CONTRIBUTION
C’est à se demander si le Comité scientifique mis en place par les pouvoirs publics depuis l’apparition du Coronavirus dans notre pays est régulièrement consulté et associé à la prise de décision pour la mise en œuvre du plan de riposte contre la maladie.
Personnellement, je pense que non ; sinon, pas assez. J’en veux pour preuve les risques énormes qui ont été pris à travers le convoyage, depuis Dakar, de plusieurs milliers d’enseignants sur toute l’étendue du territoire, en perspective de l’ouverture des classes d’examen, initialement prévue ce 02 juin avant d’être reportée sine die. Sachant que Dakar est l’épicentre de l’épidémie avec les 3/4 des cas positifs enregistrés jusqu’ici (soit 73,6 % selon les chiffres du ministère de la Santé et de l’Action sociale), comment a-t-on pu imaginer convoquer ces milliers d’enseignants en un point de collecte unique pour leur acheminement à l’intérieur du pays ?
Comment se fait-il qu’on n’ait pas tenu compte de la très forte probabilité de propagation du virus dans des localités qui étaient jusqu’ici relativement épargnées ? Il est en tout cas difficile d’imaginer que les experts du Comité scientifique, en particulier les représentants du corps médical, n’aient pu mesurer tous les risques liés à une telle décision.
Les dix cas positifs enregistrés parmi le personnel enseignant à Ziguinchor et à Bignona et qui ont finalement contraint l’Autorité à renvoyer le retour dans les classes jusqu’à nouvel ordre, n’ont en définitive rien de surprenant. Et on peut même craindre hélas le même scénario dans d’autres localités du pays.
Au vu de ces risques qui ont été pris si imprudemment, il y a lieu de s’interroger sur le processus de prise de décision. Cette interrogation est d’autant plus légitime que je ne comprends pas le silence de nos experts et autorités sanitaires sur l’activité au niveau de nos abattoirs, considérés comme étant des lieux propices à la propagation du Coronavirus dans de nombreux pays. A ce que je sache, pas une seule voix ne s’est élevée pour évoquer cette question alors que des foyers de contamination se sont développés dans les abattoirs en Allemagne, en France et aux Etats-Unis.
Et dans certains cas, la proportion de travailleurs infectés est très élevée. Dès lors, plusieurs questions taraudent l’esprit des scientifiques dans de nombreux pays. Les mesures sanitaires ne sont-elles pas suffisamment respectées dans les abattoirs ? Les conditions de travail y sont-elles pour quelque chose ? Le froid explique-t-il ce fort taux de contamination ? En tout cas, en Allemagne, près d’un millier de cas de contaminations ont été détectés dans des abattoirs depuis le mois d’avril. De même qu’en France, les foyers commencent aussi à se développer. C’est ainsi que 68 cas positifs ont été détectés dans un abattoir des Côtes d’Armor, une cinquantaine d’autres près d’Orléans et une vingtaine dans un abattoir de volailles en Vendée. La situation est encore plus alarmante aux Etats-Unis avec environ 5000 employés d’abattoirs ou d’usines de transformation de la viande testés positifs au Coronavirus.
On note également ce fort taux de contaminations dans les abattoirs de plusieurs autres pays comme l’Australie, le Brésil, l’Espagne, l’Irlande et le Canada. Confrontés à l’ampleur de ce phénomène, les experts de ces pays tentent de trouver une explication à cette propagation du virus spécifique à ce secteur d’activité. Et parmi les hypothèses qui sont avancées, certains relèvent que le froid qui règne dans les abattoirs et ateliers de découpe, associé à une atmosphère humide, pourrait être propice à la contamination. D’autant que le Coronavirus a de meilleures chances de survie sur des surfaces humides et à faible température. Le fait que cet air circule via les systèmes de ventilation pourrait donc être un facteur d’accélération de la contamination.
Or, il suffit de voir l’affluence qui règne tous les jours dans nos abattoirs et les innombrables contacts et transactions qu’elle favorise, aussi bien à l’intérieur que dans les abords, pour se rendre compte que ces lieux pourraient être un pôle d’éclatement du virus au sein de la communauté. Au moment où les cas de Covid-19 issus de la transmission communautaire se multiplient sans qu’on en sache la raison, notamment à Dakar et Touba où l’activité des abattoirs est particulièrement intense, nos experts devraient donc s’intéresser à ce secteur. Car, on ne le souhaite pas, mais nos abattoirs pourraient bien être des lieux très propices à la contamination au Coronavirus comme c’est le cas dans tous les pays précités.
Par ailleurs, le Gouvernement a décidé ce jeudi 04 juin de lever les mesures d’interdiction des déplacements inter urbains et de fermeture d’édifices tels que les restaurants et les salles de sport. De même qu’il a été décidé l’allègement du couvre-feu qui passe ainsi de 23 heures à 5 heures du matin.
Toutes ces mesures doivent être toutefois accompagnées par une surveillance accrue, par les forces de l’ordre, du respect strict des gestes barrières afin d’éviter qu’elles ne favorisent la propagation du virus. Je ne saurais terminer sans insister à nouveau sur un aspect de la riposte que j’ai déjà évoqué. Il s’agit de la fourniture en quantité suffisante d’équipements de protection individuelle (EPI) à l’ensemble du corps médical. Ce volet de la lutte contre la maladie est fondamental, vu que nos vaillants agents de santé sont particulièrement exposés. On en a eu la preuve récemment avec cinq agents testés positifs et malheureusement un décès à l’institut Pasteur. Or, il n’y a pas pire scénario que de voir le virus frapper de plein fouet les milieux hospitaliers. Car, tant que le personnel médical sera épargné, notre système sanitaire restera debout et l’on pourra toujours triompher du Coronavirus. Par contre, si l’épidémie devient intra hospitalière, il n’y aura plus aucun espoir de l’endiguer, encore moins de l’éradiquer.
Pape DIOP
Président de la Convergence Libérale et Démocratique/Bokk Gis Gis