Assimilé à une « incitation à la haine » à l’égard de la communauté noire, la justice sud-africaine a interdit mercredi 21 août de déployer en public le drapeau de l’époque de l’apartheid.
C’est l’un des symboles les plus controversés en Afrique du Sud. Il est tricolore comme la plupart des étendards à travers le monde. Mais, contrairement à ses semblables qui font la promotion des valeurs de leur patrie, de 1928 à 1994, l’Afrique du Sud avait comme emblème national les trois couleurs horizontales orange, blanche et bleue, avec sur la bande centrale les drapeaux britanniques, de l’ancienne république du Transvaal et de l’ex-État libre d’Orange. Ce drapeau, qui symbolisait originellement l’union des communautés blanches afrikaner et anglophones, avait fini par être associé au régime d’apartheid de ségrégation raciale mis en place à partir de 1948. Aujourd’hui, certains Sud-Africains blancs utilisent ce drapeau lors de rassemblements. En 2017 par exemple, un collectif de fermiers blancs avait brandi des étendards de l’apartheid pour protester contre le meurtre de 64 fermiers. La Fondation Nelson Mandela (NMF) et la Commission sud-africaine des droits de l’homme (SAHRC) ont déposé une plainte en avril dernier pour le faire bannir définitivement.
Des symboles toujours présents de l’Apartheid
La justice sud-africaine vient d’interdire ce mercredi 21 août de déployer en public ce drapeau, assimilé à une « incitation à la haine » à l’égard de la communauté noire. Le juge Phineas Mojapelo, de la Haute-Cour de Johannesburg, a qualifié de « raciste et discriminatoire » le fait d’arborer ce drapeau, tout en laissant ouverte la possibilité de le faire pour des motifs artistiques ou éducationnels. Ceux qui agitent ce drapeau en public « veulent rappeler aux Noirs l’oppression, l’humiliation, la déshumanisation dont ils se sont libérés et qu’ils ne veulent pas revivre », a expliqué le juge. « Ils veulent choquer, meurtrir et inciter à la haine contre les Noirs », a-t-il ajouté dans son arrêt, répondant à une requête de la Fondation Nelson Mandela, qui avait saisi la justice après une manifestation en octobre 2017 de fermiers blancs dénonçant le meurtre des leurs, au cours de laquelle le drapeau avait été arboré.
Inégalités et tensions raciales
Il avait été remplacé en 1994, date des premières élections nationales non raciales, par le drapeau dit arc-en-ciel imaginé par Frederick Brownell. À l’époque, l’homme décédé en mai dernier était à la tête du bureau chargé d’enregistrer les blasons, les drapeaux et les armoiries du pays. Il avait également participé à la création du drapeau de la Namibie. Pour concevoir ce nouveau drapeau, Frederick Brownell avait dû concilier beaucoup de symboles, notamment autour de l’idée de convergence et d’unification des différentes communautés du pays. Ainsi retrouve-t-on dans le fond le drapeau hollandais, rouge blanc bleu, en hommage aux Boers, les colons néerlandais. Un rouge savamment recherché puisqu’il s’agit du rouge dit « chilli », un mélange entre l’orange, couleur chère aux Afrikaners, et le rouge sang préféré par les Anglais. À cela s’ajoutent dans le triangle les couleurs choisies par Cyril Ramaphosa, pour l’ANC après consultation de Nelson Mandela. Le noir, pour représenter le peuple, le vert pour les terres fertiles, et l’or pour les richesses du sous-sol du pays. La couleur verte fait office de réunion entre les deux parties du drapeau, formant deux bras qui fusionnent pour n’en former qu’un. Son projet avait été retenu sur plus de 7 000 propositions et validé à l’époque au sein de l’ANC, par Cyril Ramaphosa, après consultation de Nelson Mandela. Un quart de siècle plus tard, les inégalités ont augmenté en Afrique du Sud, où les tensions raciales perdurent. Deux groupes de pression afrikaans, AfriForum et la Fédération pour les sociétés culturelles afrikaans, avaient fait valoir que l’interdiction du drapeau empiéterait sur la liberté d’expression.
Le Point