Macky qui ne veut que personne ne nourrisse l’ambition de lui succéder avant le terme de son second mandat est à la manœuvre. Entre incessants rappels à l’ordre et usage du décret, le Président de l’Apr veut maintenir les troupes en cage avec, dans tous les cas, un résultat loin d’être garanti.
Dimanche dernier, recevant les militants Apr de France, dans la résidence de l’ambassadeur, le président de cette formation a déclamé l’oraison funèbre de toute ambition présidentielle dans ses rangs. Macky Sall a, en effet, intimé l’ordre à ses cadres de ravaler leurs rêves de présidentiable jusqu’à la fin de son mandat dont le terme officiel est fixé au début avril 2024. Une manière quelque peu maladroite de siffler la fin de la récréation après la suppression du poste de Premier ministre, le saucissonnage des gros ministères et la redistribution des cartes. Des leviers qui se sont, dans la pratique, révélés peu efficaces par rapport à l’objectif final du containment. Il n’est un secret pour personne que, en supprimant le poste de chef de gouvernement pour, officiellement, rapprocher le président de la République des cercles de décisions que sont les ministères, Macky Sall visait autre chose qu’une célérité de l’action publique. Mezza voce, des fonctionnaires en sont à se plaindre de la persistance des goulots d’étranglement, de la lenteur des procédures du fait de l’inaccessibilité du chef suprême, surbooké par son agenda diplomatique et ses fonctions de représentation ou, pire, des conflits de personne entre le secrétaire général du gouvernement et celui de la présidence de la République.
Le tampon entre les ministres et le président de la République ayant sauté, on se retrouve dans un bal des égos qui rappelle les fins de règne de l’époque senghorienne avec les Babacar Bâ, Magatte Lô, d’une part, et les jeunes loups à l’image de feu Djibo Kâ, Moustapha Niasse, Abdou Diouf. Tout comme la chute de ce dernier a été balisée par le choc des ambitions Niasse-Tanor-Djibo qui lui ont été fatales. Pour simplement dire que les slogans «fast track», «recentrage» et «resserrement» n’ont d’autres finalités que de maintenir en cage ceux qui, au sein de l’Apr, caressent le rêve de singer ces éléphants de la galaxie socialiste. Le décret-marteau entre les mains, Macky Sall s’est chargé, méthodiquement, de taper sur les têtes qui dépassent. Hypertrophie au centre, hémiplégie au niveau des échelons intermédiaires et paralysie aux extrémités rythment l’ambiance morose du second mandat qui n’en est pourtant qu’à ses prolégomènes. Et le fast track de faire place nette au slow-strack avec des chantiers et programmes au ralenti s’ils ne sont carrément à l’arrêt. «Dans ce type de mandat a priori non renouvelable, on observe un phénomène qui ne se voit qu’en politique : le Président assiste à son enterrement politique. Des fois même sous l’œuvre des pelles impitoyables de très proches. Et c’est ça la véritable situation à laquelle tout Président sortant, dans ces mêmes conditions, aura à faire face, ici comme ailleurs. Et l’équation est la même partout : comment maintenir les troupes jusqu’à terme», commente Dr Cheikh Atab Badji, analyste politique. Pour expérimenter ces bonnes vieilles règles de la science politique, Macky pousse les pions. Amadou Bâ se voit exfiltrer pour un asile aux Affaires étrangères où il devra réciter, mille fois, qu’on ne rêve pas du fauteuil du chef quand le chef est là. Pour lui succéder, le chef de file de l’Apr jette son dévolu sur son fidèle, Abdoulaye Daouda Diallo. Mais, aussi fidèle et engagé soit-il, il se voit amputer des pans importants de son ministère : l’Economie et la Coopération financière internationale qui tombent dans l’escarcelle de Amadou Hott qui, a priori, n’en bave pas pour le fauteuil. Une manière de les tenir en respect.
Alliés KO debout
Chloroformé et disqualifié par le critère de l’âge, Moustapha Niasse, dauphin constitutionnel du président de la République, ne peut jouer au Zorro, pardon, au Soro (Guillaume). Ce dernier, ancien chef de la rébellion ivoirienne, ancien allié de Ouattara et ancien Président de l’Assemblée nationale, est désormais dans une opposition frontale à l’actuel président de la République, multipliant les rencontres avec ses irréductibles adversaires que sont Bédié et Gbagbo. Moustapha Niasse est à mille lieues de cette posture. Il n’en a ni l’âge, ni la force ni les moyens politiques.
Tanor décédé, l’autre institution de la République qu’est le Conseil économique, social et environnemental (Ces) est incarnée par une apériste, Aminata Touré. «Mimi», comme on l’appelle familièrement, est short -listée par Jeune Afrique comme faisant partie du quinté ayant l’ambition d’être calife à la place du calife. Mais, seulement, précise ce dernier, quand le calife ne sera plus là. Mimi a l’avantage d’avoir été un cobaye de cette expérience. Ses rêves de pouvoir ont été freinés sous le fallacieux prétexte d’une défaite aux locales sanctionnée par une traversée du désert qui a pris fin avec le poste taillé sur mesure et pas renouvelé depuis qu’elle n’est plus là : Envoyée spéciale auprès du président de la République.
Donc, toute ambition déclarée avant l’heure devant être sévèrement punie conformément à la volonté du chef. Mais, jusqu’à quand Macky pourra-t-il les étouffer ? Hollande et Chirac qui s’y étaient essayé n’y ont vu que du feu. Jacques Chirac n’a pas pu contenir les assauts d’un Sarkozy qui pense au fauteuil présidentiel, «tous les matins, en (se) rasant». Idem pour François Hollande qui a dû se faire à l’idée qu’on n’arrête pas une mer nommée Macron avec ses bras. Sauf que, dans ces deux cas, l’un et l’autre ont pris la responsabilité de se libérer de la coupole du chef pour se construire leur propre destinée. «Maintenant, c’est à ceux-là qui ont l’ambition de prendre leur responsabilité qui se résume à un acte : partir au moment opportun, quitte à profiter d’une opportunité politique ou en en inventant car l’invention politique est la meilleure des ressources en stratégie politique», ajoute Dr Badji.
Amadou Bâ, Mimi Touré, Abdoulaye Daouda Diallo, Aly Ngouille Ndiaye, Mahammed Dionne et Mohamadou Makhtar Cissé sauront-ils décrypter le message ?
Ibrahima ANNE