CONTRIBUTION
Ces dernières années, de nombreux ouvrages de référence ont interrogé l’utilité des élections pour les démocraties contemporaines. En effet, le jeu électoral demeure facilement influençable – par les partis au pouvoir, par les puissances de l’argent, par les leaders d’opinion et parfois même par des forces étrangères – et que les électeurs, mal renseignés sur la réalité de l’offre politique, n’ont souvent pas les moyens de jouer convenablement leur rôle.
Les études montrent que, même lorsqu’ils savent à quoi s’attendre, comme c’est censé être le cas dans les démocraties les plus anciennes et donc considérées comme établies, ils peinent à sanctionner dans les urnes les élus qu’ils jugent pourtant non performants (Christopher H. Achen et Larry M. Bartels en ont fait la démonstration en 2016 dans Democracy for Realists : Why Elections Do Not Produce Responsive Government [« La Démocratie pour les réalistes : pourquoi les élections ne produisent pas de gouvernement efficace »]).
Méfiance des citoyens
Rien de tout cela n’est très nouveau, mais les choses ne vont pas en s’arrangeant, car les réseaux sociaux et, d’une manière plus générale, internet, ont accru la méfiance des citoyens vis-à-vis des élections. Parce qu’ils facilitent la diffusion des fausses informations, mais aussi parce qu’ils augmentent les risques de manipulation des scrutins. À cet égard, personne n’est à l’abri, même dans les « vieilles » démocraties.
La frustration des citoyens est donc aisément compréhensible, mais faut-il pour autant jeter les élections aux orties et penser un nouveau mode de sélection des représentants du peuple ? Pas nécessairement, même s’il ne faut pas écarter la possibilité que l’on finisse par trouver un mécanisme plus convaincant.
Il faudrait déjà réviser nos attentes à l’égard du système et comprendre que ces élections ne sont qu’un outil. Autrement dit, il n’est sans doute pas réaliste d’attendre d’elles qu’elles produisent de manière automatique et quasi naturelle des gouvernements efficaces, non corrompus et à l’écoute des citoyens.
Ceci étant posé, il est toujours possible, dans les « vieilles » et – à plus forte raison – dans les « jeunes » démocraties, d’améliorer l’outil, et c’est ce que font de nombreux pays sur tous les continents. Il n’y a donc pas de raison que ces efforts ne soient pas poursuivis dans les « jeunes » démocraties africaines, et ceci d’autant plus que, selon les sondages réalisés par Afrobaromètre, entre 73 % et 82 % des Africains interrogés entre 2002 et 2018 « soutiennent » le principe de l’élection comme mode de sélection des gouvernants.
Contrepoids et équilibre
Surtout, il est temps que l’on accorde plus d’attention – et de prérogatives – aux institutions de contrepoids et d’équilibre, qui existent dans la plupart des démocraties. Citons, par exemple, non seulement le législatif et le judiciaire, mais également les agences de lutte contre la corruption, les commissions des droits de l’homme et les autorités de régulation des médias.
Il est de notoriété publique que ces organes ne jouent pas leurs rôles dans les démocraties africaines et, dans le fond, c’est peut-être cela qu’il faut commencer par changer. Car même avec les élections les plus propres, les plus transparentes et les moins influencées, il est irréaliste d’espérer que les gouvernants soient irréprochables et qu’ils aient à cœur de satisfaire les attentes de leurs concitoyens si on ne leur adjoint pas de garde-fous.
Comme l’a dit James Madison, quatrième président des États-Unis et coauteur du recueil Le Fédéraliste : « La dépendance vis-à-vis du peuple est, sans doute, le premier contrôle sur le gouvernement ; mais l’expérience a montré la nécessité de précautions complémentaires » – une allusion explicite aux institutions de contrepoids et d’équilibre.
Mathias Hounkpe
Administrateur du Programme de Gouvernance Politique et de Consolidation Démocratique de OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).