
12000 volontaires communautaires (re)lâchés dans les communautés :
12000 cas communautaires ou 12000 solutions communautaires ?
Le 30 juillet 2020, en suivant sur les ondes de la télévision sénégalaise (la RTS1) le Ministre de la Santé et l’Action sociale M. Abdoulaye Diouf Sarr, j’ai eu comme une sensation de déjà vu et surtout de déjà entendu, dans cette guerre contre la COVID 19. Voilà que, entouré de ses lieutenants, le « Général d’armée », Diouf Sarr, procédant à la revue de ses troupes de volontaires communautaires nouvellement engagés, (re)lançait 2 cris de guerre, en ces termes :
– une énième offensive de la bataille de Dakar avec le slogan : « si on remporte la bataille de Dakar qui regroupe à lui seul 75 % des cas de contamination, on gagnera la guerre contre le coronavirus » ;
– une énième vérité, qui est passée maintenant dans tous les esprits comme une évidence : « la guerre contre le coronavirus se gagnera au niveau communautaire ».
C’est avec ces grandes intentions que la guerre communautaire contre la COVID 19 est encore (re)déclarée au Sénégal, en grande pompe. En grand nombre, plutôt, devrait-on dire car de la stratégie qui est arrêtée et mise en (dé)route, le point central reste le nombre de volontaires communautaires mobilisés. Ainsi qu’on peut le comprendre à travers l’appel du 30 juillet 2020 du Général depuis le district centre, lorsqu’il a particulièrement insisté sur le fait que : « 12.000 volontaires ont été outillés afin d’aller à la rencontre des populations. Avec pédagogie, leur mission est d’informer et de sensibiliser sur les gestes barrières indispensables pour stopper la pandémie ». En effet, dans cette énième déclaration de guerre, qu’est-ce qui est nouveau à l’horizon ? En tout cas, ce n’est sûrement pas la prétention d’armer les « soldats », avec les instruments classiques d’information et de sensibilisation. Ce n’est pas, non plus, la mission qui leur est assignée et qui se limite à, tout juste, informer et sensibiliser les populations sur les gestes barrières contre la COVID 19. La nouveauté se situerait donc plutôt ailleurs. Précisément au niveau de la taille de l’armée, cette fois-ci, (re)constituée.
En fait, jusque-là les recrues, souvent choisies à Dakar, tournaient autour de 50 à 100 au maximum. En guise d’illustrations, voilà quelques initiatives d’enrôlement de volontaires communautaires déjà organisées :
« – Plus de 50 personnes sont éparpillées sur tous les réseaux sociaux. Des actions de terrains sont aussi initiées par les membres pour toucher leurs proches qui ne sont pas connectés (site SNEIPS) ;
– Formation de 100 jeunes volontaires de la ville de Dakar sur la communication sur les risques et l’engagement communautaire, avec des sessions sur la situation épidémiologique du département de Dakar mais aussi sur la nécessité d’insister sur le rappel des gestes barrières pour se protéger et protéger sa communauté (Site de la mairie de Dakar) ;
– Avant même les mesures prises par le gouvernement, un groupe d’habitants de Dakar issus de la société civile avait lancé l’opération ‘’100 volontaires’’ et qui consistait à former des bénévoles dans chaque quartier pour diffuser des messages de prévention et inculquer les bons gestes (Sénégal/Santé du 31 mars 2020).
De 50 à 100 recrues jusqu’à présent, voilà que pour cette énième opération communautaire lancée ce 30 juillet 2020, subitement les chiffres s’emballent, multipliés par 12, et la liste explose pour atteindre le nombre stratosphérique de 12.000 volontaires communautaires engagés. Ainsi, la tactique de guerre employée, au tout début de la riposte communautaire, qui était celle d’étouffer rapidement les velléités du virus au sein des communautés par le recours de la technique de la guerre éclair (BlitzKrieg) a évolué. Aujourd’hui que les troupes sont poussées dans leur dernier retranchement, et au moment où elles sont débordées de toutes parts, la nouvelle approche envisagée est celle de déployer un très grand nombre de « soldats » volontaires dans les communautés pour contenir les assauts de l’ennemi. Aussi, la tactique de guerre éclair employée jusque-là, s’est-elle muée en guerre du nombre (Krieg der Zahlen).
