CONTRIBUTION
Lorsqu’un politique ambitionne de briguer les suffrages de ses concitoyens, il a sans nul doute, au préalable, concocté un plan de communication avec des lignes-forces, pour mobiliser et atteindre ses partisans et sympathisants. Il a ensuite mûri une stratégie pour davantage frapper/marquer leurs esprits et toucher les fibres sensibles de leurs cœurs en vue de gagner non seulement leur estime, mais de traduire plus tard cette estime, en suffrages en sa faveur. En attendant, il cherche coûte que coûte à plaire pour gagner la confiance des populations. Fort de cet objectif, il se met astucieusement dans leur peau. Mieux, il porte fièrement leurs revendications en bandoulière et parle allègrement en leur nom. Il se fait même la voix des sans voix. Pour mieux réussir son coup, il n’hésite pas à faire la cour en ne lésinant pas sur les moyens aux mouvements associatifs, aux syndicats et aux foyers religieux et à les amadouer par-dessus tout. Opportuniste-arriviste, il expose leur misère et exploite leur mal-être. La misère, le malaise et le mal-être des populations, loin d’être sa véritable préoccupation, lui servent politiquement d’arguments-massues pour mieux clouer au pilori le pouvoir en place. Imaginez alors combien il est troublant, de voir à quel point, d’ex opposants historiques ont, une fois investis de la confiance de leur peuple, versé dans des dérives autocratiques. Remontées et déçues, les populations se demandent alors : à qui faire confiance, s’il faut toujours se rendre à l’évidence, que les gouvernants se nourrissent de la misère de leur peuple ? Opposants, ils sont politiques, mais au pouvoir ils deviennent politiciens.
Que de nobles intensions avant d’arriver au pouvoir ! Quelle vision éclairée serait-on tenté de dire ! Quelle ambition démesurée pour sortir les populations de leur précarité et pour les inscrire sur une rampe transitoire de mieux-être en vue d’atteindre durablement, à terme, le bien-être ! Que de belles paroles et des promesses mirobolantes faites parfois, voire trop souvent sans en mesurer l’ampleur ! Bref, en plus de se considérer comme irréprochable, l’opposant parle comme s’il avait des recettes miracles aux problèmes auxquels les populations sont confrontées. Il met en avant son amour pour sa patrie et brandit sa foi en Dieu pour conforter ses arguments. Sauf qu’au même moment, il dégage un parfum suspect de vertu.
Une fois investi de la confiance des populations, celles-ci sont reléguées au second plan. Et à mesure que le temps passe, les nobles intentions sont en berne, la vision éclairée assombrie, l’ambition trop vaste rétrécie, limitée. Le nouvel élu qui s’était vu trop beau en se faisant malicieusement passer pour un démocrate attitré et respectueux des règles de droit, s’empresse curieusement de s’enrichir et de mettre sa famille et son clan à l’abri du besoin. Le peuple n’avait donc aucune importance à ses yeux. Du moins sa famille et son clan importaient plus. Il ne cesse de le démontrer à travers ses actions contraires à ses engagements-promesses. La langue mielleuse de l’opposant en quête acharnée du pouvoir s’est muée en langue de bois. Celui qui faisait chaleureusement la cour au peuple devient progressivement insolent, arrogant, suffisant, impudent. Dès lors, ses opposants ne lui concèdent plus rien. En conséquence, la politique devient par excellence objet de communication belliqueuse et de conflit permanent, au grand dam du peuple qui ne demande que calme et sérénité. Ironie du sort, le président patauge dans le marigot politique de la trahison. Sa parole donnée ne vaut plus rien. Sa prestation de serment n’a été qu’une mise en scène. Jurer sur l’honneur n’aura servi qu’à bluffer son peuple pour atteindre son objectif principal d’arriver au pouvoir. En vérité, il n’est ni un homme de parole, ni de principes encore moins d’honneur. Au contraire, il excelle dans le mensonge, brille dans la versatilité, étincelle et scintille dans la manipulation. Pire, il se croit totalement libre de ruser avec la Charte Fondamentale de son pays. Ce faisant, il s’affiche comme un professionnel de l’opportunisme et de l’ingratitude. Il croit que la soumission au droit et aux exigences de l’Etat de droit ne concerne que les autres. Il pense en être exempté. Qui plus est, l’on découvre son vrai visage : celui d’un intrigant opportuniste qui ne recule devant rien et d’un hypocrite jouisseur ingrat qui déguste et savoure scandaleusement les délices immérités du pouvoir. Il oublie qu’il est plus facile de légaliser un troisième mandat que de le légitimer. Ce qui pourrait toujours se retourner violemment contre lui.
