Pour les observateurs avertis de la politique sénégalaise, Sory Kaba n’est qu’une victime collatérale d’un duel de gladiateurs. Un peu comme le serait la pauvre fourmi dans un combat d’éléphants.
Le deuxième et – théoriquement – dernier mandat franchit, à peine, son semestre d’existence que les ambitions commencent à s’affirmer. Et pour ne pas se laisser fragiliser par le choc inévitable de ces ambitions au sein d’un parti dont la marque de fabrique est le manque de structuration, le chef a formellement intimé l’ordre à ses ouailles de ne pas évoquer sa succession. Les contrevenants à cette «loi» s’exposent, naturellement, à la sanction. Pour être passé outre, le ci-devant directeur général des Sénégalais de l’Extérieur au ministère des Affaires étrangères a reçu la guillotine au beau milieu du crâne. Sans attendre la toute prochaine réunion du Conseil des ministres, le président de la République l’a proprement viré. Sa faute ? Avoir dit, sur les ondes de la Rfm, que Macky Sall en est à son dernier mandat. «Notre Constitution oblige le président de la République à ne pouvoir faire que deux mandats. Ce qui est clair, il est dans le dernier mandat et la Constitution lui interdit de faire un 3ème mandat», a-t-il déclaré, dimanche dernier, au Grand Jury de la radio appartenant au musicien, homme d’affaires et ministre-conseiller, Youssou Ndour. Ce qui est une évidence pour tous, ne l’est pas pour certains qui n’y voient que le signe d’une insubordination. Le directeur général du quotidien national «Le Soleil» et militant de l’Alliance pour la République (Apr), dans une vidéo publiée par Dakaractu, assimile, en effet, la déclaration de Sory Kaba à «de l’indiscipline et (à) une atteinte à l’autorité du président de la République». Jugeant sa sortie inélégante, Yakham Mbaye en a déduit que Sory Kaba a «outrepassé les recommandations du président de la République en violant le droit de réserve pour parler de la possibilité ou pas d’un troisième mandat du chef de l’État». Suffisant pour que Macky lui coupe la tête.
Viré pour si peu, s’étonneront certains. Mais, pour les observateurs avertis de la politique sénégalaise, Sory Kaba n’est qu’une victime collatérale d’un duel de gladiateurs. Un peu comme le serait la pauvre fourmi dans un combat d’éléphants. Et c’est exactement de cela qu’il s’agit. Sory Kaba était le directeur général des Sénégalais de l’Extérieur. Un poste qu’il occupe depuis l’accession de Macky Sall au pouvoir. Des ministres des Affaires étrangères, il en a vu passer. De Me Alioune Badara Cissé à Sidiki Kaba, Sory a été indéboulonnable au poste. Se payant même le luxe de ferrailler avec certains de ses supérieurs dont Souleymane Jules Diop avec lequel les désaccords étaient devenus anecdotiques. A la faveur de la réélection du chef de file de l’Apr, Amadou Bâ quitte les Finances pour les Affaires étrangères où il trouve Sory Kaba avec lequel, a priori, il n’a aucune affinité. Curieusement, la mayonnaise ne tarde pas à prendre entre les deux. Un syndrome de Stockholm, diront certains. De l’opportunisme politique, pour d’autres selon qui les ambitions présidentielles d’Amadou Bâ ne sont un secret pour personne. Alors, quand Sory Kaba prend une position, ils voient l’ombre d’Amadou Bâ derrière. Abdou Mbow qui ne s’y trompe pas le dit à mi-mot. «Cela ne relève nullement de la déclaration que Sory Kaba a eu à faire dimanche dernier. Je pense que, dans les jours à venir, vous comprendrez que cela n’a absolument rien à voir», décrypte l’ancien responsable des jeunes de l’Apr et ancien vice-président de l’Assemblée nationale.
Une sortie qui a l’avantage de nous convaincre du fait que si la foudre de Macky s’est abattue sur la nuque de Sory Kaba, c’est que, dans les officines du pouvoir, on est convaincu qu’il était en mission commandée. Parce que, c’est maintenant devenu clair, dans leur tête que, en 2024, Amadou Bâ va se dresser contre n’importe quel candidat, fût-ce Macky Sall, lui-même. Ce dernier, vraisemblablement, n’a pas dit son dernier mot. Et dans une entreprise de re-présentation, il est en train de compter ses amis, ses ennemis et de taper sur les têtes qui dépassent. Donc, la décapitation d’Amadou Bâ, himself, n’est qu’une question de timing, d’agenda et d’opportunité. S’il peut compter sur une poignée de fidèles comme Abdoulaye Daouda Diallo ou Mohamadou Makhtar Cissé, le tour n’est loin d’être joué chez certaines têtes de turcs comme Amadou Bâ, Mimi Touré ou Alioune Badara Cissé. A la tête d’institutions ou de ministères de souveraineté, ils n’en gardent pas moins de l’ambition pour la fonction suprême. Ce qui fait que leurs faits et gestes, ceux de leurs proches, sont surveillés, scrutés et décodés.
Ibrahima ANNE