Mais mon Général, si je peux me le permettre, en passant justement d’une technique de guerre à une autre, avez-vous d’abord procédé au travail ô combien obligatoire et nécessaire de l’évaluation de votre tactique ? D’autant qu’il est prouvé que c’est souvent la non évaluation ou la mauvaise évaluation des programmes qui reste le véritable maillon faible des interventions d’ordre économique, politique. Mais aussi et surtout celles davantage qualitatives relevant du domaine social ; comme le programme de la riposte communautaire du Sénégal contre la COVID 19, en question ici.
Mais à quoi pourrait-être liée cette fâcheuse tendance à cette culture de non-évaluation ou aux raisons techniques de la mauvaise, souvent fatales aux programmes d’intervention sociale et sanitaire ? Ainsi qu’il en est, hélas, pour ce programme de riposte communautaire contre la COVID 19, conduit sous la forme d’un pilotage en vue. Cela tient sans nul doute à une mauvaise appréciation ou à une mauvaise appropriation des concepts majeurs de l’évaluation d’un programme, sans quoi point d’usage optimal de l’évaluation. Dans le cadre de la mise en route de ce programme d’intervention de riposte communautaire contre le Coronavirus en (dé)route, questionnons alors le dispositif d’évaluation qui s’(impose) aux concepteurs du programme.
Pilotage à vue de la riposte communautaire : en cause, un défaut de dispositif d’évaluation par faute de prédisposition en évaluation de programme d’intervention ?
Officiellement, il n a pas été (encore) procédé à une évaluation du programme de lutte contre le Coronavirus au Sénégal. Qu’on ne vienne surtout pas m’opposer que c’est parce que l’intervention n’est en cours que depuis seulement 4 mois. Le cas échéant, cela viendrait confirmer davantage le défaut de prédisposition en évaluation, que nous soupçonnons. Ne serait-ce que pour ce qui est de la maîtrise de cette dimension de l’évaluation, relative à ses différentes méthodes constitutives.
En effet, hormis le fait que tout programme peut être soumis, déjà, à une évaluation ex-ante. À plus forte raison un programme en cours d’exécution peut aussi ou même doit aussi, bel et bien, être objectivement soumis, à son tour, à une évaluation à mi-parcours. Dans ce type d’évaluation, il est bien possible et même souhaité de dérouler l’approche tout en interrogeant l’approche, ce faisant. Mise en œuvre en milieu de cycle du programme, si les besoins se font sentir, l’évaluation à mi-parcours permet de réajuster les stratégies pour un bon déroulement et pour une atteinte des objectifs du programme. Son utilité pratique doit interpeler et amener à s’interroger quant à sa non-réalisation.
À défaut d’y avoir souscrit, dans le cadre de la stratégie de riposte communautaire développée contre la COVID 19, sur quoi se base-t-on alors, logiquement, pour faire évoluer la tactique de la guerre éclair vers celle de la guerre du nombre ; sans être passé par une évaluation à mi-parcours de la première approche. À l’absence d’indications scientifiques, la seconde approche risque d’être conduite sous la forme d’un pilotage à vue et les décisions prises peuvent s’avérer alors approximatives et contreproductives, à terme. Or justement, avec une évaluation au préalable, ces décisions s’appuieraient alors sur des résultats qui seraient conformes aux objectifs fixés et inviteraient, dans ce cas, à perpétuer le programme. Où a contrario, les résultats ne seraient pas conformes aux attentes originelles du programme et exigeraient, dans ce cas, alors d’imaginer d’autres stratégies de résilience de l’outil d’intervention lui-même.