Certains avaient promis et juré de ne jamais marcher sur des cadavres pour arriver au pouvoir. Pourtant, avec le recul, il est loisible de constater que tout leur parcours politique ne fut jalonné que de cadavres. Souvent, des jeunes et des femmes ne leur ont servi que de faire-valoir pour conquérir le pouvoir, ou de chair à canon, pour illégalement s’y maintenir. Dommage mais la voracité des politiciens véreux est ignoble à ce point. Le comble du paradoxe, elle va souvent au-delà. Les opposants bienveillants tombent dans les travers des présidents malveillants. Ils n’arrivent toujours pas à trouver un bon projet de vie et de société. D’ailleurs peut-on trouver un projet de vie et de société sans un projet éducatif adapté aux réalités africaines ? La culture de l’apparence et du paraitre, si ancrée dans le vécu quotidien des populations, et fortement aggravée par l’amour de l’argent facile, et l’exhibitionnisme de leurs dirigeants, plombe le développement de l’Afrique.
N’est-ce pas intrigant de voir jusqu’où le président Alpha Condé est prêt à aller pour témérairement briguer un troisième mandat, non seulement contraire à sa Constitution, mais aussi et surtout lourd de danger ? L’opposant si prompt à s’afficher en parfait démocrate et donneur de leçons, s’est, à la surprise générale, une fois à la tête de son pays, métamorphosé en professeur-président, brusquement atteint du virus nocif de la boulimie du pouvoir et donc de cécité politico-intellectuelle. Plus la tentation est grande de briguer un illégale et illégitime troisième mandat, plus il ravale sans vergogne sa parole donnée, foule aux pieds sa Constitution et tape sur les nerfs de ses concitoyens. Sa prestation de serment n’a été qu’une machination savamment orchestrée, du moins une tricherie sophistiquée pour endormir ses compatriotes. Apparemment, le peuple guinéen doit tout oublier et le suivre aveuglément dans son entêtement suicidaire à briguer un troisième mandant, malgré le nombre déjà important de morts. Comment un homme, longtemps victime de l’ostracisme d’Ahmet Sékou Touré et de Lansana Condé, au point d’engranger l’estime de tant d’africains, peut-il si radicalement changer ? Comment cet ancien opposant qui doit en partie son salut au Sénégal et au président Abdou Diouf, en est-il arrivé à susciter tant de dédain et de mépris, y compris de la part de ses anciens avocats-défenseurs et proches collaborateurs guinéens ?
Avant lui, combien de Présidents africains ont joué avec la Charte fondamentale de leur pays ? Combien ont tripatouillé leur Constitution ? Combien ont corrompu leurs forces de défense et de sécurité pour se maintenir à tout prix au pouvoir ? Comme si les forces de défense et de sécurité n’avaient pas pour mission première de veiller sur l’intégrité territoriale et sur la sécurité du peuple en assurant sa défense, y compris contre les dérives de son propre président. Pourquoi les forces de défense et de sécurité se rangent-elles plus facilement du côté des gouvernants que du côté du peuple souverain? Combien d’innocents sacrifiés sur l’autel de l’addiction et de la jouissance indue du pouvoir ? Ahmed Sékou Touré n’avait-il pas courageusement tenu tête au Général De Gaulle en ces termes : nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage ? Et pourtant, sous le regard amusé du même Général De Gaulle et sans doute de celui du peuple français, il fut l’un des pires dictateurs que l’Afrique ait connu. En tout cas, aucun peuple africain ne souhaiterait vivre l’expérience du Camp Boiro.
