Audacieux dans sa confiance en la jeunesse, Sidy Lamine Niass a contribué, avec son œil mystique perçant, à libérer le potentiel qui sommeille chez beaucoup de jeunes journalistes. Homme de conviction et tenace dans ses choix réfléchis, il n’a pas hésité à faire fi de beaucoup de considérations pour mettre le pied à l’étrier à bien des talents.
Le serviteur de Dieu et du peuple est parti. Homme multidimensionnel, Sidy Lamine Niass l’était à tout point de vue. Patron, père, guide religieux, diplomate, écrivain, entrepreneur…, le «mollah de Derklé» fascinait son monde. Disponible, ouvert d’esprit, révolutionnaire, juste, généreux dans la discrétion, joviale, serviable, intransigeant et exigeant, «Prési», comme on l’appelait affectueusement, avait les qualités des grands hommes. Lesquelles qualités lui ont permis de cheminer avec des centaines de collaborateurs pendant près de 40 ans où des générations de journalistes de renom ont écrit les belles pages du groupe de presse qu’il a fondé, Wal Fadjri, devenu un laboratoire de talents journalistiques.
Pour ma part, je me considère comme l’un des jeunes les plus chanceux avec Sidy. Car, en l’espace de dix années de présence dans ce groupe de presse mythique, le Président Sidy Lamine Niass m’a fait gravir tous les échelons. Accepté comme stagiaire du Cesti en 2007, dans le cadre de la première formation du Fonds d’aide à la presse, l’homme a fait de ma modeste personne un des plus jeunes directeurs à Wal fadjri en 2017. Un parcours au Front de Terre que j’étais loin d’imaginer, malgré la solide formation pratique reçue d’éminents journalistes qui ont été les premiers à me donner une chance et à me faire confiance.
Aujourd’hui, je suis très triste parce que la mort foudroyante a frappé un homme qui représentait beaucoup pour moi. Car, j’appréciais le «Mollah de Sacré-Cœur» avant de revêtir le manteau de journaliste. Notre première rencontre date de la fin des années 90. Elève au lycée Abdoulaye Sadji de Rufisque, j’écoutais avec beaucoup d’attention le discours de cet intellectuel audacieux qui apportait un autre «son de cloche», expression qu’il affectionnait tant. Chaque année, lorsqu’il venait au collège privé Mansour Sy d’à côté partager généreusement ses connaissances durant le ramadan, j’étais toujours aux premières loges pour l’écouter religieusement, tellement le jeune assoiffé d’idées que j’étais se délectait de la culture et de l’ouverture d’esprit de l’homme à une époque où le monde musulman continuait de s’indigner de la parution de l’ouvrage polémique de l’écrivain britannique d’origine indienne Salmane Rushdie, avec les fatwa qui s’en suivirent. Depuis lors, ce phare ne m’a plus quitté et continue d’éclairer mon esprit sur les écrits de bien d’autres comme Ibn Rushd de Cordoue (Averroès), et tant d’autres écrivains lors de nos échanges. Ou même lorsqu’il me décortiquait avec passion les codes du monde arabe.
Et cette complicité intellectuelle avec l’homme s’est poursuivie jusque dans ses derniers instants sur terre. Car, très à l’écoute, il n’hésitait jamais à me demander ce que je pensais d’une telle ou telle actualité avant de me donner son point de vue, bien argumenté. Cela, pendant plusieurs minutes au téléphone.
Mais ce qui frappe plus le journaliste que je suis chez ce patron avec qui je n’ai cheminé que 3 ans en tant que haut responsable à Wal Fadjri, c’est qu’il n’interfère jamais dans le travail qu’il nous a confié. Jamais il ne m’a demandé d’écrire du mal sur quelqu’un ou de chanter les louanges d’un tel autre. «C’est vous le journaliste, faites votre travail», aimait-il à nous répéter comme un leitmotiv. N’empêche, tous les jours, il passait en revue notre compte rendu et nous rappelait à l’ordre à chaque fois qu’il sentait que nous étions en train de dévier ou de, maladroitement, faire la propagande d’un tel chef de l’opposition. «Professionnalisme et équilibre» était tout ce qu’il nous commandait dans la ligne, «La voix des sans voix», qu’il avait tracé. Sinon, me confiait-il au téléphone, lors de notre dernière conversation, moins de 48 heures avant sa disparition : «cela va ressembler à un journal d’opinion qui roule pour quelqu’un. On va nous accuser de travailler pour faire revenir Wade ou d’appuyer la position d’un Sonko par exemple. J’insiste sur l’information, pas la propagande, et l’objectivité. C’est pour cela que les ambassades nous font beaucoup confiance. Je voulais vraiment insister sur ça. (…). Je suis entre le marteau et l’enclume sur certaines questions. Mais tout ce qui m’intéresse, c’est le travail bien fait. Que ce soit propre, professionnel et sur les rails». Une ultime recommandation qui prouve son rôle de sentinelle de la démocratie et qui a gêné les différents gouvernements. Mais, cela lui a aussi valu une crédibilité considérable au sein du Peuple qui lui a rendu un vibrant hommage sur tout le trajet Dakar-Kaolack où sa dépouille a été acheminée.
Lorsqu’un après-midi de mars 2016, je garais mon véhicule devant lui à l’entrée de WalFadjri, après m’avoir chaleureusement salué, Sidy me dit : «Seyni, montes à mon bureau, j’y ai laissé quelque chose pour toi !». Il était exceptionnellement devant le portail du groupe ce jour-là parce qu’il devait aller donner une de ses «filles», une collègue, en mariage à la Médina. Eberlué, je le regardais avec de gros yeux qui trahissaient mon étonnement, puisqu’il passe toujours par mes supérieurs pour nous interpeller. «Non, c’est juste une mission que je te confie !», me rassurait-il. Dans le document que me remettait sa dévouée assistante, Mme Faye, il me nomme Coordonnateur de WalfQuotidien. Un gros challenge pour le jeune journaliste qui avait encore à parfaire beaucoup de choses dans le métier. On était en mars 2016. Trois mois après ma prise de fonction, je connus un gros malheur par la volonté divine : un terrible accident de la circulation où je suis sorti miraculeusement et qui a changé le cours de ma vie. Mais, même diminué, Sidy ne m’a pas lâché. A mon chevet, il a soutenu ma famille à l’hôpital de Pikine où j’étais interné. «J’ai prié pour toi sur ton lit d’hôpital alors que tu étais inconscient», me rappelait-il, lorsque je suis revenu le remercier de ce que mon regretté grand frère m’a rapporté sur son assistance. Ça, je ne l’oublierai jamais «Prési», tout comme peu, après ma nomination, pour me rassurer, vous avez juré la main sur le Saint Coran, avec ce regard mystique perçant, pour me dire que le combat de contre-pouvoir que vous menez n’est pas pour une cause mercantile. C’était comme prêcher un converti.
Tenace et sans doute convaincu par ce qu’il a vu chez ce jeune dont il ne connaissait rien en dehors des articles qu’il produisait en Economie et qui lui valaient parfois des complaintes, Sidy me nomma Directeur de publication adjoint, aux côtés de son compagnon de toujours, Abdourahmane Camara. Une confiance que nous tentons quotidiennement de mériter en essayant de rendre Walf Quotidien vivant, propre et libre comme il l’a toujours voulu.
Rassurez-vous Prési dans votre repos éternel, nous nous battrons pour être dignes de vous.
Seyni DIOP