Monument incontesté du transport en commun au Sénégal, ses prénom et nom ont progressivement remplacé, dans la conscience collective, la Mercedes-Benz 508d allemande.
Au paroxysme de sa grandeur, son parc automobile va dépasser 350 véhicules ralliant régulièrement Dakar aux principales régions du Sénégal. Pour bâtir cet empire, Ndiaga Ndiaye fera du travail un sacerdoce, de la rigueur un crédo et du social un divin divertissement.
Au Sénégal, il est impossible de parler de transport en commun, sans que le nom de Ndiaga Ndiaye ne s’impose. Dans pratiquement toutes les contrées du Sénégal, ses centaines de cars vont et viennent desservant des milliers et des milliers de Sénégalais. En 1986, le nombre de ses cars était estimé à 355 unités. Monopolisant près de 90% du réseau des transports, Ndiaga Ndiaye va définitivement marquer d’une empreinte indélébile ledit secteur. A son apogée, il était difficile d’attendre au bord d’une route nationale plus de dix minutes sans qu’un « Ndiaga Ndiaye » ne passe. Aujourd’hui encore, dans les principales gares routières, on a le choix entre plusieurs catégories de véhicules dont forcément un « Ndiaga Ndiaye ». Même dans la presse, les prénom et nom du célèbre transport ont fini par remplacer le véritable nom du car fabriqué par les allemands. Dans les reportages, filmés ou écrits, il est toujours question de « Ndiaga Ndiaye » en lieu et place de car Mercedes-Benz 508d. Pour arriver à cette prouesse, Gorgui, comme l’appellent affectueusement ses enfants, s’est privé très tôt de grâce matinée, se levant avant que les coqs ne chantent.
LE TRAVAIL, UN SACERDOCE
Né en 1931 à Darou Mousty, une ville située dans la région de Louga et distante de Touba de 25 kilomètres, Ndiaga Ndiaye perd sa mère à l’âge de 2 ans. Son père, cultivateur joignant difficilement les deux bouts mais fervent croyant et irréductible mouride va l’envoyer étudier le Coran à Taif dans un dahra appelé Irada. Imprégné des écrits sacrés, le jeune Ndiaga Ndiaye qui se voyait un autre destin, va « s’exiler » à Mbacké. Pour lui, au de-là de l’agriculture qui dépend essentiellement de la pluie, l’exercice d’un autre métier était possible. Passionné de véhicule et pensant souvent à son Darou Mousty natal, Ndiaga Ndiaye va devenir apprenti-chauffeur alors que le nombre total de véhicules, circulant à cette époque à Mbacké, ne dépassait pas la dizaine. Ainsi, durant des années, il sera cultivateur durant l’hivernage et apprenti-chauffeur pendant la saison sèche. C’est en s’agrippant derrière les taxi-brousses qu’il fera la connaissance de feu Serigne Bara Mbacké (ancien Khalife général des mourides) avec qui il entretiendra des relations qui finiront par lui assurer la protection de Serigne Fallou Mbacké, deuxième Khalife général des mourides. C’est à Saint-Louis, en 1955, qu’il finira par décrocher le permis de conduire derrière lequel il courrait des années durant.
