Après avoir accusé Macky de non assistance à personne en danger sur la réaction du chef de l’Etat sur l’impossibilité du Sénégal de procéder au rapatriement de ses étudiants bloqués en Chine, Wade est décidé de passer à l’offensive. Il s’est entretenu avec Me Abdoulaye Tine pour aborder cette question. Il n’exclut d’ailleurs pas des poursuites en justice. Parce que, selon Me Tine, «abandonner nos compatriotes en Chine est un acte criminel». Dans cet entretien, Me Abdoulaye Tine qui est revenu de son tête à tête avec Wade a également abordé le recours introduit à la Cour de justice de la Cedeao sur le parrainage qui pourrait faire perdre au Président Sall son mandat.
Walf Quotidien: Vous avez récemment rencontré le Président Wade, votre entretien a porté sur quoi ?
Me Abdoulaye TINE : C’était avant tout une visite de courtoisie. Notre entretien a essentiellement porté à la fois sur les questions d’actualité telles que les 13 étudiants sénégalais qui sont aujourd’hui bloqués en Chine, sur comment organiser leur rapatriement au Sénégal. Nous avons discuté du nouveau contrat que Total vient de signer avec l’Etat du Sénégal concernant le pétrole. Nous avons aussi abordé un certain nombre de questions d’intérêt national. On a aussi mis en perspective une éventuelle force nouvelle qu’on doit contribuer à faire émerger une coalition sociale libérale pour aller à la conquête du pouvoir aussi bien pour les élections législatives que celles locales pour que tout ce que les Sénégalais ont déploré qu’ils puissent, en exprimant cette colère dans les urnes, prendre les correctifs nécessaires.
Vous avez parlé avec Wade du Coronavirus, envisagez-vous de poursuivre Macky pour non assistance à personne en danger ?
En tout cas, aujourd’hui, la question se pose parce qu’il est du devoir premier d’un Etat d’aller chercher ces ressortissants là où ils se trouvent quoique ça coûte à la Nation. Combien de fois, les Américains ou les Français ont organisé des opérations pour aller chercher leurs ressortissants ? Aujourd’hui, il y a quelque chose qui est incroyable pour juste rapatrier 13 personnes, on dit que l’Etat n’a pas d’argent. C’est inconcevable. C’est une injure.
Vous ne croyez donc pas aux propos de Macky Sall?
Non. Je ne dis même pas l’Etat du Sénégal mais ne serait-ce qu’une, deux ou trois bonnes volontés peuvent organiser leur rapatriement sanitaire. Le Sénégal en sollicitant l’assistance ou la coopération étrangère, je suis convaincu comme le Président Wade qui est pour une approche panafricaniste, je suis pour qu’on aille chercher nos 13 compatriotes, qu’on les fasse transiter dans un pays tiers qui a un système de santé beaucoup plus robuste où l’on va procéder à l’analyse épidémiologique. Au sortir de cela, ceux qui ne sont pas contaminés pourront regagner directement le Sénégal. Si par extraordinaire, il y en a quelques-uns qui sont contaminés, il va falloir les prendre en charge. A Paris, il y a déjà des cas de Coronavirus et ils sont pris en charge. Il y a même des médecins qui ont été contaminés. On ne peut pas parce qu’on a peur de la contamination abandonner nos compatriotes. Ce n’est seulement pas un acte de non assistance à personne en danger mais je suis d’avis avec le Président Wade que c’est un acte criminel.
Vous envisagez donc de le poursuivre…
Pour l’instant, toutes les options sont sur la table. On y pense sérieusement.
«Comme dit Wade, il faudra y faire face à cette proposition de doter Dakar d’un statut spécial car au-delà de son caractère démagogique, c’est une proposition qui foule aux pieds nos principes constitutionnels qui consacrent la légalité des traitements entre collectivités locales.»
Que pensez-vous de la proposition de doter la ville de Dakar d’un statut spécial et de nommer le maire par décret présidentiel ?
Nous condamnons une telle proposition. Au-delà de son caractère démagogique, c’est une proposition qui foule aux pieds nos principes constitutionnels qui consacrent la légalité des traitements entre collectivités locales. C’est une proposition qui va à contre-courant de l’acte 3 de la décentralisation. C’est également une proposition qui remet en cause les droits qui ont été consacrés lors du dernier référendum concernant la participation des populations à la gestion des affaires publiques. C’est une évolution régressive. De toutes les manières, comme dit Wade, il faudra y faire face.
Et comment, si l’on sait que tous ses projets comme le parrainage, passent de gré ou de force ?
