Entre amateurisme, gaspillage de ressources financières et stagnation des cas guéris de Covid-19, les autorités sanitaires semblent de plus en plus se perdre dans le long et périlleux chemin pour venir à bout de la pandémie. Un ex-pensionnaire du hangar des pèlerins met à nu les incohérences et les mauvaises conditions de prise en charge.
La course folle vers la déroute se poursuit au ministère de la Santé et de l’Action sociale, dans la croisade que le département avait juré de mener contre la pandémie de Covid-19. Depuis les premières mesures d’assouplissement prises le 11 mai dernier, le pays ressemble plus à un navire sans commandant de bord dans sa guerre contre le nouveau coronavirus. Ça va dans tous les sens et ce sont les malades qui trinquent.
Interné, il y a quelques jours, au hangar des pèlerins de l’aéroport Dakar-Yoff, ce guéri de la Covid-19 revient sur le calvaire vécu dans cet endroit qu’il assimile à une prison. Il déclare : ‘’Je m’étais volontairement rendu à l’hôpital, tout seul, pour faire un test ; parce que j’avais quelques symptômes. J’avais perdu et le goût et l’odorat. Mais si c’était à refaire, je ne l’aurais jamais fait. Je préfère m’isoler chez moi et me prendre en charge tout seul.’’
Ce témoignage remet au goût du jour la problématique de la prise en charge à domicile, pourtant annoncée depuis le 2 juillet, à l’occasion du dernier point mensuel. Le docteur Abdoulaye Bousso parlait déjà d’un réajustement de la stratégie centré sur les malades et la protection des personnes vulnérables (personnes âgées, celles vivant avec des maladies chroniques ainsi que les détenus). ‘’L’idée, disait-il, est de mettre l’accent sur ces cibles et de maitriser l’épidémie et ses conséquences négatives’’.
Une proposition à l’époque approuvée par certains observateurs, parce qu’étant la plus viable – pour ne pas dire la seule viable – vu le nombre galopant de nouvelles contaminations et les capacités très limitées des établissements sanitaires.
Des milliards dans le vent
Mais dans la mise en œuvre du processus, plein d’interrogations restent en suspens. Au hangar des pèlerins, ils sont des dizaines de cas asymptomatiques ou peu symptomatiques rongés par le stress quotidien, selon notre interlocuteur. Pour lui, les conditions de prise en charge sanitaire laissent à désirer. Des personnes qui dépriment ; de gros gaillards qui n’arrivent plus à supporter le poids de la solitude… S’y ajoute un environnement favorable à la circulation du virus, regrette cet ancien pensionnaire. Qui peste : ‘’Il n’y a même pas d’assistant social ou de psychologue pour accompagner les malades qui en ont vraiment besoin. Il faut être très fort pour vivre dans ces centres.’’
A l’en croire, les autorités gagneraient à matérialiser davantage la promesse d’une prise en charge à domicile. Il explique : ‘’Je ne vois ni l’intérêt ni la pertinence d’enfermer des personnes qui ne se sentent pas malades et de les entretenir à coups de millions de francs CFA. Cela n’a pas de sens. Personne n’est assez bête pour mettre en danger sa famille, au cas où il se sait contaminé. Moi, si on m’avait permis de rester chez moi, j’aurais bien pu me prendre en charge tout seul. Et l’Etat pourrait ainsi économiser beaucoup d’argent.’’
Au-delà du gaspillage des maigres ressources dont dispose le pays, la pertinence de la stratégie est plus que douteuse. Pourquoi interner des cas asymptomatiques ou peu symptomatiques dans un pays où presque tous les citoyens sont des potentiels porteurs, dans un pays où ni mesures barrières, encore moins de confinement n’est effectif ? Pour notre cas d’espèce, après avoir été testé positif, rien n’a été fait pour identifier et prélever ses contacts. Même les membres de sa famille n’ont fait l’objet d’aucun dépistage.
