Devenues aphones, depuis l’avènement de la seconde alternance, en 2012, Penda Mbow et compagnie ont choisi de noyer leur combat contre l’injustice et pour la démocratie…dans le Macky. Leur remplacement sur le terrain de la contestation se fera cinq ans plus tard. Et c’est Ndèye Fatou Ndiaye Blondin qui tente, un tant soit peu, d’incarner cette voie féminine dans les rues. Portrait.
«Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire». Cette assertion d’Albert Einstein résume le sens et la portée de l’engagement de Ndèye Fatou Ndiaye surnommée Ndèye Fatou Diop Blondin. Chez elle, l’activisme a commencé dès l’adolescence même si elle n’a jamais côtoyé un parti politique. «J’ai toujours été dans les rangs des grévistes au Lycée Blaise Diagne. Sous le magistère d’Abdou Diouf, j’avais participé aux manifestations contre la modification des articles 34 et 35 de la Constitution», confie-t-elle. Née d’un couple constitué d’un commis de l’Etat et d’une femme au foyer, elle s’intéresse tôt à la vie active, mais trouve sur son chemin un handicap : les études. Taille moyenne, sourire olympien, teint clair, «Ndeuffeu» comme aiment l’appeler certains, a fait ses premières humanités à Sicap Darabis, un quartier de Dakar. A l’âge de 7 ans, elle fréquente l’école élémentaire de Diamaguène, dans la banlieue de la capitale. Son cycle secondaire, elle l’effectue au Lycée Blaise Diagne, avant de toquer aux portes de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, après un baccalauréat scientifique. Elle y resta pendant quatre années sanctionnées par un diplôme en génie électrique qu’elle a obtenu à Ecole supérieure polytechnique de Dakar (Esp, ex-Ensup). L’année académique suivante, elle s’envole pour la France. C’est pour passer un diplôme d’ingéniorat, dans le même domaine. On est dans les années 1980. «Elle a toujours été une révoltée. Cela, depuis le bas âge. Elle s’indignait contre certains faits tels que l’injustice, l’inégalité, etc.», témoigne Papa Gana Ndiaye, son frère ainé.
Ndèye Fatou ne se laisse pas marcher sur les pieds. La discrétion, la nonchalance et le charisme définissent son caractère. Sa fermeté, selon certains témoins, elle l’a héritée de sa maman. Elle demeure imperturbable et intransigeante, même vis-à-vis de ses frères. «C’est très difficile de la dissuader quand elle décide. Elle sait défendre ses idées et ses principes sans heurter personne», résume Papa Gana Ndiaye.
Adhésion à Aar Li Nu Bokk
Membre de Aar Li Nu Book, une plateforme de défense des intérêts des citoyens, née au lendemain de l’avènement de l’affaire Aliou Sall-Petro-Tim, cette ingénieure en génie électrique reconvertie, plus tard, en ingénieure des télécommunications, attire l’attention sur elle. Femme pleine d’idées et engagée, selon Cheikh Tidiane Dièye, Coordonnateur national de Aar li nu bokk, leur collaboration date de 2015, au lendemain de sa participation à une émission d’une radio de la place. A cette époque, Dr Cheikh Tidiane Diéye était invité sous la bannière de «Sénégal bi niou beeg», un regroupement de jeunes cadres activistes. A la fin de l’émission, informe-t-il, il reçoit, quelques jours après, un appel du journaliste demandant l’autorisation de passer son numéro à un inconnu qui a suivi l’émission avec intérêt. «C’était Ndèye Fatou Diop Blondin. Elle m’a fait savoir qu’elle cherchait depuis son retour au Sénégal un espace adéquat, libre d’expression, de construction d’idées pour apporter une contribution à la réflexion sur le changement du pays», narre-t-il. Actuellement, soutient-il, elle occupe une place de choix dans cette organisation. De par ses idées et convictions, elle a fini par convaincre tout le monde. Au fil du temps, elle devient une figure féminine incontournable dans les rencontres et manifestations d’activistes et des associations de la société civile. D’où la pertinence d’être coptée dans l’équipe de coordination nationale de Aar li nu bokk. Elle occupe le poste de vice-coordonnateur national. Lors du rassemblement de la plateforme, au rond-point de la Rts, elle a été la seule femme au présidium.
Ndèye Fatou ne fait pas que contester. Elle s’intéresse aussi à la préservation de l’environnement, d’un cadre de vie propice. Dans les activités environnementales, elle occupe toujours le devant de la scène.