L’esprit qui est à la base de ce type d’évaluation procède, en toute cohérence méthodologique, de la méthode de recherche évaluative pour la logique suivante : « la finalité de la recherche évaluative n’est pas uniquement de porter un jugement sur un programme, mais elle consiste à porter un jugement dans le but d’améliorer le programme, d’apporter des changements nécessaires et, finalement, de mieux desservir les clientes ciblées par les programmes (Rossi, Freeman, 1993 ; Tard, Ouellet, Beaudoin, 1997). La recherche évaluative vise donc également à guider la prise de décisions à l’égard d’un programme » (sous la direction de Bouchard et : 2010 : 437).
Voilà qui doit rassurer les acteurs de mise en œuvre des programmes d’intervention qui ne seraient pas du tout ouverts à tout modèle d’évaluation. La raison, ils confondraient, tous les modèles d’intervention dans le registre de l’évaluation sommative qui a pour caractéristique de distribuer des bons points et souvent des mauvais. En cas d’écart, anormalement importants suivant les termes du contrat établi, la sanction prévisible et prévue pourrait aboutir à l’arrêt du programme, en tant que tel. Alors qu’il devrait surtout être privilégié, ici et selon notre entendement, le registre de l’évaluation formative qui s’inscrit, quant à elle, dans une logique de redressement, de perfectionnement du programme en question. En effet, dans son essence même, l’évaluation formative est mue par l’esprit de réparer et non de casser. La forme de sanction corrélative, qui lui est consubstantielle, étant de corriger plutôt que de punir, avec : « pour principal objectif de fournir des résultats qui permettent d’améliorer un programme d’intervention généralement en développement » (Fitzpatrick, 2012 : 21).
Ce point de clarification apporté aura, espérons-le, la vertu de lever les craintes, de dissiper les doutes, d’atténuer les peurs des acteurs de la lutte contre la COVID 19 au Sénégal, qui ne souffrent pas qu’on pose un regard critique (constructif) sur leur programme d’intervention et sur leur approche de riposte communautaire. À croire, s’ils supportent même leur propre regard critique ? Pour ainsi dire. Une fois le sens de l’évaluation de programme compris, autoriseront-ils enfin et s’autoriseront-ils cette posture scientifique et de scientifiques. Aussi, oseraient-ils désormais aller au-delà de la forme faussement efficace de l’évaluation de l’implantation du programme à laquelle ils font, le plus souvent, recourt lorsqu’ils sont contraints à évaluer leurs programmes.
Il serait salutaire, désormais, qu’elles s’orientent, de manière souveraine, vers la forme d’évaluation plus efficiente, plus efficace de programmes. Celle qui, de toutes les formes d’évaluation possibles en recherche évaluative, se révèle être la plus opportune. La raison étant liée au fait que : « L’évaluation de l’efficacité d’un programme d’intervention peut se définir comme l’utilisation des méthodes de recherche scientifiques visant à porter un jugement sur l’atteinte des objectifs d’un programme. Ce type d’évaluation cherche à vérifier si des changements se sont effectivement produits chez les participants à un programme et à démontrer que ces changements sont directement liés à la participation au programme » (sous la direction de Bouchard et Cyr, 2010 : 44).
Monsieur le Ministre de la Santé, vos collaborateurs en charge de mettre en œuvre votre programme de riposte communautaire ont-ils pris la pleine mesure des enjeux qui entourent les démarches entre types d’évaluation, méthodes d’évaluation, formes d’évaluation, modèles d’évaluation, tels que revisités ci-dessus à leur intention. Vous êtes-vous donné les moyens, comme tout bon général de guerre que vous êtes assurément, de trouver les moyens de recueillir les bons conseils, de prêter une oreille attentive à des observateurs qui ont le regard, pas de critique mais plutôt critique. Pour ainsi (sou)peser les avantages et les inconvénients du nouveau programme de riposte communautaire qui vous est (re)eprésenté, encore une fois, par vos lieutenants. Afin d’en appréhender, ainsi, ses points forts et ses points faibles, tous ses contours, avant de (re)lancer vos troupes sur un autre front de guerre communautaire ? Car perdre un combat, comme cela semble être le cas présentement en changeant de fusil d’épaule comme vous le faites, n’est pas perdre la guerre, certes.
