Bien que graciés, il reste encore à Khalifa Sall et Karim Wade beaucoup d’obstacles à franchir. Des atouts de taille pour le parti présidentiel qui en profitera pour préparer son candidat.
En politique, Wade passe pour un grand tacticien. L’un des meilleurs de sa génération, se hasarderont à dire certains observateurs de la scène politique post indépendance. De l’entourloupe d’une formation «contributionniste» –collabo, selon les mauvaises langues- avec laquelle il convainquit Senghor d’ouvrir les vannes de la démocratie à la théorisation d’un gouvernement de majorité présidentielle élargie en passant par les coups de canif portés au tissu électoral ayant préparé la chute de Diouf, il a démontré que, s’il y avait un Nobel de politique, il irait bien à son crâne dégarni comme un chéchia sur la tête du nonagénaire qu’il est. On l’aime ou le déteste, il faut lui reconnaitre les qualités d’orfèvre politique. Et ce n’est pas pour rien que, à près de 100 ans, le «vieillard» comme il aime se faire appeler, lui-même, tient le thermomètre politique. Pour paraphraser l’autre, quand il a froid, le pays grelotte. Et quand il étouffe de chaleur, c’est tout Ndoumbélane qui transpire. Le rythme fou qu’il s’impose, notamment dans la bataille politique, ne laisse aucune chance à ses jeunes partisans et adversaires de le rattraper. Ils ne sont plus nombreux à être dans son sillage. S’y ajoute un don inné d’imprévisibilité qui déroute et étonne. Feu Dansokho, qui aurait pu être son biographe attitré dans une autre vie, disait de lui que, quand il clignote à droite, c’est pour tourner à gauche. Sauf que, s’il ne peut prétendre l’égaler, Macky peut revendiquer de lui arriver à la cheville. Le timide ministre puis Premier ministre est, à force d’expériences heureuses, de mésaventures et de leçons apprises à l’ombre du «Vieux», passé redoutable manœuvrier politique. Il n’abat jamais toutes ses cartes ni ne met jamais tous ses œufs dans un même panier. En un mot, Wade est grand mais Macky n’est pas petit. La preuve par les dernières actualités. En public, l’actuel Président la joue fils docile voire aux petits soins. Face caméras, il fait le premier pas, saisit la main de Wade, la soulève avant de se laisser volontiers souffler quelques «trucs» à l’oreille par Maître avec, en arrière-plan, le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké. L’image fait le tour de la planète. Le meilleur cabinet de com’ n’aurait pas réussi pareille prouesse. Macky surfe sur la vague. Et pousse même la politesse jusqu’à proposer au «Vieux» de faire un petit bout de chemin avec lui, en mode covoiturage, avant de le «déposer» chez lui. Il faut être naïf pour croire, un seul instant, que tout cela est spontané. Dans le Protocole d’Etat, il n’y a pas de place au hasard. Tout est orchestré au détail près.
Saut d’obstacles
Et tout cela, c’était pour la photo. Dans sa tête, le président de la République avait peaufiné sa stratégie. Comme tout est question de contexte et d’opportunité, Macky sort de ses tiroirs un décret de grâce en faveur de Khalifa Sall, dactylographié et qui devait être publié dans l’euphorie de la finale de la Can, contre l’Algérie. Mais que, selon ses «volonté» et «désir», il avait retiré du circuit. L’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinaan avec, dans la foulée, la poignée de mains avec Wade, lui offre une nouvelle situation favorable. Il feuillette le parapheur et dépoussière son décret de remise de peines, mettant Khalifa «dans la même situation que Karim», selon le professeur de droit et de procédure pénale, Ndiack Fall. Certes, les deux ont remporté une bataille. Mais, pas totalement la guerre. La prochaine manche pour les deux anciens pensionnaires de Rebeuss, c’est celle de l’amnistie qui est la seule à pouvoir effacer les faits et toutes les procédures subséquentes. Il se dit que Karim exige plus. Il veut que, dans le cadre d’une révision de procès, ses mêmes juges à la Crei se «déculottent» en déclarant s’être trompés et en le lavant blanc comme neige. Tout un programme !
Quant à Khalifa, ses ouailles annoncent déjà ses ambitions nationales et revendiquent sa réhabilitation dans toutes ses positions antérieures. Dans notre édition d’hier, Aminata Diallo ne s’y est pas trompée. Pour la cheffe de cabinet de l’ex-maire de Dakar, beaucoup de défis et de challenges restent à relever. Parce que, selon elle, il faut que Khalifa soit rétabli dans ses droits civiques et politiques.
Pour y parvenir, leur faudra aux deux «K» du temps et de l’énergie. Autant dire que, en les mettant au niveau de simples graciés, Macky les met plus à l’épreuve qu’autre chose. Une épreuve dans laquelle ils vont mettre forces, fortune, moyens et réseaux. Au même moment, le parti présidentiel aura tous temps et loisirs de préparer son candidat à la Présidentielle de 2024. Mettant ainsi en pratique la maxime qui veut que, il ne suffit pas de courir ; il faut partir à point.
Ibrahima ANNE