Un salaire de cinquante mille francs, sans véhicule ni autres avantages. Voilà le statut de certains adjoints aux maires dont les titulaires, souvent des ministres ou directeurs généraux, s’arrogent tous les privilèges en plus de résider hors de la commune.
(Correspondance) – S’il y a des élus locaux qui ne sont guère enchantés par la prorogation du mandat des maires du Sénégal, ce sont bien leurs adjoints. Dans des localités comme Podor et Matam et Saint-Louis, les adjoints se lamentent sur les conditions dans lesquelles ils travaillent. En effet, au sortir d’une importante rencontre à laquelle ont pris part de nombreux adjoints aux maires, conseillers municipaux dans un lieu tenu secret, ces derniers sont montés au créneau pour fustiger leurs statuts et leurs conditions de travail. Pour commencer, ces élus locaux comptent rencontrer tous leurs collègues adjoints aux maires au plan national de quels que bords qu’ils se situent, du pouvoir comme de l’opposition afin de s’organiser pour mettre en place une structure qui se chargera désormais de défendre leurs intérêts. Selon un des initiateurs de cette rencontre, il est inconcevable voire anormal et injuste, que dans toutes les communes, que les adjoints aux maires fassent le gros du travail et qu’à la fin du mois, ils ne perçoivent que des émoluments dérisoires pour ne pas dire des salaires de misère.
Un autre adjoint d’informer qu’il est à son bureau de huit heures à dix-neuf heures sans être rémunéré à la hauteur de son travail. «Je suis assailli par des militants et proches parents qui pensent que je suis très à l’aise financièrement. Les gens font la queue du matin au soir rien que pour demander un soutien financier. Ils nous demandent de leur payer leurs ordonnances ou assurer leur dépense quotidienne. Certains vous demandent même de les aider à payer la scolarité de leurs progénitures. Et Dieu sait que nous essayons un tant soit peu de satisfaire à leurs sollicitations. Mais difficilement. Car comment comprendre qu’un adjoint au maire qui ne perçoit que cinquante mille frs Cfa puisse joindre les deux bouts ?» se désole cet adjoint au maire pendant que son patron occupe un poste de ministre de la République. «Avant même que ce montant ne nous soit payé, nous faisons face à des dettes de toutes sortes. Et pourtant les populations ne peuvent pas croire que c’est cette modique somme que nous percevons à la fin du mois», ajoute-t-il. Pire, selon toujours nos interlocuteurs, la plupart d’entre eux, n’ont même pas de voitures. Car celles qui sont affectées aux mairies sont utilisées par les maires eux-mêmes qui pour la plupart ne résident pas dans la zone. Ils préfèrent tous habiter dans les grandes villes. Alors qu’au même moment, les adjoints aux maires qui sont dans les villages n’ont aucun moyen de locomotion. Bon nombre d’entre eux peuvent se retrouver sur des charrettes pour voyager ou pour gérer des affaires administratives. «Croyez-vous que cela est normal ?» se demande un adjoint au maire dont le patron est un tout puissant Directeur général d’une société nationale qui perçoit ses trois cent mille frs Cfa à chaque fin du mois comme salaire à la mairie. «Et pourtant, il est rarement sur place. Les rares fois qu’il descend dans la commune, c’est pour présider le Conseil municipal», fulmine-t-il.
Ces adjoints estiment que l’Etat doit notifier officiellement aux maires, de laisser désormais les voitures de service dans les communes au lieu de s’en servir pour leurs besoins personnels qui n’ont rien à voir avec les intérêts des populations qui les ont élus.
Autres complaintes de tailles soulevées par certains adjoints : ce sont les difficultés qu’ils éprouvent à communiquer avec leurs patrons. «Moi qui vous parle, nous avons un maire qui est un tout puissant directeur général, mais à chaque fois que je veux lui parler en tant que son adjoint immédiat, il va falloir que je passe par sa sœur ou une de mes conseillères qui se trouve être sa vraie confidente. La dernière fois, j’ai eu une prise de gueule avec mon maire, du fait qu’il ne me prend pas au téléphone, et ne répond pas non plus à mes nombreux messages. C’est lorsqu’il a appris que j’étais sur le point de quitter la mouvance présidentielle qu’il a daigné m’appeler. Et moi aussi, j’ai refusé de décrocher mon téléphone. Ce qui l’avait mis dans tous ses états. Il a dû passer par un conseiller du village pour que je lui parle», narre notre interlocuteur qui ne peut plus supporter cette galère.
Des difficultés que ces adjoints aux maires ont mises sur la table et auxquelles ils exigent des solutions urgentes. Présents à cette rencontre, certains conseillers et autres présidents de commissions ont eux aussi soulevé les mêmes préoccupations. «Aucun conseiller n’est payé par l’administration. Quand nous nous déplaçons pendant les réunions, nous ne sommes pas remboursés. Et souvent quand les réunions se terminent tôt nous rentrons chez nous sans manger». Voilà pourquoi ces élus locaux ne sont guère enchantés par la prorogation du mandat des maires jusqu’en 2021. Car c’est une autre façon de prolonger leur galère.
Abou KANE