Partis à la retraite depuis plus de 20 ans pour certains et 10 pour d’autres, les retraités de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES) souffrent dans leur chair et parfois en silence.
Rupture d’approvisionnement en médicaments, rupture de prise en charge médicale, retard de paiement de leurs pensions, accès difficile aux médecins spécialistes… Voilà autant de difficultés qu’ils rencontrent depuis qu’ils ont quitté les bureaux. Avant-hier, les retraités du Sénégal se sont donné rendez-vous à Thiès pour “pleurer’’ ensemble et réclamer en même temps le départ du Dg Mamadou Diagne Sy Mbengue.
“Les retraités meurent, tous les jours, parce qu’ils ne bénéficient plus de soins médicaux. J’ai peur pour même-moi et pour les autres. Car, tout ce qui se passe ici, à Thiès, c’est la même chose à Matam ou encore Kédougou. Dites-moi que sont devenues nos veuves ? Ce qui nous affecte à ce moment, les affecte doublement, parce qu’elles se débrouillent toutes seules pour entretenir leurs familles. On meurt, parce que nos maigres pensions ne peuvent rien nous assurer’’, crache Moussa Ndiaye, un retraité de Thiès. Après lui, c’est au tour du président du Regroupement des retraités allocataires de Thiès de faire le même constat amer. Voix rauque tantôt basse, Babacar Ndiaye expose sur le mal qui guette la famille des retraités. Tout comme son prédécesseur, il lâche le grand morceau. “La situation que nous retraités vivons est catastrophique. Catastrophique, parce que nous ne sommes pas soutenus. Catastrophique, parce que nos camarades qui ont eu à servir cette nation meurent dans le silence ou sont en train d’affronter la mort, à cause des ruptures incessantes de médicaments dans les centres socio-médicaux. Et c’est trop grave. Camarades, la situation est devenue de plus en plus compliquée’’, larmoie Babacar Ndiaye qui, lui aussi, a pris part à l’Assemblée générale élargie qui s’est tenue, avant-hier, dans la capitale régionale du Rail. La rencontre dite de Thiès a permis aux retraités de dresser un diagnostic général de la situation qui prévaut au sein de l’Ipres et de se pencher également sur leurs conditions de vie. Mettant le curseur sur la rupture de la prise en charge médicale, le président de la section Thiès du Regroupement des retraités allocataires de l’Ipres indique que celle-ci tant chantée a toujours été un slogan creux.
A son avis, rien de tout cela n’est vrai. “Moi-même, j’ai vécu cette expérience. Il y a quelques jours, je suis tombé malade. J’ai décidé de me rendre à l’Ipres où on m’a remis une lettre pour ma prise en charge. Une fois au centre hospitalier régional El Hadj Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès, on m’a fait comprendre que je ne devais en aucune manière bénéficier d’une prise en charge. Alors, j’ai dû payer la somme de 310 400 F Cfa pour me faire soigner. Je sais que cela concerne également des milliers de retraités. Il faut que les gens contrôlent l’ampleur de cette non-prise en charge médicale. Jusqu’à présent, il y a un retraité qui est obligé de retenir ses urines, parce qu’il n’a pas de quoi se soigner. Donc, il faut que les gens arrêtent de nous leurrer’’, se lamente M. Ndiaye.