Cependant, nul n’étant parfait, Ndèye Fatou ne fait pas l’unanimité. Pour certains, son engagement frise la témérité. «Elle veut tout de suite aller en découdre. Parfois, elle se permet de proposer qu’on interrompe une réunion pour descendre sur le terrain. Elle veut que les choses aillent très vite», confie Cheikh Tidiane Dièye.
Une vie professionnelle qui a débuté à l’étranger
Après ses études, Ndèye Fatou Ndiaye n’est pas immédiatement rentrée au bercail. Il lui a fallu quelques années en Europe pour visiter certains pays dans le cadre de ses activités professionnelles. Elle a débuté sa carrière d’ingénieure dans la recherche et le développement de réseaux et services de télécommunication, dans le privé. Après cette expérience, elle rejoint France Télécom. « J’ai travaillé dans certains pays africains comme consultante pour des opérateurs de téléphonie. Cela a démarré avec le développement de l’internet. Ces pays n’avaient pas assez de disponibilité de réseaux pour le grand public. Donc j’ai travaillé pour des opérateurs mais aussi pour de petites sociétés, des start-ups pour développer des services internet», raconte-t-elle.
D’après une source proche de sa famille, en plus d’être une femme de valeur, Ndèye Fatou fait vibrer en elle une fibre sociale très appréciée de ses proches. D’abord, la manière avec laquelle elle a vécu de manière stoïque l’accident de son mari et les efforts qu’elle investit dans l’éducation de ses enfants.
Ephémère ministre
C’est une casquette méconnue du grand public : Ndèye Fatou Diop a été ministre sous le magistère de Me Abdoulaye Wade. Son passage à la tête du Département des Technologies de l’information et de la communication (Tic) fera long feu. Ce, pour plusieurs raisons, selon des témoignages. En tout et pour tout, elle n’est restée que cinq mois à ce poste avant d’être «virée» à l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp). Cette nomination comme ministre est le fruit de sa rencontre, en 2010, avec Me Wade, alors en visite officielle au Tchad où son mari était en expatriation. «Elle ne pouvait pas s’entendre avec eux, vu son caractère», justifie un proche de Fatou Ndiaye Blondin. Pourtant, son vœu le plus ardent était de changer les choses de l’intérieur. Après ce bref passage, elle a atterri à l’Artp qu’elle quittera après la chute de Wade en 2012.
Ingénieure en télécoms, un destin
Elle a embrassé le métier d’ingénieure télécoms par accident. Ndèye Fatou Ndiaye était partie en France pour un diplôme d’ingénieur en architecture. Le destin en a décidé autrement, la détournant de son ambition de départ, nourrie dès l’enfance. «Au départ, je voudrais devenir architecte même quand je suis partie en France», confie-t-elle. La réalité était autre, en France, dans les années 1980. Cette période coïncide avec l’avènement des réseaux. «J’ai fait mon Dut en génie électrique que j’ai, par la suite, complété par une formation d’ingénieur. Mon intégration dans un centre de recherche m’a aidée à me familiariser avec une discipline qui fera son apogée 4 à 5 ans plus tard. J’ai même participé à la rédaction des protocoles pour les réseaux mobiles et tous les services vocaux», explique-t-elle. «Quand on travaille dans ces secteurs, on se retrouve dans des zones bunkérisées en raison de la sauvegarde de l’intelligence économique. C’était une façon de bloquer les hackers. On passait des heures dans les sous-sols. On ne voyait pas le soleil», laisse-t-elle entendre.
Lutte contre l’injustice, pour la démocratie, …
Le sens de son engagement patriotique est, pour elle, un moyen de «rembourser» sa «dette» à l’Etat du Sénégal qui a beaucoup investi sur elle. Bien épanouie dans son métier, Ndèye Fatou choisit de ne pas se satisfaire de ce confort personnel. «Après mon passage au gouvernement, je me suis dit qu’il y a beaucoup de choses dans lesquelles je peux m’engager, à côté de ma vie professionnelle et personnelle. J’aurais pu rester chez moi, gérer mon ménage car je gagne bien ma vie grâce à mon métier», raconte-elle. A l’en croire, son premier combat a été de soutenir les femmes qui sont dans les marchés, à travers la mise en place de tontines, à Mbour. Une façon de les autonomiser. Une activité presque liée à la politique. Pour elle, les 1000 ou 50 000 francs Cfa qu’on offre à ces populations ne représentent rien pour régler leurs souffrances.
Salif KA