Puisse ce texte d’hommage que je suis appelé à écrire, le cœur lourd de tristesse, ne pas comporter de coquille, encore moins de faute grammaticale.
Son contenu devra refléter fidèlement des faits. Autrement, ce serait d’une ironie de mauvais goût, car le Professeur de journalisme que le Sénégal vient de perdre était à cheval sur les règles d’écriture et de déontologie.
Notre pays doit son évolution démocratique à l’action de générations d’hommes politiques et de syndicalistes, mais aussi à sa presse libre et indépendante. Pendant plus de trente ans, Abdourahmane Camara, officiant à WalFadjri, de façon ininterrompue, aura joué un rôle éminent, dans la production d’articles et la formation continue des journalistes.
Camou ne se singularisait pas par des articles de prise de position définitive ou des éditoriaux comminatoires. Stakhanoviste du journalisme, fidèle jusqu’à sa mort à Sidy Lamine Niass et son groupe de presse, il était obsédé par le sérieux et la justesse du fond, la qualité de l’écriture pour le rendu. En Camou, Walf et le journalisme sénégalais viennent de perdre une vigie de l’orthodoxie ! Un grand journaliste des faits !
Un article au contenu sérieux – un scoop de préférence – aux sources recoupées, d’intérêt manifeste et bien écrit, voilà ce qui motivait Camou. Le mot juste : dans l’art de dépouiller un article de scories, d’inutiles éléments servant tout au plus à alourdir un texte, Abdourahmane était inégalable.
En parlant de Camou, me reviennent en mémoire les épiques batailles syndicales du début des années 1990, les événements post-électoraux de 1993, le procès des assassins de Me Babacar Sèye, juge au Conseil constitutionnel, les arrestations, fuites et procès de la bande d’agresseurs du nom de Alex et Ino, les grandes affaires de drogue, mais aussi les sujets de reportage dits de société, sur le Sida, les femmes, l’école, les difficultés du monde rural dans les périodes de soudure, le suivi des affres de l’irrédentisme en région sud à travers les coups du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc)…Que de sujets traités à Walf, un navire amiral de la presse dans les luttes pour une information juste ! Le journal est resté sur la ligne de crête grâce, notamment à des capitaines comme Abdourahmane Camara.
L’élection présidentielle de février-mars 2000 a vu le candidat Abdoulaye Wade contraindre le président Abdou Diouf à un deuxième tour, et le battre ensuite. En cette occurrence-là, la première alternance à la tête du pouvoir au Sénégal, Walf aura joué un très grand rôle, sans jamais se départir de sa fonction. Ce fut un moment d’histoire pour le pays, mais aussi un chapitre lumineux d’apprentissage pour ceux qui ont eu le privilège de le vivre dans ce groupe de presse. La silhouette longiligne de Camou, discrète dans les allées et couloirs, sauf pour réclamer son verre de thé, se singularisait par la solidité et la rigueur intellectuelles avec lesquelles il tenait la barre du navire derrière son ordinateur.
En toute discrétion, frisant la timidité, il aura bâti sa vie autour de trois pôles : le domicile, la rédaction et la mosquée.
La presse et la démocratie sénégalaise doivent beaucoup à Abdourahmane Camara. Personnellement, Camou m’aura beaucoup appris, et marqué dans ma formation, jamais aboutie, de journaliste.
Lorsque je reçus l’appel de Seyni Diop, un de nos cadets de Walf, me demandant, la voix enrouée, un hommage à Camou, j’étais avec Ousseynou Guèye, autre figure de l’aventure de ce qui a été le groupe de Sacré Cœur avant Khar Yalla. Ecrire un hommage à Camou ! Dieu, que la vie est courte, que de vaines choses la remplissent !
Je prie, avec moi ses proches et tous ceux qu’il a formés, pour que la terre de Saint-Louis où nous le raccompagnerons mercredi soit légère à Abdourhamane. Qu’Allah lui réserve le meilleur du paradis et préserve sa famille, sa dévouée épouse Tabara, et ses enfants.
Chers cadets Ibrahima Anne et Seyni Diop, il vous revient de me relire, pour que cet article, à sa parution, ne comporte pas de coquilles qui auraient fait réagir celui qui vient d’être arraché à notre affection.
Chapeau bas, Grand Camou.
Abou Abel THIAM