CONTRIBUTION
Dans un pays où on gagne des élections en achetant littéralement les électeurs au
vu et au su de tout le monde, le fait qu’un député soit mêlé à une affaire de trafic
de billets de banque est à la limite normale. Vous me demanderez sans doute
pourquoi ? C’est simple : parce que quand les deniers publics ne suffisent plus à
entretenir la mafia, il faut trouver de quoi la nourrir. Un régime de faussaires n’a
ni limite ni remords : arrêter d’être un faussaire pour un tel régime est aussi
difficile qu’arrêter de respirer l’est pour l’organisme.
Où est ce ministre, ancien directeur de société, qui nous avait vendu le rêve
d’une société qui a acquis grâce à lui, une santé financière tellement excellente
qu’elle pourrait en 2020 baisser les prix de l’électricité ? Il a été promu. Pendant
ce temps, le prix du pétrole n’augmente pas, mais l’électricité va connaître une
hausse. Les coûts du maquillage et du mensonge sont toujours élevés, quel que
soit le temps de l’idylle qu’ils vivent. Ils sont tous des menteurs, il trompent le
peuple, en font leur tremplin pour assouvir leur sombre ambition.
S’appuyant sur des storytellers et une presse divorcée avec l’information juste,
ce type à qui on prêt des ambitions présidentielles a présenté cette société
nationale comme ressuscités des morts par son seul génie, alors que les agents
patriotes de cette boite ont toujours expliqué que la plan TAKKAL avait posé
les jalons du redressement de ladite société. Les grands médias de ce pays, à
l’exception de quelques unes, ont déserté leur mission d’information pour n’être
plus que de vulgaires moyens de communication politique. Voilà une des
raisons qui rendent le contre-pouvoir plus difficile dans ce pays : on a réussi à
cadenasser l’esprit même du débat politique par la nature des débats et des
débatteurs conviés.
Même le politologue le plus chevronné ne remarque pas que ses analyses sont
piégées par l’hégémonie intellectuelle de cette presse que l’opposition
opportuniste de l’époque avait savamment infiltrée et instrumentalisée. Il y a
avait une sorte de cadenas du jugement politique. C’est comme le travail de
l’esclave qui charrie une culture dans laquelle le maître se retrouve dépaysé et
piégé : il devient l’esclave de l’esclave. Les plus pointus parmi les analystes ont
été victimes de la terreur intellectuelle imposée par une partie de la presse qui,
curieusement bénit aujourd’hui les pratiques qu’elle diabolisait à l’époque. Ça
me fait penser à un très bel article du philosophe américain d’origine allemande,
Herbert Marcuse « La Tolérance répressive » dans lequel il explique comment la
pensée dominante étouffe toute contestation en libérant (paradoxalement
d’ailleurs) la parole dans des mises en scènes médiatiques très élaborées au
service d’un clan ou d’une classe.
Ce cirque de Boughazeli montre combien l’État s’est affaissé dans ce pays : un
individu qui est pris en flagrant délit de possession de faux billets (même s’il est
innocent) ne peut pas bénéficier d’une liberté de trois à quatre jours pour
peaufiner sa stratégie de défense. C’est carrément du non-État. N’importe quel
criminel jouissant de tant de clémence de la part des gendarmes s’en sortirait.
Combien de personnes innocentes croupissent en prison alors que leur seul tort
était d’être au mauvais endroit au mauvais moment ? Mais eux, ce sont des
sénégalais ordinaires !
C’est vraiment écœurant. Et on vient nous raconter des histoires de diabète : ce
pays est en train de devenir un Narco-État. Quand l’argent sale élit domicile
dans un État, l’argent licite le quitte, le travail devient facultatif et l’économie
réelle sombre faisant place à un système de spéculation sans devise. Le travail
ne sert plus à rien dans ce pays : les travailleurs sont les plus pauvres et ce, non
par une quelconque exploitation du travailleur par l’employeur, mais à cause de
la chute vertigineuse du pouvoir d’achat.
Le plus inquiétant, c’est qu’en écoutant le mis en cause on a l’impression qu’il y a
des gens qui peuvent se faire justice eux-mêmes : il prétend qu’il a saisi lui-
même la voiture de son débiteur qui refusait de lui payer son dû ! Sommes-nous
dans un pays de cow-boys ? C’est quand même extraordinaire : on fait du Coran
un jouet pour se tirer d’affaire et ça va faire jurisprudence pour les voleurs. La
question qui me taraude l’esprit est comment un député grassement payé par nos
maigres deniers publics peut-il être enfariné dans une affaire qui nécessite la
solution radicale qu’il dit avoir mise en œuvre ? C’est quoi le deal au juste ? Ah
ce pays ! C’est quoi finalement ce peuple qui se fait berner par des voyous de si
grand chemin ? Dans un pays sérieux ce type ne serait pas rentré chez lui.
Et le gars se permet de dire qu’il s’est rendu à Touba la sainte pour solliciter des
prières ! Il n’est pas coupable, mais il trouve nécessaire d’aller spécialement à
Touba pour ne pas être « coupable » : il ne respecte même pas la ville sainte. C’est
révoltant. On aura tout vu avec ce régime de voyous. Pire, le gars, comme pour
nous divertir et nous distraire, vient nous jeter « l’os à ronger » de sa démission :
avait-il vraiment besoin de démissionner ? La seule chose positive dans cette
affaire, c’est sa démission (superflue du reste) : au moins le titre de député ne
sera plus souillé par une telle canaillerie.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal