Nous lui donnerons le prénom d’emprunt Amine parce qu’il ne souhaite pas subir de représailles. Chassé de son logement schaerbeekois par ses colocataires, Amine, 24 ans, s’ajoute à la liste des membres du personnel médical en Belgique qui subissent à plusieurs titres la crise sanitaire du coronavirus. La RTBF vous en parlait encore ce mardi : horaires à rallonge, risques de contamination et discrimination au logement sont devenus le quotidien des infirmiers et médecins qui prennent en charge les malades du Covid-19.
Un appel, à 8h30 du matin, pendant son service
Amine, lui, travaille dans deux hôpitaux bruxellois, aux soins intensifs, au plus près des personnes contaminées. Mais voilà, pour ses colocataires, avec lesquels il partage une grande maison, ce n’est plus possible ! “Cela fait trois-quatre ans que je vivais ici. Lundi matin, j’étais déjà au travail. Et à 8h30, un coloc m’a appelé pour me dire qu’on ne voulait plus de moi dans la maison“, témoigne l’infirmier auprès de la RTBF.
“J’étais en plein dans mon service, complètement déboussolé par l’annonce. Le ton était dur, agressif.” Sur le moment, impossible d’avoir des explications complémentaires, si ce n’est le fait qu’Amine est infirmier dans un lieu hautement à risque. Potentiellement, il pourrait ramener le Covid-19 au sein de la collocation.
Il n’y avait jamais eu de souci au sein de la colocation
“Mes colocataires, qui ne travaillent pas dans le domaine médical, connaissent malgré tout mon métier. J’ai commencé en septembre dernier après des études dans une haute école. Il n’y a jamais eu de souci au sein de la colocation. Et récemment, nous n’avions jamais parlé d’un quelconque problème lié au coronavirus. Au contraire, mes colocs m’encourageaient vu que j’étais en première ligne.” Amine est au contact, pendant de longues heures, avec les malades. Une mission de salut public plutôt qu’un travail, estime notre interlocuteur. Une mission soutenue chaque soir par des applaudissements partout dans le pays.
Mais Amine se protège, comme tous ses collègues. “C’est la totale : double masque sur la tête, doubles gants, une blouse, des chaussures de protection…” Pour ne pas être frappé par le Covid-19, Amine porte une véritable barrière vestimentaire. “Je croise une vingtaine de malades tous les jours et je ne suis pas infecté“, tient-il à rassurer.
Mes affaires m’attendaient devant la porte
Malgré tout, ses anciens amis ne veulent plus de lui. “Habituellement, le dimanche après le petit-déjeuner, on organise une réunion entre nous, pour évoquer d’éventuels problèmes au sein de la maison. Ce dimanche, on n’a pas parlé de moi, de mon travail. On a juste abordé le fait qu’on ferait plus attention à l’hygiène, à la désinfection de certaines parties de la maison. Lundi matin, c’est donc en mon absence que mon départ a été décidé. Le soir, après ma journée à l’hôpital, j’ai essayé de rentrer. Mais ils avaient déjà fait changer la serrure. Et ils avaient déposé toutes mes affaires devant la porte.”
Amine va donc passer la nuit chez un collègue. “Lui travaille aux urgences. Il a très gentiment accepté de m’héberger pendant un petit temps, sinon j’étais à la rue. Le plus dramatique, c’est que 24 heures après, un autre collègue est venu nous rejoindre. Lui aussi venait de se faire chasser de sa colocation, pour les mêmes motifs.” Une expulsion violente : Amine nous montre d’ailleurs les captures des échanges.
Aucune voie de recours
Amine et son collègue dans le même cas n’ont malheureusement aucune voie de recours. “Je suis en colocation et ce n’est pas moi qui ai signé le bail. Mais d’après ce que j’ai pu comprendre, c’est le propriétaire, parent d’un colocataire, qui ne veut plus moi dans sa maison.” Amine payait 500 euros par mois. “Nous étions six dans cette maison. J’avais une grande chambre, une salle de bain pour moi. C’était un bel endroit. Mais voilà, c’est fini ! Je vais devoir trouver autre chose.”
Les autorités doivent pouvoir nous héberger
Amine a bien tenté d’alerter les autorités. “Au commissariat de police, on m’a remballé, on m’a dit que je n’étais pas une priorité, qu’il fallait contacter d’autres services. J’ai appelé le CPAS mais ça ne décroche jamais. J’ai contacté la commune qui me renvoie vers le service logement et une liste d’attente de plusieurs mois.” Amine désespère. “Il faudrait que les autorités puissent nous loger, nous, membres du personnel médical, notamment lorsque nous sommes chassés de chez nous. Il faudrait la mise en place d’un dispositif d’urgence. Aujourd’hui, je me sens rejeté, minable… Et le pire c’est que je ne suis pas le seul dans le cas.”
Amine n’a pas de trace écrite de son expulsion, ce qui le désarme encore plus. Unia, le centre contre le racisme, rappelle pourtant que les actes de discrimination envers les soignants sont punissables par la loi. Parmi ces actes, il y a l’expulsion d’un infirmier ou un médecin de son domicile parce qu’il pourrait éventuellement ou non avoir le Covid-19. Il s’agit techniquement d’une discrimination en raison de l’état de santé. Le cdH de son côté souhaite également punir sévèrement ces actes.
RBF