C’est dans une ambiance électrique que les anciens collaborateurs d’Oxfam et Elimane Haby Kane se sont quittés le vendre 28 juin. ‘’EnQuête’’ vous plonge dans cette atmosphère lourde sur fond d’échanges épistolaires.
‘’À vous, magnifiques personnes de notre monde d’Oxfam, nous souhaitons vous envoyer cette lettre d’amour, pour vous parler d’un meeting que nous avons eu, et vous faire part de certaines choses qui nous empêchent de dormir la nuit et d’autres qui nous procurent une joie incroyable… Cette lettre se veut une explication sur la façon dont nous traitons la sexualité humaine, les désirs, les identités et les expressions de genre ici, chez nous à Oxfam’’.
C’est en ces termes somme toute assez romantiques que commence la fameuse lettre d’amour qui secoue l’Ong britannique et le Sénégal depuis le 28 juin dernier. ‘’Cette lettre ne parlera pas de plan d’action, ni des étapes opérationnelles dont nous savons que nous avons besoin pour concrétiser nos rêves. Nous avons créé et continuerons de créer de nombreux documents et espaces à cette fin. C’est une communication de cœur à cœur, écrite par des militant-e-s avec d’autres militant-e-s, de collègue à collègue. Cette lettre s’inscrit dans une quête pour approfondir nos conceptions de ce à quoi ressemble la justice et imaginer un monde sans pauvreté’’, rapporte notre interlocuteur.
Tout est parti de janvier. Un groupe de personnes qualifiées de ‘’diverses, intrépides et amusantes’’ s’est réuni à Johannesburg, en Afrique du Sud, ‘’pour examiner ce que signifie être queer, gay, lesbienne et trans au sein de la confédération Oxfam’’. Ils se sont réunis, souligne-t-on, en tant que personnes ayant vécu des vies de luttes, de douleurs, de confusion et d’exclusion. ‘’Nous nous sommes rencontré-e-s en tant que membres et allié-e-s des communautés Lgbtiaq+, en tant que personnes s’identifiant queer et trans, en tant que personnes noires, en tant que ‘Womxn’, en tant que personnes non conformes au genre et à divers autres groupes racialisé-e-s et genré-e-s’’, poursuit notre source, citant la lettre.
A cette occasion, ils ont exploré, selon lui, ce que cela signifie et ce qu’ils ressentent d’appartenir à des communautés, à de mouvements, à des collectifs et à des organisations queer et trans dans divers contextes qui interagissent avec Oxfam ou dans lesquels Oxfam existe, mais sans véritable interaction. ‘’Nous nous sommes rencontré-e-s pour discuter de ce à quoi ressemble la vie des personnes qui ne correspondent pas aux normes strictes en matière de sexualité et de genre que la société nous impose’’.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le visage reflété par dans le miroir n’a pas du tout plu à l’Ong. Qui se peint elle-même comme une organisation ‘’qui n’est pas sécuritaire pour les personnes, les collectifs et les communautés de personnes Lgbtiaq+, comme ‘’un Oxfam et d’Oxfamien-ne-s qui ne sont pas assez solidaires des personnes Lgbtiaq+ et favorisent plutôt la discrimination de manière ouverte et déguisée’’.
Peinée par une telle image, l’Ong britannique s’en prend à certains bureaux-pays et affiliés qui, pense-t-elle, n’en font pas autant pour ces communautés. ‘’Ce maillon faible, dit Oxfam, est celui des bureaux qui ne reconnaissent pas toujours que nous sommes tous liés par une politique qui nous oblige à reconnaître et à respecter les diversités sexuelles et les identités de genre. Nos maillons les plus faibles se trouvent dans des pays où nous ne sommes pas aux côtés des communautés Lgbtiaq+ qui ont besoin de solidarité et de soutien’’.
A ceux qui lui opposent l’argument des législations de leurs pays d’accueil comme le Sénégal, Oxfam rétorque : ‘’Nous devrons peut-être nous demander si la légalité a préséance sur la justice en respectant des lois qui criminalisent diverses orientations sexuelles et identités de genre. Notre position actuelle se situe là où notre crise actuelle de sauvegarde nous oblige à être. C’est aussi le même endroit où nous place l’injustice raciale.’’
A ces agents, Oxfam explique ceci : ‘’La sexualité humaine, le désir et l’expression font partie intégrante de la condition humaine. Il est artificiel de séparer nos besoins de libertés civiles et de justice économique de nos besoins de réalisation personnelle en tant que personnes. Nous ne pouvons plus dire – c’est un problème que nous ne pouvons pas traiter, car nous sommes occupé-e-s. Sur toutes les problématiques sur lesquelles nous travaillons, nous devons comprendre comment le pouvoir agit vis-à-vis des différentes classes de personnes. Dans cet effort de compréhension, l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont essentielles…’’Selon l’organisation, il s’agit de construire avec eux un Oxfam où les droits à l’orientation sexuelle et aux identités et expressions de genre sont non négociables. ‘’Nous voulons un Oxfam doté d’une stratégie délibérée pour recruter les membres des communautés Lgbtiaq+, pour les conserver et pour qu’elles-ils occupent des postes de direction clés, et qui renforce le leadership des pays du Sud. Nous voulons un Oxfam qui collabore activement avec des organisations et des mouvements soucieux des droits et de la liberté des personnes Lgbtiaq+ et qui utilise une perspective féministe et inter-sectionnelle dans tout le travail de l’organisation’’.