“Nous retraités de Pikine…’’
Quant à Oumar Dia, retraité venant de Pikine, il se focalise sur les difficultés que ses camarades et lui-même éprouvent à accéder aux médecins spécialisés dans le traitement des pathologies qui, très souvent, affectent les personnes du 3e âge. “Nous, retraités de Pikine, avons l’habitude de nous rendre à Bel-Air pour nous soigner. Nous y passons toute la journée sans même voir le médecin traitant. Au final, on nous fixe des rendez-vous sur trois mois. Au bout du compte, nous restons avec nos douleurs et maladies qui nous tuent à petit feu. Cela doit cesser, car nous sommes de dignes citoyens qui avons servi ce pays avec honneur et fierté’’, déclare-t-il. Autre prise de parole, autre récrimination. Pour Seynabou Ndiaye, la situation des retraités de l’Ipres est alarmante. Elle préconise de porter le combat à l’échelle nationale afin d’obtenir gain de cause de la part du directeur général de l’Ipres. Pour sa part, Gallo Diagne soutient que, s’il y a eu vraiment détournement de 400 millions à l’Ipres, ce n’est pas aux retraités d’en faire les frais. Il demande à ses camarades de ne pas lâcher le combat, au risque de tout perdre. De son côté, Iba Diallo, Secrétaire général national de l’Association des retraités du Sénégal (Ars) affiliée à l’Ipres, pense que les retraités de ce pays ne doivent plus être “considérés comme des éternels assistés’’.
Diagne Sy, un Dg honni
Le directeur général de l’Ipres, Mamadou Diagne Sy Mbengue, en a pris pour son grade, au cours de cette rencontre. Tous les anciens travailleurs ont tour à tour demandé au Dg de rendre le tablier, afin que l’institution se trouve une personne capable de gérer leurs difficultés. Président régional de l’Association générale des allocataires de régime de retraite (Agar) de Fatick et membre du Comité de veille créé le 21 août 2018, Mamadou Dia Fall révèle que les problèmes qui plombent le bon fonctionnement de l’Ipres renseignent sur la mauvaise gestion de l’actuel Dg. Il clarifie : “La situation actuelle de l’Ipres se présente comme suit : premièrement, rupture d’approvisionnement de médicaments au centre médico-social de Dakar et dans les régions, malgré un budget de plus de 600 millions de francs Cfa voté par le Conseil d’administration. Deuxièmement, il y a un constat de retard de paiement des pensions, à l’exception des allocataires payés par virement bancaire, depuis un certain temps. Nous avons aussi constaté un recrutement injustifié au mépris des règles fixées en la matière ; bref, un effectif pléthorique (plus de 600 personnes) pour satisfaire une clientèle politique d’une localité.
Donc, il y a une situation d’une gravité extrême menaçant à terme, l’équilibre budgétaire de l’institution.’’ Outre ces difficultés soulevées, l’initiateur de la rencontre de Thiès affirme qu’il y a un laxisme qui ne dit pas son nom au sein de l’institution dirigée par le maire de la commune de Tivaouane. Il souligne que c’est ce manque de rigueur dans la gestion qui a provoqué le détournement de plusieurs millions de francs Cfa. “On note le laxisme total dans cette gestion caractérisée par l’absence d’autorité notoire, facilitant ainsi le détournement de tickets de restauration d’une valeur de plus de 400 millions de francs Cfa. Ce qui est extraordinaire et regrettable en même temps, aucune sanction n’a été prise en l’encontre des auteurs de ce scandale’’, déplore Mamadou Dia Fall.
Avant d’indiquer que tous ces arguments démontrent, à suffisance, la mauvaise gestion du directeur général de l’Ipres. Par conséquent, ses camarades et lui réclament le départ “immédiat’’ de Diagne Sy Mbengue. “Là où M. Mamadou Diagne Sy Mbengue a commis une grosse faute et montré son ambition démesurée, c’est quand il a voulu emballer le ministre du Travail (Samba Sy) pour demander le retrait de l’autonomie de gestion de l’Ipres si chèrement acquise. Heureusement que le président du Conseil d’administration de l’Ipres a été informé à temps et a pu déjouer ce plan diabolique de Mamadou Diagne Sy Mbengue. C’est pourquoi, après la rencontre, on a adopté une résolution dans laquelle figure, en droite ligne, la revendication des retraités : le départ immédiat et sans condition de Mamadou Diagne Sy Mbengue !’’, martèle Mamadou Dia Fall, retraité de la région de Fatick. Il faut rappeler qu’à la fin de l’assemblée générale, une résolution a été adoptée et envoyée au Dg et un comité de suivi mis en place pour poursuivre le travail entamé dans la capitale du Rail.
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