Mais perdre deux batailles, trois batailles… pourrait, in fine, s’avérer fatal à votre armée et se traduire chez la population par cette hécatombe par rapport à laquelle tous les esprits de bons sens sonnent l’alerte et se préparent incessamment. La preuve à ce jour, le Sénégal détient le triste palmarès de premier dauphin, parmi les pays de la Zone ouest africaine qui décompte le plus grand nombre de morts de ou avec la COVID 19. Avec 250 morts, juste derrière le Nigéria qui est à 950 morts, les plus pessimistes et les plus réalistes, d’entre nous, qui font des projections respectivement alarmistes et alarmantes sont, tous deux, sur le même scénario catastrophe que le pire est à venir. Cela, si une réponse communautaire adaptée n’est pas vite trouvée afin de freiner ce fléau communautaire du Coronavirus.
Par vos décisions stratégiques, M. le Ministre, dans votre mission régalienne de protéger les populations, c’est toute votre responsabilité et seulement votre responsabilité qui est engagée. À ce propos, la grande décision, de démultiplier le nombre de volontaires communautaires que vous venez de prendre là concernant un changement de cap dans la riposte communautaire du Sénégal contre la COVID 19, a-t-elle été :
– suffisamment, rigoureusement et méthodiquement, pensée ;
– argumentée et structurée dans sa conception, dans sa planification, pour sa mise en œuvre et pour son évaluation (à mi-parcours et finale).
Allons (sa)voir !
Déroute du biltzKrieg (guerre éclair), mise en route du Krieg der Zahlen (guerre du nombre)
Dans la guerre contre la maladie du Coronavirus au Sénégal, les termes de riposte communautaire et d’engagement communautaire ont été brandis, à juste raison, comme armes alternatives ; à défaut d’armes médicales. Cette réflexion ou ce réflexe a habité les acteurs de la lutte contre la pandémie dès mars 2020 déjà, avec l’apparition du premier cas communautaire le 21 mars 2020 précisément. 20 jours à peine, après le débarquement du virus ennemi dans notre pays le 2 mars 2020, semant la peur générale.
Une panique généralisée, compréhensible lorsqu’on sait que la transmission communautaire se produit lorsqu’une personne contracte la COVID 19 d’une source inconnue et qu’un lien épidémiologique ne peut être établi. En d’autres mots, c’est lorsque le virus se propage au sein même d’une communauté, allant d’une personne à l’autre. Aussi, dès lors que le coronavirus a mué de sa nature médicale pour adopter une nature communautaire, alors la prise en charge de la pandémie a changé d’un protocole de traitement médical en un protocole de réponse communautaire. Suivant le fameux slogan, justement, théorisé par mes étudiants de l’ESEA ex ENEA : « À problème communautaire, réponse communautaire ».
Ainsi, une fois que l’approche communautaire est évoquée ou invoquée comme démarche de la stratégie de réponse communautaire à apporter, on a assisté à un déploiement, tous azimuts, de tout type de communautaires dans une marche communautaire.
Jeunes des ASC, étudiants, filles des groupements, notables, religieux, politiques, sportifs, artistes, badienou Gokh, éléments de santé communautaire, acteurs communautaires, acteurs de la société civile… En un mot, le tout communautaire est (re)sorti de toutes parts, comme une trainée de poudre, pour cannibaliser le champ de la bataille communautaire. Avec cette rapidité par laquelle la guerre communautaire contre la COVID 19 a été déclenchée, il n y a pas de doute que c’est la tactique du blitzkrieg ou guerre éclair qui a été conduite comme premier assaut pour freiner rapidement l’invasion des cas communautaires.
Au regard de son style de mise en œuvre par maillage du terrain, ce dispositif communautaire repose sur deux constantes : une variété des forces constitutives et un engagement communautaire indiscutable des acteurs. En atteste la manière spontanée, désintéressée et déterminée par laquelle ils ont rejoint le combat. Un sur-investissement qui n’a d’égal que la puissance du sursaut communautaire qui les a animés en ce moment de guerre contre le Coronavirus. Mais, l’avantage de l’expression d’une énergie débordante est, le plus souvent, atténué par l’inconvénient de l’esprit amateuriste qui l’accompagne.
