Déficitaires, lourdement endettées et ne disposant pas de trésorerie pour faire face à la crise, plusieurs compagnies nationales risquent de crasher à cause du coronavirus. Si, pour certaines, des restructurations sont possibles et nécessaires, pour d’autres, les faillites ne sont pas à écarter.
Au moment où les déconfinements se multiplient un peu partout dans le monde, une lueur d’espoir se profile pour les compagnies aériennes. Celles-ci espèrent une ouverture rapide des frontières et la reprise des vols pour leurs flottes clouées au sol depuis trois mois, voire davantage.
Sur le continent africain, les conséquences du Covid-19 sur les transporteurs risquent d’être catastrophiques. De nombreux pavillons nationaux risquent de ne pas survivre à la pandémie. Et ceux qui arrivent à s’en sortir devront passer par des restructurations douloureuses qui laisseront sur le carreau de nombreux employés.
Il faut reconnaître que l’aérien est certainement le secteur le plus touché par la pandémie au niveau continental. La fermeture des frontières a cloué au sol plus de 95% de la flotte totale des compagnies africaines.
Déjà structurellement fragiles, de nombreux pavillons qui ne survivaient que grâce à des perfusions d’argent public risquent de succomber. Et pour cause, les Etats africains qui font face aux impacts sanitaires et économiques de la crise du coronavirus ne font plus de leurs sauvetages une priorité. Du coup, les risques de faillites ne sont pas à écarter pour des compagnies structurellement vulnérables, sachant que seules dix d’entre elles réalisent des bénéfices.
En effet, selon les dernières données de l’Association africaine des compagnies aériennes (AFRAA), partant des pertes enregistrées depuis le début de l’année et des projections sur le reste de l’exercice en cours, les transporteurs aériens du continent pourraient accuser une perte de chiffre d’affaires estimée à 8,1 milliards de dollars en 2020. Les plus grandes compagnies seront les plus affectées en termes de perte de chiffre d’affaires. Il s’agite de Ethiopian Airlines, South African Airways, Egyptair, Royal Air Maroc, Kenya Airways, Air Algérie, Air Maurice et Tunisair.
Sachant que les compagnies du continent ont globalement des niveaux de liquidité ne dépassant pas deux mois d’exploitation, on comprend que quasiment toutes sont menacées.
Du coup, leurs patrons ne cessent de multiplier les sollicitations auprès des pouvoirs publics.
Toutefois, débordés par la crise du coronavirus et les dépenses imprévues occasionnées par celle-ci, ces pouvoirs publics ont d’autres urgences que d’accorder de nouvelles subventions à des entreprises qui se sont révélées des gouffres financiers au cours de ces dernières années.
En Afrique du Sud, ce sont tous les transporteurs du pays qui sont dans la tourmente. South Africa Airways, en proie à une crise aiguë depuis une décennie, devrait laisser la place à une nouvelle compagnie nationale. Toutefois, un tribunal saisi par des syndicats a décrété illégaux le plan de licenciement annoncé en avril et le lancement d’une nouvelle société. La survie de l’entreprise reste néanmoins une équation de taille à résoudre, puisque le gouvernement refuse pour le moment de renflouer une énième fois le pavillon, en déficit depuis une décennie.
SA Express, après avoir échoué à redresser sa situation financière, a été mise en liquidation provisoire, fin avril, par la Haute cour de Johannesburg. Après 26 ans d’existence, elle devrait être la première compagnie publique du pays à être liquidée.
Pour sa part, l’autre opérateur sud-africain, Comair, qui opère sous la marque Kulula et est en proie à des problèmes de trésorerie à cause du Covid-19, espère redécoller à partir du 1er novembre prochain. Après 74 ans de profitabilité, il fait face à une crise aiguë provoquée par le coronavirus et a besoin de liquidité pour reprendre du service. Ce qui devrait se matérialiser par une reconfiguration de l’actionnariat de l’entreprise, qui exploite actuellement 27 avions. En attendant, les employés ont été mis en congé sans solde, et les procédures de licenciement se poursuivent.
Au Maghreb, si toutes les compagnies sont durement affectées par la crise, c’est la situation de Tunisair qui inquiète le plus. Elle traverse une zone de turbulence depuis plusieurs années à cause du poids des charges d’exploitation, notamment des charges salariales consécutives à un effectif pléthorique, et d’un endettement inquiétant. La société a versé les salaires et des primes en mars, avril et mai, mais la situation devient corsée, car elle ne peut survivre sans l’aide de l’Etat tunisien, dont les finances publiques ne sont pas bonnes depuis des années. Le recours au chômage technique n’est pas à écarter pour une partie du personnel.
Depuis 2010 et la «révolution de Jasmin», le transporteur n’a pas retrouvé sa rentabilité. La crise économique, le terrorisme —qui a touché le tourisme—, les effectifs pléthorique (7.500 employés pour le groupe) et la crise en Libye ont contribué à aggraver la crise.
L’Etat tunisien fait face à une crise économique aiguë et ne semble pas faire du redressement de la compagnie sa priorité. D’autant que cela nécessitera une suppression importante dans les effectifs de la compagnie, ce que les syndicats ne souhaitent pas entendre.
Du coup, certains pensent que sans plan de sauvetage, la survie n’est qu’une question de semaines. L’arrivée d’un opérateur ayant une envergure plus importante est annoncée. Qatar Airways et Turkish Airlines sont les noms les plus cités. Toutefois, les syndicats s’opposent à toute privatisation, assombrissant davantage l’avenir du pavillon national.
Concernant Air Namibie, son sort semble être scellé. En effet, le président namibien, Hage Geingob, a proposé la liquidation de la compagnie, qui est déficitaire et lourdement endettée. Il faut dire que depuis trois décennies, l’entreprise fondée en 1946 n’est qu’un gouffre financier se maintenant à flot grâce à la perfusion de l’Etat et à l’endettement (109 millions de dollars).
Le gouvernement namibien n’exclut pas une privatisation de la compagnie, qui aura besoin de 290 à 340 millions de dollars pour rétablir sa solvabilité et entamer un nouveau départ.
Quant à Air Mauritius, elle s’est placée en redressement judiciaire. L’horizon bouché sur la reprise du trafic aérien mondial n’offre que peu de perspectives dans les mois à venir, ce qui fait imaginer le pire des scénarios à l’équipe dirigeante. Et pour éviter la faillite, l‘entreprise envisage de se séparer d’environ 1000 employés, soit 50% de ses effectifs, afin de faire face aux pertes et survivre à la crise du Covid-19.
Bref, toutes les compagnies aériennes africaines sont durement affectées par la crise du coronavirus et ses impacts économiques. Seule lueur d’espoir, les professionnels du secteur envisagent une reprise à partir du troisième trimestre 2020. Une telle éventualité pourra sauver les opérateurs les plus solides dont Ethiopian Airlines, Egyptair, Royal Air Maroc, Air Algérie… qui devraient pouvoir compter sur des soutiens étatiques pour tenir jusqu’à une reprise qui risque de s’étaler dans le temps.
In fine, même pour ces compagnies, certaines restructurations ne sont pas à écarter. Les réductions de la taille des flottes, les licenciements, l’élimination de certaines liaisons jugées non rentables… feront partie des mesures envisagées.
Le360Afrique