Le procureur de la République de Dakar ne nous avait pas habitués à ça : se gourrer dans la qualification des délits reprochés à Guy Marius Sagna et commettre une confusion terrible entre les articles 80 (atteinte à la sûreté de l’Etat) et 254 (offense au chef de l’Etat) du Code pénal. Une cacophonie peu honorable pour la Justice sénégalaise. Et qui pose un sérieux problème de crédibilité du parquet de Dakar.
L’activiste Guy Marius Sagna est poursuivi pour «diffusion de fausses nouvelles», un délit prévu et puni par l’article 255 du Code pénal, en rapport avec ses déclarations selon lesquelles la France préparait un attentat contre le Sénégal. Telle est la précision faite hier par le procureur de la République de Dakar, Serigne Bassirou Guèye, dans un premier communiqué publié à cet effet. Cette précision du patron du parquet de Dakar servait à prévenir la «propagation d’informations parcellaires ou inexactes», au sujet de l’arrestation de l’un des leaders de la plateforme Frapp/France Dégage. «De telles déclarations, au de-là de leur caractère faux et de la psychose qu’elles créent, peuvent avoir des conséquences graves sur la tranquillité et la sécurité des citoyens et des étrangers vivant au Sénégal», renseigne le document signé par le maître des poursuites. Mais quelques heures après que l’information a été reprisee en boucle dans les médias et sur les réseaux sociaux, revoilà le même procureur qui vient nous dire qu’il y a une erreur sur la première qualification. Et qu’à la place de la «diffusion de fausses nouvelles», c’est plutôt le délit de «fausse alerte au terrorisme» qui est retenu contre l’activiste membre de Frapp/France dégage.
En voilà une cacophonie qui n’honore absolument pas la Justice sénégalaise. Et qui, sans doute, remet en cause la crédibilité du parquet de Dakar. Sinon comment comprendre qu’une personnalité au sommet de la Justice sénégalaise comme le procureur de la République, de Dakar de surcroit où le volume du contentieux est plus important, puisse faire une sortie aussi truffée d’erreurs. Même les non juristes ont ri sous cape dès la publication du communiqué du parquet de Dakar. Sur les réseaux sociaux, le procureur est la risée des internautes. «Les professeurs en communication, quand il vous faudra montrer un exemple de communiqué inutile, en voilà un exemple : un communiqué qui dit ce qu’on savait déjà et qui ne dément rien», commente le journaliste-bloggeur Papa Ismaïla Dieng. «Non Monsieur le Procureur, revoyez votre communiqué. L’article 80 ne parle pas d’offense au chef de l’Etat. L’offense au chef de l’Etat est plutôt régie par la loi n° 77-87 du 10 août 1977 reprise par l’article 254 du Code pénal sénégalais. Cet article dispose que l’offense au président de la République commis par l’un des moyens de diffusion publique (la radiodiffusion, la télévision, le cinéma, la presse, l’affichage, l’exposition, la distribution d’écrits ou d’images de toutes natures, les discours, chants, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, et généralement tout procédé technique destiné à atteindre le public) est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement», rectifie le journaliste-chroniqueur judiciaire Daouda Mine.
Ces précisions du procureur dans les dossiers signalés font appel à quelques interrogations. D’abord, en ce qui concerne Guy Marius Sagna, il a été mis aux arrêts sur la base de propos ou écrits qu’on lui a amputés. Or, il s’avère que l’intéressé n’est ni le responsable moral de Frapp/France Dégage dont il est un membre simple, ni l’auteur des propos ou écrits incriminés. Il n’a pas non plus pris part à la fameuse conférence de presse où ces déclarations ont été tenues. Certains analystes de la chose judicaire se demandent comment peut-on lui imputer de telles charges dans ces circonstances ? S’agit-il d’une «volonté manifeste» du régime de réduire au silence un activiste qui dérange, comme le pensent beaucoup d’observateurs ? Seule l’autorité judiciaire peut y répondre.
Pape NDIAYE