La décision annoncée le samedi dernier par les Présidents ivoirien Alassane Dramane Ouattara et français Emmanuel Macron de renommer la monnaie commune de l’Uemoa Eco, au lieu de franc Cfa, en plus de ne plus loger auprès de la Banque de France le compte d’opération de la moitié des réserves monétaires de la zone Uemoa, et de ne plus nommer de représentant français dans toutes les instances de décision concernant la monnaie commune aux huit pays, est tombée comme une surprise. Mais une fois l’effet d’annonce passé, l’on se rend compte que si la façade a changé, rien n’a bougé dans le fond.
D’ailleurs, le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire a tenu à préciser qu’en cas de nécessité, la nouvelle monnaie pourrait toujours bénéficier de la garantie française.
De prime abord, on se demande comment le président de la Conférence des chefs d’Etat de l’Uemoa peut se permettre d’engager ses pairs à adopter une monnaie qui ne dépend pas de sa zone de compétence ; et ce, sans avoir au préalable consulté ses pairs membres de la zone Cedeao. Ensuite, avec la garantie de la France, avec le maintien de la parité fixe avec l’Euro, et sans avoir précisé ce qu’il en adviendra du compte d’opération, peut-on prétendre avoir créé une monnaie nouvelle ?
Il faudrait croire que cette annonce de M. Ouattara ne mange pas de pain. On se rappelle sa déclaration de février dernier, au sortir d’une rencontre avec le même Président français, sur le perron de l’Elysée. Le chef de l’Etat ivoirien avait clamé son amour du franc Cfa : «Nous sommes très, très heureux d’avoir cette monnaie qui est stabilisante.» M. Ouattara demandait dans la foulée que «cesse ce faux débat» sur une «monnaie qui est très bien gérée». Quelque temps après, dans un entretien, il acceptait d’envisager des changements cosmétiques, comme, entre autres, celui du nom qu’il comprenait qu’il rebute certains.
Il ne faut pas oublier que Alassane Dramane Ouattara a fait une bonne partie de sa carrière au sein de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) dont il a gravi plusieurs échelons jusqu’à en devenir le gouverneur dans les années 1990, avant de se retrouver Premier ministre de Houphouët-Boigny, et d’entamer une carrière politique dans son pays. C’est donc naturel qu’il ait cet amour pour une monnaie qu’il peut considérer comme son bébé. Mais de là à vouloir nous faire croire qu’il est prêt à l’enterrer de gaieté de cœur pour faciliter l’intégration régionale de l’Afrique de l’Ouest, on demande à voir.
D’abord, dans leur précipitation d’annoncer la mort du Cfa, les deux dirigeants n’ont pas donné de délai ni indiqué les étapes du processus. On se rappelle qu’à sa naissance, l’euro a pris près de dix ans avant de se retrouver dans les poches des Européens. La monnaie a longtemps circulé sous forme scripturale et instrument de change interbancaire. De plus, il fallait accorder aux pays candidats à l’euro le temps de se mettre à niveau pour remplir les critères de convergence.
Or le Président Ouattara voudrait faire croire que la zone Uemoa pourrait dans son ensemble rejoindre l’Eco en tant qu’entité monétaire unique. Il n’est pas certain que cette prétention soit acceptée par les autres membres de la Cedeao. Pourquoi devrait-on demander à la Sierra Leone de réduire son déficit budgétaire si le Sénégal, par exemple, s’en trouve dispensé en tant que membre de l’Uemoa ? C’est dire que l’on n’est pas encore près de voir le Cfa mourir pour être remplacé au plus tôt par une nouvelle monnaie vraiment africaine.