CONTRIBUTION
Au 27 mars, 1 milliard 330 millions de francs CFA ont été remis au ministère de la Santé et de l’Action sociale par des individus, entreprises et organismes dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. Selon ce ministère, les dons octroyés seront versés au ministère des Finances et du Budget. Tout le monde semble apprécier les gestes de bonne volonté. Cependant, personne ne s’interroge sur la gestion, l’utilisation et le contrôle des fonds. Le contexte d’urgence ne doit pas nous empêcher de le faire et de rappeler la responsabilité du gouvernement par rapport au système de santé.
Nous sommes dans un système de gouvernance habitué aux malversations. Et les ministères demeurent parmi les principales poches de corruption. Du fait de la corruption, du gaspillage et de l’inefficacité, les Sénégalais ordinaires n’ont pas confiance dans la capacité du gouvernement à gérer correctement les recettes publiques. Les mécanismes pour la transparence et l’imputabilité comme les corps de contrôle des finances publiques, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif n’ont pas l’indépendance et la capacité de demander des comptes au gouvernement.
Le secteur de la santé, entre corruption et négligence
Le système de santé paie un lourd tribut à la corruption et à la mauvaise gouvernance. Les détournements massifs opérés par les gouvernements successifs ont privé le secteur de la santé d’investissements nécessaires, notamment dans les infrastructures, le matériel et le recrutement de personnel compétent et suffisant. C’est donc à cause de la corruption et de la mauvaise gouvernance que ce secteur se trouve aujourd’hui dans un état lamentable. Les hôpitaux publics prodiguent des soins de santé qui ressemblent à des pratiques vétérinaires. Seuls ceux qui n’ont pas les moyens y vont. À défaut de pouvoir compter sur les ressources sanitaires publiques disponibles, beaucoup de Sénégalais n’attendent que l’intervention de Dieu pour les « sauver » du Covid-19.
Dans son discours à la nation du 3 avril à la veille de la fête de l’indépendance du Sénégal, le président Macky Sall a annoncé la mobilisation de « 64,4 milliards de francs CFA pour couvrir toutes les dépenses liées à la riposte contre le Covid-19 ». Le Sénégal semble subitement disposer de ressources financières ainsi que d’un programme pour renforcer le système de santé. Pourquoi seulement maintenant ? D’où vient l’argent et qui le contrôle ? Le président doit des réponses aux Sénégalais. Le président doit aussi des excuses pour n’avoir pas pris aux sérieux la santé des Sénégalais.
Aucun hôpital n’a été construit par l’État ces dix dernières années. Aucun investissement majeur n’a été réalisé pour améliorer la qualité du système de santé. Dans le même temps, on a vu des stades construits ainsi qu’un TER (Train express régional) qui semble être enterré avant son émergence. Le complexe sportif “Dakar Aréna”a coûté 66 milliards de francs CFA, l’arène nationale de lutte 32 milliards, sans parler du TER (856 milliards pour 36 km). Des projets folkloriques extrêmement coûteux pour des gains électoralistes et de popularité, mais qui ne servent pas les Sénégalais ordinaires.
Lorsque charité bien ordonnée commence par les privilégiés
Les régimes qui se sont succédé au pouvoir ont toujours joui d’une reproduction systématique d’un privilège sanitaire, au détriment de l’intérêt général. Les membres du gouvernement ne vont pas dans les hôpitaux publics, mais préfèrent aller se soigner en France, au Maroc ou en Tunisie. L’État du Sénégal n’a jamais pris la peine de communiquer sur cette question. L’opinion publique sénégalaise devrait d’ailleurs exiger que les montants dépensés chaque année dans des hôpitaux et cliniques étrangers par l’État pour la santé des membres du gouvernement et de hauts fonctionnaires politisés soient au moins rendus publics.
L’évacuation de malades vers l’étranger est phénomène tellement banalisé qu’il est même devenu le fonds de charité de Marième Faye Sall, l’épouse du président. Plusieurs personnalités populaires en ont bénéficié. Ces actions de charité menées avec les ressources de l’État et outrancièrement médiatisées servent avant tout à améliorer l’image du couple présidentiel. Et celui qui ose dire que l’argent aurait pu être investi dans les hôpitaux du pays pour pouvoir servir à tous les Sénégalais, passe pour un méchant.
Faire autrement
Compte tenu de tous ces manquements, les ressources financières provenant de donateurs ne devraient pas être gérées par le gouvernement. En plus des risques de malversations, le ministère des Finances et du Budget souffre d’inefficacité due à la centralisation excessive du système de gestion des recettes et dépenses publiques. En contexte de propagation rapide du Covid-19, on a besoin de mécanismes flexibles et rapides en matière de prise de décision et d’opérationnalisation de celles-ci.
Un comité indépendant composé de membres de la société civile et de corps professionnels devrait être créé pour la gestion et l’utilisation des fonds. Il travaillerait en collaboration avec le ministère de la Santé. Pour rassurer les Sénégalais sur la transparence, une plateforme d’information sur les dépenses réalisées chaque jour devrait être mise en place.
L’infection communautaire est le type de propagation le plus redouté. Le comité pourrait travailler en même temps sur la sensibilisation, en s’appuyant sur des organismes locaux et d’autres relais pour un véritable travail communautaire, ce que le ministère de la Santé et de l’Action sociale ne sait pas faire.
Cette pandémie du Covid-19 doit permettre de revoir de fond en comble le système de santé, d’y investir pour un nouveau paradigme de gestion de qualité des hôpitaux et des urgences sanitaires.