Aussi dans le cas du premier round de la stratégie communautaire contre la pandémie, l’euphorie et l’enthousiasme des acteurs ont été générateurs d’improvisation et de cacophonie dans la démarche. De ce fait, cette phase durant laquelle les dirigeants et les militants de la lutte contre la COVID 19 s’imaginaient que la foi seule suffisait à soulever les montagnes et que seul comptait l’idéalisme, s’est révélée finalement plus grisante que payante. La preuve, malgré ce départ qui a été noté dans la réactivité communautaire du 21 mars à aujourd’hui en toute vitesse et avec le vent en poupe, quel résultat a produit la riposte communautaire ?
Le résultat Pas du tout fameux au plan statistique car pour ce qui est des cas communautaires répertoriés, le Sénégal est aujourd’hui à plus de 1600 cas, à raison de 400 nouveaux cas en moyenne par mois. S’il est avéré, selon les lois de la probabilité, qu’un cas communautaire infecterait au moins 10 personnes avant d’être mis hors état de contamination, ces chiffres officiels se démultiplieraient alors pour monter officieusement à 16.000 cas au total. À ce rythme, le Sénégal est ou serait littéralement envahi, avec des transmissions provenant de n’importe quel coin et recoin de nos communautés. La preuve aujourd’hui, toutes les localités sénégalaises, même les plus reculées, sont infectées de cas communautaires, avec pour épicentres Dakar, Touba et Thiès.
Mais comment cela se fait-il malgré cette sur-action ou cet activisme communautaire qui grouille de partout ? L’explication se trouve dans le fait que le principal obstacle, qui a brisé l’élan de ce décollage en trombe de la réponse communautaire et qui a empêché aux volontaires communautaires et aux autorités de la lutte contre la COVID 19 de tirer grand profit de cette phase favorable d’engagement communautaire, est que les responsables n’ont pas su conjuguer le temps de la réflexion avant le temps de l’action. Afin de concevoir une stratégie globale, déterminer une démarche opérationnelle et établir un plan de mise en œuvre articulé. En terme scientifique et technique, nous aurions parlé de la mise en cohérence d’un mode d’intervention, d’une méthodologie d’intervention et d’un modèle d’intervention.
De même, une fois reconnu et salué l’engagement communautaire des différents acteurs de la communauté qui se sont levés comme un seul homme pour barrer la route au Coronavirus, réaliste est de reconnaître deux viatiques : la seule volonté ne saurait, par la magie du temps, finir par remplacer la parfaite maîtrise ; l’habitus ne saurait, par extraordinaire à force, se transformer en expertise. Sous ces rapports, rendons-nous à l’évidence qu’être acteur communautaire ne se décrète pas. Aussi, on ne se lève pas un beau jour et s’improviser communautaire et se mettre à organiser des activités de sensibilisation, de communication sur la COVID 19, même si on est animé de toute la bonne intention du monde. Or à ce que je sache, les jeunes des quartiers, les ASC, les associations de femmes, les partis politiques, les femmes des groupements, les différents corporatistes… n’ont pas été forcément formatés à l’action communautaire, à la communication de changement d’attitude et de comportements. Les deux piliers de la réponse communautaire à opposer à la COVID 19. D’où la nécessité de canaliser toute cette énergie communautaire qui est un trésor communautaire en une synergie communautaire au service de la riposte communautaire contre le Coronavirus.
Cela apparait comme la volonté reconnue ou subie de la part des autorités de la lutte contre le coronavirus lorsque, ce 30 juillet 2020, elles en sont venues à accepter de modifier de stratégie communautaire. La limite de l’approche du blitzkrieg est ainsi reconnue ; mais pour autant la stratégie du krieg der sharen, nouvellement adoptée, est (re)levée en pertinence jusqu’à quel point ? Autrement dit, jusqu’à quel niveau est opéré un renoncement qualitatif de l’ancienne stratégie au profit de la nouvelle ? Car de l’audace et de la profondeur du (re)virement (entre)pris, dépend le succès de la nouvelle approche envisagée. Qu’en est-il ?