Sur cette question, le Dr Bousso avait bien annoncé la couleur, début juillet, soutenant que le test ne serait plus systématique pour les personnes contacts. Mais il avait tout de même prétendu que ces derniers vont faire l’objet d’un suivi. Ce qui ne semble pas du tout s’appliquer sur le terrain. ‘’Ils ne savent même pas où j’habite’’, renseigne le témoin. Avant d’ajouter : ‘’De plus, moi, j’ai fait le test le mercredi matin ; ils ont attendu le vendredi soir pour donner les résultats, soit plus de 48 heures plus tard. Entre-temps, j’ai déambulé partout, à Rufisque, à Thiaroye… Mais comme je vous l’ai dit, même mes proches n’ont pas été testés. Maintenant que je suis déclaré guéri, je vais retourner auprès de ces personnes. A vrai dire, je ne sais même pas si j’ai une fois été positif ou non.’’
Les limites de la détection par le thermo-flash
Aussi, le bonhomme est revenu sur les conditions sanitaires délétères dans ledit centre de traitement. Aux toilettes, renseigne-t-il, les occupants utilisent les mêmes accessoires. ‘’Ce sont des toilettes communes. Donc, nous partageons les mêmes accessoires : les seaux pour se laver, l’endroit où l’on fait nos ablutions, les poubelles. On partage tout. Ce n’est pas normal, à mon avis, parce que tout ça ce sont des vecteurs potentiels de la maladie’’, dénonce-t-il.
Ainsi, quoi qu’il advienne, cet ancien pensionnaire du hangar des pèlerins n’envisage pas de retourner dans les centres de traitement. Sauf en cas de situation sérieuse. ‘’Je vais vous donner un conseil, dit-il : si vous connaissez quelqu’un qui a des symptômes, ne lui conseillez pas d’aller à l’hôpital. Vivre dans ces conditions, c’est pire que de vivre avec le coronavirus. Cette ‘hospitalisation’ n’a pas de sens. Moi, je n’allais jamais prendre le risque de mettre en danger ma famille’’.
Toutefois, tient-il à souligner, le problème n’est pas une question de nourriture. Dans le centre, ils mangent très bien. Au petit-déjeuner, ils ont droit à des croissants, du pain, du café et du lait. Au déjeuner et au diner, ils ont le choix sur plusieurs mets assez copieux. ‘’Mais rien ne vaut la liberté’’, s’empresse-t-il de préciser.
Par ailleurs, fait-il savoir, dans le centre de traitement, la plupart des patients souffrent plus de l’anosmie et de l’agueusie, comme le révélait le professeur Moussa Seydi, au dernier point mensuel de la situation. ‘’Presque tous ceux qui sont là-bas ont ces deux signes. Il y a aussi les maux de tête. Mais pour l’essentiel, c’est la perte du goût et de l’odorat. En ce qui me concerne, même le jour où on me faisait le test, je n’avais pas de fièvre. A l’hôpital, le thermo-flash avait affiché une température normale’’.
Dans ce centre où il n’y a que des cas asymptomatiques ou peu symptomatiques, la durée moyenne d’hospitalisation est estimée entre 10 et 16 jours par notre interlocuteur. ‘’Mais certains y passent plus de 20 jours. On m’a même dit des cas qui ont fait plus de 30 jours dans le centre. Il faut aussi savoir que les pensionnaires ne sont traités que pour une durée de cinq jours. Même si tu n’es pas guéri au bout de ces cinq jours, on te fait juste des tests, jusqu’à ce que tu sois négatif’’.
Avec ce témoignage, l’on est aussi tenté de s’interroger sur l’efficacité supposée de la chloroquine. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le médicament de Pr. Seydi et de Didier Raoult est loin de faire des miracles. Interpellées sur ces dernières affirmations, des sources médicales relativisent et assurent que tout est fonction de l’organisme des uns et des autres et de l’évolution de la maladie. ‘’Si nous constatons qu’au bout d’un certain nombre de jours, l’organisme réagit bien, on peut cesser le traitement. Même s’il faut attendre que la personne soit testée négative pour la faire libérer’’.
Sur la durée moyenne d’hospitalisation, il confirme : ‘’Nous sommes à une moyenne de 15 jours.’’
A ce propos toujours, et en ce qui concerne l’efficacité du traitement, il faut noter un certain ralentissement du taux de guérison, depuis quelques jours. Pendant que le nombre de cas sous traitement ne cesse de croître, le nombre de personnes guéries marque le pas, quand il ne régresse pas. Sur les neuf derniers jours, une seule fois la barre des 100 guéris a été atteinte. C’était le 28 juillet, avec 114 guérisons contre 3 015 cas sous traitement. Pour le reste, la fourchette varie entre 16 (hier) et 73 (le 25 juillet).
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