Si ce n’est pas un poker menteur, la réconciliation entre le Président Macky Sall et son prédécesseur Abdoulaye Wade, aura forcément des conséquences politiques. Mieux, elle va bouleverser l’échiquier politique. Elle aura aussi des déçus, des perdants et des gagnants.
Pour la première fois depuis leur passation de service en 2012, l’ancien président de la République Abdoulaye Wade et son successeur Macky Sall se sont retrouvés publiquement. Plus que des retrouvailles, les deux hommes, qui avaient rompu le contact direct depuis plus de sept ans, qui se sont affrontés verbalement, ont fumé le calumet de la paix. Ils se sont serrés la main. Puis une chose impensable jusqu’à hier, Abdoulaye Wade avec Macky Sall sont partis ensemble dans la voiture du président de la République. Au diable donc les invectives, les menaces, les accusations de part et d’autre, les deux hommes filent le parfait amour politiquement bien sûr. Une paix des braves, entre un père et son fils putatif devenu après 2012 son pire cauchemar, orchestrée par le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké et scellée, hier lors, de l’inauguration de la mosquée Massalikul Jinaan. Mais puisque dans toute relation il y a des perdants et des gagnants, cette réconciliation, si ce n’est pas un poker menteur, aura forcément des conséquences politiques. Elle aura des déçus, des perdants et des gagnants. Mais quoi qu’il en soit, sincère ou pas, elle va bouleverser l’échiquier politique national.
Le premier gagnant pourrait être Macky Sall lui-même. En effet, après cette réconciliation très médiatisée rien n’empêche maintenant au Pds de rejoindre la table du dialogue politique. Ce qui serait un coup gagnant pour le chef de l’Etat dont le dialogue peine à avoir l’envergure nationale qu’il souhaite à cause du boycott du plus grand parti de l’opposition, le Pds qui est la seule formation politique qui dispose d’un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Cette réconciliation pourrait également permettre de décrisper l’atmosphère politique. En effet, le climat est très tendu depuis l’élection présidentielle du 24 février dernier dont Karim Wade, le candidat désigné a été exclu. Mais Abdoulaye Wade ne perdrait pas au change, au contraire. On ne connaît pas encore les dessous de cette réconciliation, mais le Pape du Sopi, en véritable bête politique, obtiendra forcément quelque chose en contrepartie de ce cessez-le-feu. Il ne va pas renier sept ans de lutte pour les beaux yeux de son ennemi Macky Sall encore moins pour faire plaisir au Khalife général des mourides. Et le plus grand bénéfice qu’il pourrait en tirer est sans nul doute la fin de «l’exil» et l’autorisation pour son fils Karim Wade de rentrer au bercail. Mais la plus grande contrepartie serait le vote d’une loi d’amnistie en sa faveur ou la révision de son procès, comme il le réclame pour laver son honneur. Ce qui lui permettra de briguer le suffrage universel lors de l’élection présidentielle de 2024. Car à en croire Oumar Sarr, ancien secrétaire général national adjoint du Pds, c’est la participation du Pds au premier dialogue politique qui avait permis à Karim Wade de sortir de prison. Et toujours d’après lui, c’est parce que Karim Wade n’a pas obtenu la révision de son procès que le Pds boycotte le second dialogue politique en cours.
D’autre part, avec cette réconciliation Abdoulaye Wade pourrait exiger que le chef de l’opposition qui cristallise le landerneau politique et qui est débattu actuellement dans le cadre du dialogue politique soit issu de l’Assemblée nationale. C’est-à-dire que le chef de l’opposition soit le président du groupe parlementaire de l’opposition. Et étant donné que seul le Pds dispose d’un groupe parlementaire, le chef de l’opposition, si le Président Macky Sall veut contenter Wade, devrait être incarné par Serigne Cheikh Mbacké le président du groupe parlementaire des libéraux. Le député Mamadou Lamine Diallo a déclaré tout récemment que le chef de l’Etat mettra une cagnotte de 2 milliards de francs au chef de l’opposition. D’autres politiques qui pourraient bénéficier de ces retrouvailles : les exclus du Pds comme Madické Niang, Modou Diagne Fada, Pape Samba Mboup, Farba Senghor, etc ou ceux qui sont sur la voie d’être bannis comme Oumar Sarr et les frondeurs, animateurs du mouvement Suqali Sopi. Puisqu’ils ont toujours réclamé un rapprochement entre les deux hommes, cette réconciliation semble leur donner raison. En revanche, le député Ousmane Sonko risque d’être le plus grand perdant pour ne pas dire le dindon de la farce des retrouvailles entre le père et le fils putatif. En effet, depuis quelques temps, il avait noué une certaine complicité avec Abdoulaye Wade qu’il a rencontré à maintes reprises. Mais en se réconciliant avec le Président Macky Sall, ennemi juré du leader de Pastef, Abdoulaye Wade semble avoir changé de camp et de fusil d’épaule. Il compte plus sur son successeur pour la réalisation de ses plans que sur Ousmane Sonko l’étoile montante de la politique sénégalaise.
Charles Gaïky DIENE