Même le Sénégal longtemps épargné, n’est plus à l’abri. L’histoire semble se répéter. Après l’improbable injonction du Président Wade, c’est autour de son successeur Sall d’entretenir le flou autour de la morale politique. Lui qui, en 2012, avait, entre les deux tours de la présidentielle, promis de ramener son mandat de 7 à 5 ans, n’a pas tenu promesse. Il avait aussi porté Aliou Sall, son petit frère, à la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations, contrairement à une autre promesse de ne jamais nommer un membre de sa famille à un poste de responsabilités. Il s’était même, librement et sans contrainte, engagé à former un gouvernement de 25 ministres. La suite se passe de commentaires. Du coup, sa promesse de faire son second et dernier mandat, laisse le peuple sénégalais perplexe et dubitatif. Et d’ailleurs, à écouter les dernières sorties de ses plus proches comme Mouhammed Bounn Abdallah Dionne et Mbaye Ndiaye, qui ne serait pas sceptique à sa promesse de faire son deuxième et dernier mandat ? Cette promesse connaîtra-t-elle un meilleur sort que les précédentes ? Rien n’est moins sûr ! Au demeurant, les sorties de Dione et Ndiaye sont la preuve éloquente que le pouvoir est sucré. Il est succulent, mielleux, savoureux, délicieux. Tel de l’aimant, il accroche, colle à la peau. C’est comme de la drogue. Plus l’on en prend, plus l’on en dépend. Et à chaque nouvelle prise, l’on a envie d’une dose beaucoup plus forte. C’est la seule raison qui pourrait expliquer les déclarations fantaisistes et fallacieuses de Boun Abdallah Dionne et de Mbaye Ndiaye. Mais en voulant justifier une improbable troisième candidature, ils se sont rabaissés, embourbés. Aussi, perdent-ils l’estime et la confiance qui leur restaient des sénégalais. Ils ont embrouillé le dialogue politique, installé le malaise dans la coalition au pouvoir, ravivé des rancœurs et indisposé le président de la république. Ce dernier pourra-t-il encore, après tant de promesses non tenues, de bourdes et de fâcheuses incohérences de son camp, se tenir fièrement devant les chefs religieux en homme de parole ? Pourra-t-il encore regarder les sénégalais et les africains dans les yeux sans remords, et sans sentiments de culpabilité ? Osera-t-il leur réclamer un troisième mandat ?
Dans le respect des Constitutions en Afrique, le Sénégal qui faisait figure de modèle, a perdu sa place de leader même dans la sous-région. Il n’est plus cette vitrine démocratique africaine qui séduisait, fascinait. Pire, il a perdu le charme, le charisme du modèle qui rassure, inspire et attire. A défaut d’avancer, il fait du surplace, s’enlise, voire recule sur le plan démocratique. Le Ghana, ancienne dictature militaire avec de multiples coups d’Etats, lui a ravi la vedette. Depuis l’avènement de sa démocratie, cinq chefs d’Etat se sont succédés avec pas moins de quatre alternances paisibles. Le Sénégal, une vielle démocratie, qui n’a jamais connu de coup d’Etat, n’est qu’à sa deuxième alternance. Hélas, le pays de la téranga ne se mesure plus aux meilleures démocraties mais aux médiocres monarchies. Le pays de Léopold Sédar Senghor ne cherche plus à réduire le gap qui le sépare des grandes démocraties occidentales. Il se laisse même dépasser par d’anciennes dictatures militaires africaines. Le débat politique où le verbe volait si haut a aussi cédé le pas à la bassesse de l’injure et de l’invective politicienne. Malheureusement, cette violence verbale, telle une épidémie, a atteint toutes les sphères de la société. Et ce qui fait plus froid dans le dos, c’est de voir nos universités, temples du savoir être transformées non plus en Agoras, mais en champs de bataille. L’espace scolaire est aussi gagné par la violence. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux saccages des laboratoires et des bus et aux agressions répétées des élèves contre leurs enseignants.
A force d’éprouver les nerfs et de heurter la sensibilité de leurs populations, à force de jouer avec le feu de la tension verbale et l’amertume de la trahison politique, les politiciens ont semé et répandu dans le cœur des adolescents, des jeunes et de leurs parents, les germes de la rancœur et de la violence. Face à leur précarité, conséquence de politiques publiques douteuses/hasardeuses et hautement critiquables, ils sont prêts à faire face à toute mesure d’austérité. Ils n’acceptent plus, et n’accepteront jamais plus de souffrir injustement pendant que leurs dirigeants supposés améliorer leur quotidien, se distinguent dans l’égoïsme, la cupidité, l’exhibitionnisme, l’utilisation irrationnelle des ressources publiques, les dépenses de prestige avec comble de scandale, l’acquisition de véhicules de luxe en dehors des procédures et donc de la structure chargée de cette mission.
