Jusqu’ici chasse gardée des éleveurs, l’élevage de moutons de race est investi depuis quelques temps par des jeunes qui font des «opérations de Tabaski». De jeunes passionnés en milieu urbain qui réalisent de gros chiffres d’affaires à travers cette activité.
L’élevage n’est plus l’apanage des peuls. Cette ethnie réputée dans la pratique de cette activité se voit gravement disputer l’affaire. Surtout pour la grande période de traite qu’est la Tabaski, un moment fort où des centaines de milliers de moutons sont vendus au Sénégal. Elle vit une concurrence accrue de jeunes citadins. Ces derniers, qui y trouvent leur compte, justifient leurs investissements dans ce secteur par la passion, pour les uns et, pour le business, pour d’autres.
Seulement, ils différent par le choix des races à élever. Quand les éleveurs traditionnels optent pour les races ordinaires (Peul–peul et autres Toubaber), les jeunes jettent leur dévolu sur celles dites Ladoum, Azawatt, Baly–Baly, Tchadien, etc. C’est le cas de ce lutteur, Ndandy Fall, demeurant à Grand Yoff. En plein dans l’opération de Tabaski, il tient un espace de 20 mètres carrés sur les deux voies Liberté 6. «Je ne vends que des moutons de race. J’ai fait cinq ans dans ce secteur. A l’exception de la lutte, l’élevage des moutons de race est ma principale activité», confie-t-il.
Il a en face de lui plus d’une vingtaine de béliers. «C’est la passion qui nous retient dans cette activité. Mes moutons consomment trois repas par jour. Chaque bélier, à lui seul, me coûte 1 000 francs Cfa par jour», informe-t-il. Et les revenus modestes ne sont pas la bienvenue chez M. Fall. Même s’il estime que ses prix sont abordables. «Mes tarifs varient entre 200 et 800 mille franc Cfa. C’est raisonnable», dit–il.
A 50 mètres du Camp pénal Liberté 6 s’est installé Massaer Dieng avec son troupeau. Klaxons et vrombissements des véhicules tiennent l’ambiance sur ces deux voies, à 18 heures. Il a érigé, depuis 2009, cet espace pour y dérouler son «opération Tabaski». Ce demeurant de Grand Dakar est électricien dans une entreprise, mais s’est investi dans cette activité parallèle depuis bientôt un mois. Comme son collègue Ndandy Fall, Massaer gère un enclos de 46 béliers. «C’est une activité très difficile et compliquée. Celui qui n’a pas de la patience ne peut pas évoluer dans l’élevage des moutons de race. Elle génère de l’argent, mais il faut de la patience», explique-t-il. Ici, seuls les béliers Ladoum sont vendus à coup de millions, les autres races, toutes de qualité, sont échangées entre 200 et 400 mille franc Cfa. «Pour les deux semaines que j’ai passées ici, les moutons ont consommé 85 mille francs Cfa, sans compter le foin. Nous n’avons pas encore vu les clients. Ils viennent pour s’enquérir des prix sur le marché», laisse-t-il entendre.
Toujours sur les deux voies Liberté 6, plus précisément au rond-point, Pape Fall tient son enclos. Venu de Khar Yalla, ce dernier y est installé depuis 2 jours. Même s’il déclare que tous ses béliers ne sont pas sur place, une dizaine de moutons sont attachés sous une tente garnie de bâche. Il est maçon. Lui et l’élevage de moutons, c’est une histoire de longue date. «C’est un investissement. J’ai 15 ans d’expérience», dira-t-il. Pour lui, quiconque voudrait se lancer dans ce business doit avoir une assise financière. A l’en croire, à Dakar, le prix d’un sac de foin varie entre 5 000 et 6 000 francs Cfa, celui du sac d’aliments de bétail entre 12 et 15 mille francs. «J’ai des Azawatts, des Ladoums, des Toubabers, etc. Mes prix varient entre 175 et 400 mille francs cfa. Je suis le chef de cet espace. Je vends aussi pour des voisins qui n’ont pas de temps», informe-t-il.
En face des locaux du groupe de presse Walfadjiri, juste à côté de Routier, Moussa Lèye vend des moutons de race : pur-sang et métissée. «Je ne vends pas les moutons de races ordinaires. Je suis sur ce lieu depuis le 21 juillet. J’ai une expérience de 15 ans dans cette activité. Je l’ai démarrée à l’âge de 14 ans. J’étais encore élève. Je fais les opérations de Tabaski, les baptêmes, les évènements religieux», explique-t-il. À la différence des autres, Moussa détient un carnet d’adresses riche. Il ne vend qu’aux hommes d’affaires et hautes personnalités. Au-delà de la fête de Tabaski, il est sollicité pour d’autres événements tels que les baptêmes, mariages et autres cérémonies. C’est pourquoi, il fait de son possible pour racheter d’autres béliers, au lendemain de la fête de la Tabaski. «J’ai mon carnet d’adresses. Je ne vends qu’à des personnalités. C’est très difficile. La ration est très chère. Chaque lendemain de Tabaski, j’achète plus de 20 moutons. A moins de 3 mois de la fête, je peux me retrouver avec 60 moutons et plus que j’ai achetés en cours d’année. J’ai un gamin que j’ai recruté pour l’entretien des moutons et de l’enclos», informe-t-il. Avant d’ajouter : «Pour le bon déroulement de mon opération, je fais appel à mes amis, cousins, neveux, frères, en échange de quelque chose. J’ai actuellement 65 moutons à vendre. Leur prix varie entre 250 000 et 800 mille ».
Au marché Grand Yoff, Arona Sanoko tient son magasin de vente d’aliments de bétail. Devant la porte d’entrée de son établissement, son téléphone scotché sur l’oreille droite, il négocie, à distance, le prix d’un de ses béliers qu’il a confiés à ses camarades, à Yoff. Il est éleveur et se retrouve bien dans ce secteur. «J’ai confié mes béliers à un camarade installé à Yoff. Je n’ai pas assez de temps. C’est un business qui me permet d’épargner l’argent que j’ai gagné dans mon magasin», confie-t-il. Même s’il ne gagne pas beaucoup dans ce secteur, l’essentiel pour lui, c’est de recouvrir son investissement. «Nous sommes un groupe constitué de jeunes businessmen. Ils descendent tôt et moi, non plus. Je suis obligé de passer pour leur rendre visite chaque jour. C’est la règle. Je leur ai donné 5 000 francs pour ma contribution à la location de l’espace et 5 000 autres pour la ration des moutons. Après la vente, je leur offre une somme à ma guise. La consommation journalière par mouton peut dépasser 1 000 francs Cfa», explique-t-il. Avant d’ajouter : «L’essentiel pour moi, c’est de récupérer l’argent que j’ai investi. Les prix d’achat de mes béliers varient entre 130 et 170 mille. Et je compte les revendre entre 300 et 800 mille. J’ai des ladoums, des métisses, des toubabers, des tchadiens pur-sang et des tchadiens–Azawatt», laisse–t–il entendre.
Salif KA