La France s’achemine, lentement mais sûrement, vers la création d’un cadre juridique spécifique pour restituer aux populations spoliées les « biens mal acquis » par des dirigeants étrangers peu scrupuleux dans la gestion des deniers publics. Mardi 26 novembre, les députés Laurent Saint-Martin (La République en marche) et Jean-Luc Warsmann (UDI, Agir et indépendants) ont remis à la garde des sceaux,
Nicole Belloubet, le rapport commandé au printemps par le premier ministre sur l’évaluation des dispositifs d’identification, de confiscation et d’affectation des avoirs criminels. Cette mission faisait suite à l’adoption par le Sénat de la proposition de loi sur l’affectation des avoirs issus de la corruption internationale déposée par le sénateur Jean-Pierre Sueur (PS).
Dans ce rapport dont le champ de réflexion est plus large que celui des seuls « biens mal acquis », les deux parlementaires suggèrent qu’une fois le délit sanctionné par la justice, le ministère des affaires étrangères prenne le relais pour conclure un accord de restitution avec l’Etat du pays dont les fonds ont été détournés. Puis l’Agence française de développement (AFD) aurait en charge sa mise en œuvre, en proposant un « bouquet de projets adaptés, au plus près des populations, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’eau… ».
« Il s’agit de faire du sur-mesure »
Les députés, qui ont retenu un mécanisme inspiré de celui appliqué en Suisse, précisent que dans les pays où l’AFD ne serait pas implantée, il serait possible de se tourner vers d’autres institutions de développement comme la Banque mondiale. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Afrasc) serait le troisième pilier de cette cellule spéciale sur les « biens mal acquis ». Cet établissement public a, entre autres missions, celle d’exécuter les saisies d’avoirs ou de biens ordonnées par la justice.
« Il s’agit de faire du sur-mesure et ce sera au Quai d’Orsay de se montrer inventif pour trouver, au cas par cas, des solutions diplomatiques qui permettent à l’Etat d’origine de rester dans la boucle », explique Laurent Saint-Martin, tout en reconnaissant que dans certains cas, cela pourrait s’avérer complexe voire impossible. Actuellement, la seule option offerte par les conventions internationales dont la France est signataire est de restituer les fonds saisis à l’Etat victime, sans aucune garantie que l’argent ne soit pas de nouveau détourné à des fins personnelles par les dirigeants.
Mais imagine-t-on la Guinée équatoriale, dont le vice-président, Teodorin Obiang, a été condamné en octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Paris à trois années de prison et 30 millions d’euros d’amende avec sursis, pour avoir blanchi entre 1997 et 2011 une somme estimée à 150 millions d’euros, se prêter de bonne grâce à une discussion ? Cette condamnation est la première – et la seule à ce jour – prononcée par la justice française dans une affaire de « biens mal acquis », alors que deux autres procédures en cours visent le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, et l’ancien président du Gabon, feu Omar Bongo. Le procès en appel de M. Obiang, premier responsable politique étranger à avoir été condamné en France, s’ouvrira le 11 décembre.
« Même dans les situations les plus difficiles, il peut être de l’intérêt pour l’Etat de voir la France financer certains projets de développement », veut croire le député.
« Ce n’est pas un don mais une dette »
Pour les ONG qui portent depuis des années la bataille contre les « biens mal acquis », il était aussi important que le dispositif imaginé ne conduise pas simplement à augmenter le budget de l’aide au développement. « L’argent qui pourrait être restitué n’est pas un don de la France. C’est une dette à l’égard des populations victimes et son utilisation doit donc être rigoureusement fléchée et répondre à leurs attentes », souligne Marc-André Feffer, président de Transparency International France.
Les recommandations des parlementaires vont dans ce sens, en proposant la création d’une ligne spécifique au sein du budget de l’Etat et dans les opérations de l’AFD, qui devra rendre compte chaque année de l’utilisation des fonds reçus de l’Agrasc. La façon dont les représentants des sociétés civiles locales pourraient être associés au choix des projets de développement reste en revanche floue.
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement pour accélérer le calendrier.
Le Monde