LA RIGUEUR, UN CREDO
Ndiaga Ndiaye s’est imposé en travaillant dur. Ne sous-estimant pas ses possibilités et dégageant un sérieux qui a fini par convaincre son entourage, il va tout de suite prouver qu’il a une mission à remplir. Permettre aux sénégalais de se déplacer à l’intérieur du pays. Alors que les charrettes n’étaient pas encore démodées, demeurant le moyen de transport le plus usuel des sénégalais, il choisit de faire de l’axe Dakar-Darou Mousty un trajet quotidien. Ainsi, Tous les matins, il partira de la ville religieuse convoyant à Dakar des dizaines de passagers, avant de revenir le soir avec d’autres. Pendant 19 ans, il assurera la connexion entre Dakar la capitale et Darou Mousty sa ville natale. Ndiaga Ndiaye, toujours au volant de son véhicule, va, au fil des ans, acquérir des dizaines et des dizaines de cars, grâce notamment à des économies qu’il se forçait à faire. Assurant lui-même la coordination, en cette période où le portable n’existait pas encore, il fixait les trajets ; choisissait les chauffeurs ; s’occupait des versements ; achetait de nouveaux véhicules etc. Comprenant que le suivi était primordial pour des véhicules pas forcément aidés par les routes dégradées, il va ériger, très tôt, deux garages mécaniques, de plusieurs dizaines de mètres carrés, où il place les mécaniciens les plus réputés du Sénégal. En 1985, le président Abdou Diouf lui décerna la médaille de l’Ordre National du Lion. Le remerciant indirectement pour le service public que ses cars ont assuré durant la grève des travailleurs de la Sotrac. Aujourd’hui qu’il a lâché le volant pour le téléphone portable, il supervise tout depuis son garage, sis à Fass Mbao. Pour réussir à faire tout ceci, Ndiaga Ndiaye s’est d’abord imposé une rigueur sans commune mesure et une stoïque hygiène de vie. Très attaché à la prière, il se lève bien avant que les muezzins n’appellent les fidèles. Pape Moussa Ndiaye, son fils qui coordonne les travaux au garage situé à Thiaroye, n’oublie toujours pas leur fameux rendez-vous dans ledit garage. « Je suis arrivé à 5 heures 25, il a crevé les quatre pneus de mon véhicule avec son couteau» se rappelle t-il. « Pourtant, témoigne toujours Pape Moussa, c’est moi-même qui me suis payé cette voiture ». Malgré ses centaines de cars, Gorgui ne fait pas de cadeau à ses enfants. Comme lui qui n’a hérité de son père qu’un bonnet, il tient à ce que ses enfants travaillent dur. Pape Moussa Ndiaye est devenu chef de ce garage après avoir obtenu son baccalauréat et fait des études supérieures de formation professionnelle. C’est alors qu’il commençait un stage à la Senelec, que son père fit appel à lui, non pas pour lui confier un bureau mais, pour la supervision des travaux mécaniques. C’est seulement une fois les rouages maitrisés, les rudiments assimilés que des responsabilités importantes lui seront confiées. Aujourd’hui il indique avoir plusieurs bus.
LE SOCIAL, UN DIVIN DIVERTISSEMENT
Avec le travail Ndiaga Ndiaye ne badine pas. Mais cette rigueur n’entache en rien sa grande générosité. Transporter les sénégalais n’est pas la seule bienfaisance dont il s’acquitte. Tous les jours, des piles d’ordonnances l’attendent et à la maison et au garage. Sans chercher à savoir si ces quémandeurs quotidiens sont sincères ou pas, il donne sans s’indigner. Les lundis et les vendredis, les populations se bousculent au garage de Fass Mbao, attendant que sa généreuse main leur vienne en aide. Khady Seck, qui s’occupe aujourd’hui de la restauration dans le garage, travaillait au départ pour son propre compte en vendant directement les repas. Elle raconte qu’un jour, alors qu’elle demandait, à un apprenti qui lui devait de l’argent, de lui payer, Ndiaga Ndiaye qui était présent décida qu’à partir de ce jour-là c’est lui qui payait tous les jours, tous les plats. C’était le début d’une collaboration que les années n’ont pas altérée. Aujourd’hui, la dame Khady Seck ne cuisine que pour les travailleurs du garage de Thiaroye. Ndiaga Ndiaye a aussi pistonné de nombreux transporteurs qui jadis étaient ses chauffeurs. A travers des facilités qu’il leur a accordées, ces derniers ont aujourd’hui acquis une solide renommée fondée sur un parc automobile bien garni.
Avec l’âge, Ndiaga Ndiaye est de moins en moins impliqué, laissant ses enfants prendre de progressivement la relève. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui assureront le remplacement des cars en bus Tata. Djiby Ndiaye, un autre de ses enfants, est à la tête d’un des plus importants parcs de bus Tata du Sénégal. Aujourd’hui âgé de 83 ans, Ndiaga Ndiaye demeure plus que jamais solide sur ses deux jambes, incarnant ce modèle qui à partir de rien, réussit à bâtir tout un empire.
Mame Birame WATHIE