Le parrainage est passé pour l’instant, mais Macky n’a pas encore le dernier mot, parce que c’était aussi un des objets de mon entretien avec le Président Abdoulaye Wade. Comment aborder l’audience devant la Cour de justice de la Cedeao le 04 mars prochain à 10 heures à Abuja. L’Etat du Sénégal a été cité par la Cour, certes il a fait du forcing légal, mais nous n’avons pas abandonné le combat. On a déposé notre recours et on attend que la Cour dise le droit par rapport à cette affaire.
Est-ce que ce combat a toujours un sens, vu que le scrutin de 2019 est derrière nous ?
Je rappelle que nous avons saisi la Cedeao en décembre 2018, avant la fin du processus de dépôt des parrainages. Je persiste à croire que cette saisine à tout son sens, et le moment venu, on pourra effectivement voir toute la portée de mon affirmation parce que ce que nous demandons à la Cour de justice c’est de constater qu’il y a une illégalité internationale. Que la loi votée par le Sénégal viole les engagements du Sénégal, notamment concernant les partis politiques. Maintenant, avec d’autres arguments techniques qu’on a développés, mais aussi sur la base du principe de la sécurité juridique et la prévisibilité des solutions que cette loi n’était pas claire. La société civile l’a dit avec des termes voilés, les observateurs de l’Union européenne l’ont rappelé avec force au point de fâcher le Sénégal. C’est la première fois que j’entendais, suite à des déclarations de l’Union européenne, le Sénégal dire qu’il est un pays souverain. Il y a deux options : soit la Cour donne Macky Sall raison, auquel cas nous continuerons à le reconnaître comme Président, soit elle nous donne raison et dans ce cas, nous allons en tirer toutes les conséquences.
Qu’elle sera la conséquence dans ce dernier cas ?
Ce sera un fait nouveau, au sens du droit. Nous allons revenir voir le juge des élections qui est le Conseil constitutionnel, là où 27 candidats étaient partis pour déposer leurs dossiers pour lui dire qu’on a une décision nouvelle qui a été rendue par une juridiction qui est au-dessus de vous, la Cour de justice de la Cedeao. Contrairement à Macky Sall qui refuse, à tort, de reconnaître l’autorité de ses arrêts, ce ne sera pas le cas avec le Conseil constitutionnel pour plusieurs raisons. D’abord, l’article 79 de la constitution qui est la raison d’être du Conseil constitutionnel qui en est le premier gardien, dit que les traités ou accords régulièrement ratifiés par le Sénégal ont, dès leur publication, une autorité supérieure à la Loi qui comprend tout, y compris les décisions de justice. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa jurisprudence abondante. La plus marquante : c’est la décision de 1993 concernant le rabat d’arrêt, mais également là où le Sénégal, c’était sous Abdou Diouf, devait ratifier le traité de l’Ohada qui devait instituer l’harmonisation du droit des affaires. Il a estimé effectivement que cette ratification entraînait un abandon de souveraineté y compris judiciaire et qu’il fallait réviser la constitution et qu’on a pu ratifier après avoir modifié la constitution. Si la Cour dit que la loi n’est pas conforme à l’ordre légal, cela veut dire que Macky Sall n’a pas été dûment élu et nous n’allons pas le laisser pour les années à venir, en toute connaissance de cause, signer des contrats ou engager la Nation alors que ses pouvoirs sont nuls et non avenus.
Et puis ?
Et partir de là, il va falloir organiser une élection présidentielle anticipée. Et dans cette hypothèse, Macky Sall ne pourra même pas être candidat puisque la constitution dit que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Il aura fait un mandat de 7 ans et un autre de onze mois.
Pensez-vous réellement que la justice irait jusqu’à annuler le scrutin ?
Ce qu’on lui donne c’est un argument de pure logique juridique et intellectuelle. Il y a deux ans, Assane Dioma Ndiaye et moi avons fait condamner la Guinée Bissau pour avoir porté atteinte à la vie d’un ancien chef d’Etat, alors que ce pays disait au début que l’action est irrecevable. Et je vous rappelle que ce n’est pas la première fois que la Cour de justice de la Cedeao est appelée à se prononcer en matière électorale. A la chute de Blaise Compaoré, le Burkina avait voté une loi qui disait que tous les gens qui avaient travaillé avec lui ne pouvaient pas se présenter aux élections, la Cour a été saisie et a rendu une décision et le Burkina, de manière spontanée, s’est mis en conformité en enlevant cette loi.
Mais cette Cour n’a jamais annulé une élection.
Le recours c’est contre la loi, le reste est entre nos mains, c’est nous qui allons le régler.
Propos recueillis par Charles G. Diène et Magib GAYE