Le président de la République a remis totalement les peines infligées à l’ancien maire de Dakar. Cette décision de Macky Sall a plus de conséquences politiques que judiciaires. Car, elle chamboule tout l’échiquier politique.
Avant-hier, dans la soirée, le président de la République, Macky Sall, a signé un décret pour gracier, l’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall ainsi que ses deux autres codétenus Mbaye Touré et Yaya Bodian, tous condamnés en cinq de prison dans l’affaire de la Caisse d’avance au niveau de la municipalité de la capitale. Ils avaient été reconnus coupables de «détournement de deniers publics, de faux et usage de faux, d’escroquerie». Des accusations que l’édile de Dakar a rejetées en bloc ainsi que ses partisans. Ils parlaient de cabale politique pour empêcher un adversaire à se présenter à la présidentielle du 24 février dernier. Car d’après eux, il s’agit de «fonds politiques» dont la gestion est laissée à la discrétion du maire de la ville, comme les fonds politiques du président de la République.
Cette grâce présidentielle risque de changer la configuration de la classe politique sénégalaise plus particulièrement au sein de l’opposition. Si au niveau de la mouvance présidentielle incarnée par la Coalition Benno Bokk Yaakaar, c’est Macky Sall qui est alpha et oméga, dans l’opposition, les observateurs épiloguent depuis quelques temps sur le statut du chef de l’opposition. D’aucuns estiment que c’est le chef de parti ayant plus de représentants à l’Assemblée nationale qui doit l’être, d’autres affirment le contraire en indiquant le candidat arrivé deuxième à la précédente présidentielle. Et les regards s’orientent vers le Pape du Sopi dont le parti a plus de députés au Parlement et Idrissa Seck classé deuxième derrière Macky Sall à la présidentielle. Mais, l’ancien édile de Dakar, élargi de prison, va tout chambouler dans les prochains jours. Malgré ses trois ans d’absence de la scène politique, son aura reste toujours intacte. Il demeure toujours dans le cœur des Sénégalais. En atteste, d’ailleurs, la foule qui l’a suivi, avant-hier, du tribunal à la maison de sa maman. Lui qui a quitté la prison de Rebeuss vers 20 heures n’a franchi le seuil du demeure familial que vers 1 heure du matin du fait de la monstruosité de la foule.
Alliance avec Idy en rude épreuve
Khalifa Sall, considéré comme le principal adversaire de Macky Sall lors de l’élection de février dernier, a été écarté de la course au palais après être frappé de cette décision judiciaire. Déterminé à se présenter, il avait fait un recours au niveau de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Ayant constaté que la décision de cette justice qui lui est favorable ne peut pas prévaloir sur la décision rendue par la justice sénégalaise, il a décidé de soutenir Idrissa Seck. «Notre démocratie a été mise à mort ces sept dernières années par la rupture du dialogue politique, par la manipulation de la Constitution, par les tripatouillages du processus électoral et par la remise en cause des acquis démocratiques. Durant sept années, les institutions et les lois de la République ont été manipulées et détournées par le pouvoir en place pour se tracer le chemin d’une réélection sans péril», avait écrit Khalifa Sall. Et de poursuivre : «C’est pour cette raison que j’ai décidé, en accord avec les partis et organisations membres de Taxawu Senegaal ak Khalifa Ababacar Sall, d’accepter l’offre d’alliance du candidat Idrissa Seck». Ce soutien de l’ancien maire de Dakar par le biais de son mouvement politique Taxawu Sénégal, a beaucoup pesé sur la balance pour l’opposant Idrissa Seck arrivé deuxième avec un pourcentage de plus de 26 %.
Seulement, ce soutien n’était que circonstanciel. Les deux leaders ayant les mêmes objectifs, aspirent à gouverner le Sénégal après l’élection du février 2024 à laquelle le Président Macky Sall, ne pourra pas théoriquement participé après deux mandats successifs. Cette remise de peine signe le début de la fin de cette alliance. D’ailleurs, comme disait un des lieutenants de Khalifa Sall dans la foulée de la décision prise par son mentor, «d’un point de vue philosophique ou programmatique, il n’était pas spécialement proche de l’un ou de l’autre, mais Khalifa Sall veut que l’opposition l’emporte face à Macky Sall. Or l’important pour lui, dans le cadre de cette élection, c’est de soutenir le candidat qui lui semble avoir la base électorale la plus solide». Et son ancien directeur de cabinet, Babacar Thioye Ba de renchérir dans Jeune Afrique : «Khalifa Sall n’apporte pas son soutien à un candidat à proprement parler, il a conclu un accord de partenariat avec Idrissa Seck. Soutenir un candidat, c’est se ranger totalement derrière lui et ses idées, autrement dit le suivre inconditionnellement. Dans le cas présent, Khalifa Sall a conclu un accord de principe autour du projet du candidat et des modalités de l’exercice du pouvoir qu’il prévoit s’il est élu. Tous ces points ont été discutés, ils seront paraphés dans les semaines à venir».
En revanche, même si l’ancien maire de Dakar est libre de tout mouvement et peut reconquérir Dakar et les autres régions, il lui reste le rétablissement de ses droits civiques qui risquent de le priver de participer aux futures échéances électorales.
Mamadou GACKO