L’organisation ne s’en limite pas. Pour elle, le monde qu’ils envisagent devient illégitime et affaibli lorsque ses représentants ne défendent pas ‘’TOUS’’ les droits. ‘’Cette problématique n’en est pas une où l’on peut choisir de rester neutre. C’est une question pour laquelle nous devons choisir entre choix, diversité, respect et amour. C’est une problématique pour laquelle nous devons choisir la justice ou sinon ne plus être les bienvenu-e-s dans la confédération’’, déclare l’Ong.
Qui distille enfin ses notes d’encouragements : ‘Nous vous encourageons toutes et tous à vous approprier et à faire vivre notre politique Oxfam sur la diversité sexuelle et les identités de genre.’’
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…La réplique salée de Elimane Haby Kane
Pour ne point faire partie de la catégorie des gens qui ne disent mot et qui donc sont considérés comme consentants, l’ancien responsable du programme Bonne gouvernance, Elimane Haby Kane, n’a pas mis du temps pour réagir. Il a simplement déchiré la lettre d’amour, en éconduisant homosexuels, gays et consorts.
‘’Bonjour à toute la communauté, particulièrement à la partie initiatrice de cette lettre. Je reçois ce message assez spécial en ce jour saint pour moi, vendredi.
Je me suis demandé pourquoi les initiateurs ont jugé nécessaire de nous envoyer ce message qui aurait pu être une affaire personnelle, à traiter en privé’’.C’est par ces termes hostiles que démarre la réplique d’Elimane Haby Kane à la lettre d’amour de son employeur. Il ajoute : ‘’Nous sommes dans une organisation internationale marquée par son caractère transculturel et unipersonnel. Une organisation qui doit se préoccuper de tous ses acteurs internes et partenaires externes, dans le respect de l’espace privé et des croyances de chacun. Nous devons donc traiter des questions qui nous interpellent tous selon nos objectifs de changement et taire nos considérations d’ordre privé dont l’orientation sexuelle qui est un sujet fondamentalement personnel.’’ Selon lui, vouloir en faire une affaire collective, c’est manquer de respect à tous ceux qui peuvent être gênés par cette ‘’expression offensante’’ des valeurs diverses, mais importantes pour l’intégrité de chacun d’entre eux. ‘’En plus, peste-t-il, Oxfam n’est pas une maison rose où l’on s’envoie des lettres d’amour ! Je n’ai personnellement aucun problème avec les choix personnels des uns et des autres. Je respecte l’identité de chacun dans cette confédération. Je voudrais donc exiger que la mienne soit respectée, car je ne souhaiterais pas qu’Oxfam qui se veut un lieu où il fait bon de travailler devienne un lieu où on fait la promotion de choix personnels liés à la vie privée des gens au point de rendre l’espace incommodant pour d’autres’’.
En fait, souligne Elimane, il incombe à chacun de respecter les limites de l’espace collectif et de se garder de les pousser pour promouvoir un style de vie qui n’est pas partagé par tous ! Par ailleurs, fait-il remarquer, ce message contient des amalgames inacceptables au point d’associer à la même enseigne l’orientation sexuelle et l’identité raciale. ‘’C’est vraiment aller trop fort dans les limites même de la manipulation des ressentis des uns et des autres pour une cause qui n’est pas partagée par tous. Je reste militant de la justice et de toutes les libertés individuelles et collectives. Mais dans le discernement entre le domaine public et le domaine privé’’.
Pour Elimane Kane, Oxfam ferait mieux de se conformer aux lois qui régissent les sociétés dans lesquelles elle s’établit, plutôt que d’essayer de les faire enfreindre. Pour le cas du Sénégal, rappelle-t-il, les actes contre-nature sont punis par la loi. ‘’En demandant à notre bureau de soutenir des personnes en risque de tomber sous le coup de la loi, vous êtes en train de mettre en danger tous les employés d’Oxfam exerçant dans ce pays. Ce qui revient à une responsabilité grave et dangereuse de l’organisation aussi bien sur sa présence dans le pays que sur la sécurité de ses employés’’, a-t-il martelé.
L’ancien chargé du programme Bonne gouvernance de revenir sur les actes louables de son ex-employeur au profit des populations. Il s’interroge : ‘’Est-ce que vous recommandez de mettre tout ce travail en péril, en essayant de braver les lois et réalités socioculturelles qui font l’harmonie de ce pays si ouvert et accueillant, au point d’être appelé ‘pays de la Teranga’ ? Nous vous demandons donc de bien vouloir retirer votre lettre d’amour que je ne pourrai accepter, car je conçois l’amour dans la congruence avec mes valeurs et principes qui défissent mon cadre de l’acceptation.’’
Pour terminer, M. Kane affirme : ‘’Je reste constant dans l’humanisme de mon choix qui m’autorise à garder mes valeurs et à respecter les valeurs des autres. A chacun ses croyances. Mais je n’accepterai pas non plus que les autres m’imposent leurs propres croyances dans un espace qui est commun ! Je ne peux donc être solidaire au point de compromettre mes propres valeurs à ce que je ne peux assumer à la place des autres. Oxfam se sentirait beaucoup mieux, si chacun préserve son espace, sans vouloir attenter à l’espace des autres. Comme l’a si bien dit l’autre dans un siècle de cruauté pourtant appelé siècle des lumières : ‘’Ma liberté commence là où s’arrête celle des autres.’’
EnQuête