Autre fusil, à la mauvaise épaule
En misant principalement sur le nombre de volontaires communautaires à enrôler pour remporter la bataille communautaire contre le coronavirus, les responsables en charge de la lutte contre la COVID 19 font le pari de la quantité sur la qualité. Or, le problème de la tactique communautaire jusque-là utilisée a péché, non pas sur la forme mais, plutôt sur le fond. En effet, on a jusque-là amené les communautés à savoir le virus et non à agir contre le virus ou, plutôt, à connaître le virus et non à combattre le virus.
Le message transmis aux acteurs engagés dans les communautés pour qu’ils le (re)transmettent au sein des communautés est encore et toujours un message de persuasion et non un message de l’action. En effet, que cela soit affiché sur des supports divers (radio, télé, affiches…), que cela soit dit par des personnes différentes (artistes, religieux, notables, politiques, sénégalais lambda, personnels de santé, acteurs communautaires…), que cela soit véhiculé en des lieux diversifiés (marchés, gares routières, écoles, lieux de travail, stades, mosquée, églises, dans les quartiers, dans les villages, à l’intérieur des maisons…) et surtout que cela soit dispensé, partagé, enseigné dans les modules conçus à cet effet, à travers des sessions de formation, des ateliers, des séminaires. Qu’importe, le message principal ne change pas du tout et reste immuable jusqu’à présent. Il porte encore et encore et toujours sur l’identification des signes de la maladie et sur l’importance du respect des gestes barrières.
Aussi le problème de la réponse communautaire ne se situe pas à un niveau superficiel, mais il est incrusté à l’intérieur du système de lutte communautaire contre la COVID 19. Pour l’extirper et le solutionner durablement, on ne peut pas, tout juste, se contenter de poser des petits pas, comme on est en train encore d’en faire, en espérant faire bouger, même si c’est mollement, la perspective. Au contraire, il faudra arpenter de grands pour renverser la tendance. Cela demande de l’audace, de l’ouverture, des moyens, mais aussi et surtout de l’expertise ou des expertises. Ce qui existe ici au Sénégal mais semble encore pas suffisamment exploité. Il faut aller chercher cette connaissance jusqu’en Chine, et vous n’aurez même pas besoin de faire ce grand voyage-là car elle est déjà là, un peu au-delà de votre cercle restreint. Et face aux enjeux de vie ou de mort que nous (im)pose la COVID 19, le jeu en vaut largement la chandelle. Donc, Général Diouf Sarr, c’est sur le front avancé du combat qu’on vous attend pour porter nos troupes sur les lignes de la victoire et assurer à nos populations la (sur)vie communautaire !
Car c’est comme un pied de nez fait que les cas communautaires semblent faire à la nouvelle approche de riposte communautaire proposée par les autorités de la lutte contre la COVID 19.
En effet, à peine lancé en grande pompe (par la médiatisation), en grand nombre (12. 000 volontaire communautaire (re)lâchés mobilisés et avec grand(s) espoir(s) de circonscrire, de ralentir et de stopper la chaine de transmission communautaire, voilà que 5 jours seulement et, pour la première fois dans l’histoire de la situation de la COVID 19 au Sénégal, les cas communautaires dépassent les cas contacts et les cas importés. Ce 04 Août 2020, il est dénombré 27 cas communautaires contre 16 cas contacts et 0 cas importé. Ne serait-il pas là un signe prémonitoire d’une approche de réponse communautaire biaisée, dès sa mise en pratique. Trop tôt encore pour l’affirmer objectivement !
Attendons donc de (sa)voir quels vont être, dans les prochains jours et les prochains mois, les résultats communautaires de cette nouvelle riposte communautaire essentiellement bâtie autour du (sur)nombre de volontaires communautaires (ba)lancés dans les communautés sénégalaises ?
Falilou BA,
Enseignant-chercheur à l’ESEA ex ENEA
Dr en Sciences de l’Information et de la Communication d’Aix-Marseille Université
Spécialiste de communication de changement d’attitudes et de comportement.
Lauréat du Prix de la Meilleure Recherche en Protection de l’Enfance de France 2019