Le président de la République, Macky Sall, n’a-t-il pas récemment pris la décision de suspendre, à compter du 20 février 2020 jusqu’à nouvel ordre, toutes les acquisitions de véhicules de fonction et de service, au nom de l’Etat, des structures parapubliques et des sociétés nationales ? Cette mesure ne résulte-t-elle pas du scandale à plus de cinq milliards qu’il a découvert dans le budget de 2020 pour l’achat de voitures ? La Direction du matériel et du transit administratif (Dmta) n’est-elle pas la seule structure habilitée à acquérir lesdites voitures ? Pourquoi des ministres, hauts fonctionnaires privilégiés de l’Etat, se permettaient-ils de la contourner pour sciemment dépenser de manière frauduleuse 122 milliards de francs Cfa du contribuable dans l’achat onéreux de rutilantes voitures administratives en l’espace de six ans? Face à cette rocambolesque et ingénieuse magouille, les sénégalais s’insurgent, s’indignent et s’interrogent. Suffit-il de suspendre ou faudrait-il au contraire des sanctions exemplaires immédiates, à l’encontre de tous les ministres et directeurs fautifs ? Inquiet, le peuple se pose de plus en plus des questions. Il se demande si la reddition des comptes est une réalité. Il voudrait savoir si des audits internes sont régulièrement organisés pour parer à toute éventualité. Si tel était le cas on n’aurait certainement pas mis 6 ans pour enfin découvrir la fraude sur l’achat des véhicules. Conforté dans cette position, il doute du mérite de ses dirigeants véreux à occuper les hautes fonctions qui leur sont confiées. Car c’est un Contrat Social entre le peuple et le président, et chacun doit dignement honorer sa part du contrat.
Au président Macky Sall de comprendre, que malgré le nombre et l’importance de ses réalisations, il doit respecter la Constitution et sa parole d’honneur de ne faire que deux mandats. En effet, il faut savoir partir à temps. Wade n’avait-il pas tenté de faire du forcing ? Macky qui fut témoin des faits, n’a donc point besoin d’entretenir le flou sur une troisième candidature. Ayant annoncé à maintes reprises qu’il ne ferait pas plus de deux mandats successifs, il doit une bonne fois pour toutes, clore le débat et s’employer de toutes ses forces à mettre ce pays au travail et à sanctionner, au besoin, les récalcitrants. Le reste n’est que perte de temps. Or, le temps c’est de l’argent (Time is money). D’ailleurs, le peuple n’a vraiment pas l’impression d’être en mode fast-track mais en slow-track. Car, c’est dans la prise des bonnes décisions qu’il faut aller vite.
Dommage que le président Alassane Dramane Ouatara ait avant lui clarifié la situation en Côte d’Ivoire. Il aurait pourtant été à l’honneur du Président Sall et à celui de tout le peuple sénégalais qu’il donnât le bon exemple à ses pairs africains. Il n’en fut rien. Mais si, par malheur, il devient obtus, sourd et insensible à l’appel de sa conscience, s’il ne résiste pas à l’appel des sirènes politiciennes qui murmurent dans ses oreilles, pour l’inciter à se représenter en 2024, il sera emporté par un raz-de-marée pire que la tempête qui avait balayé Wade et son régime. Un constat : ceux qui murmuraient plus aux oreilles de Diouf et de Wade ont été les premiers à les trahir. Le peuple sénégalais, seul véritable détenteur du pouvoir, n’est pas amnésique. Même s’il sait pardonner, il ne transige pas avec le respect de la parole donnée, encore moins du serment sur l’honneur. Il prendra toujours ses responsabilités pour que l’intérêt supérieur de la nation prime sur les intérêts partisans. Pourquoi ne pas, une fois n’étant pas coutume, s’inspirer de cette pensée de Nicolas Machiavel : «Ce n’est pas le titre qui honore l’homme, mais l’homme qui honore le titre».
Samuel SENE
Consultant-formateur
Ecrivain-chercheur
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