Emna Chargui a été condamnée, mardi, à six mois de prison ferme pour avoir partagé sur Facebook ” sourate corona”, une publication imitant le style du coran pour parler du Covid-19.
La justice tunisienne a condamné, mardi 14 juillet, la blogueuse Emna Chargui à six mois de prison ferme pour avoir relayé sur les réseaux sociaux une sourate du Coran, détournée afin d’inciter les gens à se laver les mains pour se protéger du Covid-19.
Cette jeune femme de 27 ans a été reconnue coupable d’atteinte à la religion et d’incitation à la haine, après avoir partagé le 4 mai sur le réseau social cette publication intitulée “sourate corona”. Neuf mois après l’arrivée au pouvoir du président Kaïs Saïed, son procès avait une valeur de test pour la liberté d’expression en Tunisie.
Le 4 mai dernier, la blogueuse avait été convoquée par la police judiciaire et deux jours plus tard, elle passait devant la justice pour atteinte à l’article 6 de la Constitution tunisienne édictant que “l’État protège la religion” et “le sacré”. Sept membres du bureau d’un procureur public l’avaient alors soumise à un interrogatoire serré. Le 7 mai, elle a été inculpée pour “incitation à la haine entre les religions en utilisation de procédés hostiles ou de violence” en vertu de l’article 52 du décret de loi relatif à la liberté de la presse.
Des menaces de mort et de viol
La jeune femme a également dû faire face à des menaces de mort, des intimidations, des appels au viol relayés sur les réseaux sociaux. Interrogée le 28 mai par France 24, Emna Chargui se disait effrayée et dépassée par les événements.
“J’ai vraiment peur car je n’avais aucune mauvaise intention, je ne pensais pas que cela prendrait une telle ampleur et qu’on en arriverait à des menaces. Je ne bénéficie d’aucune protection donc j’en suis arrivée au point d’avoir peur pour ma propre vie. Je n’ai plus d’avenir en Tunisie. Je n’y suis plus en sécurité”, confiait-elle. Néanmoins, le jour de reprise de son procès début juillet, Emna Chargui expliquait à France 24 vouloir “défendre jusqu’au bout la liberté d’expression” et “assumer le partage de la publication”.
Depuis le début de cette affaire, Emna Chargui a bénéficié du soutien de plusieurs associations de défense des droits humains qui estiment que détourner le Coran pour sauver des vies n’a rien d’illégal. Le 27 mai, Amnesty international appelait les autorités tunisiennes à “mettre un terme aux poursuites engagées contre Emna Chargui” et à “enquêter sur les menaces inquiétantes de mort et de viol qu’elle reçoit et à assurer sa protection.”
Plusieurs procès médiatiques pour “atteinte au sacré”
Interrogée par France 24, la représentante de la Fédération internationale pour les droits humains à Tunis, Khitem Bargaoui, avait aussi estimé que ce procès n’avait “pas lieu d’être”. “Le procès qui devrait se tenir devrait être celui contre ceux qui ont appelé à violer et tuer Emna”.
“On peut comprendre que le texte heurte des sensibilités mais pas que cela aboutisse à un procès. En plus, il faut bien souligner qu’Emna n’a pas produit ce contenu, elle l’a juste relayé. Elle a voulu faire circuler des informations très importantes sur le virus, de manière différente, avec humour. C’est très décevant de vivre cela en Tunisie”, avait déploré Khitem Bargaoui.
Cette affaire n’est pourtant pas une première en Tunisie, qui a déjà connu des procès médiatiques pour “atteinte au sacré”. En 2012, Jabeur Mejri et Ghazi Béji ont été condamnés à sept ans de prison pour “atteinte à la morale, diffamation et perturbation de l’ordre public” après la publication de caricatures du prophète Mahomet sur Facebook. La même année, l’homme d’affaires Nabil Karoui était jugé pour “atteinte au sacré”, après avoir diffusé sur sa chaîne de télévision, Nessma TV, le film de la réalisatrice franco-iranienne Marjane Satrapi “Persépolis”.
France24 avec AFP