Il a fallu à peine quelques minutes. À peine l’annonce de la mort de Mohamed Morsi a-t-elle fait le tour du monde que Recep Tayyip Erdoğan, entouré d’une nuée de caméras, a rendu un hommage appuyé à l’ancien président égyptien.
« Que Dieu accorde à notre martyr, notre frère Morsi, sa miséricorde », a déclaré le président turc, dénonçant l’attitude « hypocrite » de l’Occident. « Les pays occidentaux restent silencieux face aux exécutions de Sissi. Les États de l’Union européenne interdisent la peine de mort, mais acceptent de rencontrer un meurtrier en Égypte. »
Le soir même, à 23 heures, un court rassemblement a été organisé devant le consulat égyptien et, aujourd’hui, de nombreuses mosquées à travers la Turquie vont organiser une prière en hommage à Mohamed Morsi, président issu des Frères musulmans qui fut élu à la tête du pays entre 2012 et 2013. Ali Erbas, le président de la Direction des affaires religieuses (Diyanet), mènera lui-même une cérémonie à Ankara.
La Turquie, refuge pour les Frères musulmans
Un tel empressement n’est pas surprenant : les deux hommes étaient très liés. Tous deux chantres de l’islam politique, c’est naturellement vers la Turquie que de nombreux Frères musulmans ont trouvé refuge après la chute de Mohamed Morsi, renversé par l’armée en 2013. Les Frères musulmans avaient d’ailleurs tenu leur gala pour célébrer leurs « 90 ans » à Istanbul, en 2018. En signe de solidarité face à un coup d’État militaire qu’ils n’ont jamais considéré comme légitime, les dirigeants turcs ont souvent été photographiés faisant le signe rabia – quatre doigts de la main écartés en solidarité avec le massacre du square Rabia al-Adawiyya, en 2013, où les forces de l’ordre ont dispersé un sit-in dans la violence, faisant un millier de morts, selon Amnesty.
Et Erdogan n’a rien fait pour apaiser la crise diplomatique, ne manquant pas une occasion de rappeler que la détention de Mohamed Morsi, dont un rapport avait également dénoncé ses conditions « inhumaines » de détention, équivalait à une condamnation à mort. À la télévision, il a également juré qu’il ne se rendrait pas en Égypte tant que Sissi restera à sa tête. « Je ne m’entretiendrai pas avec quelqu’un comme lui », a-t-il affirmé alors que la justice égyptienne venait de faire exécuter neuf hommes.
Relations économiques intenses
Mais, si Erdogan ne s’est plus rendu en Égypte depuis la chute de Morsi, les deux pays ont cependant continué à commercer. Selon le site d’information Al-Monitor, ils sont notamment liés par un accord commercial, le free-trade agreement (traité de libre-échange, FTA), qui court jusqu’en 2020. Les deux pays auraient même connu cette année un niveau d’échanges record, les exportations turques à destination de l’Égypte totalisant 3,05 milliards de dollars (soit une augmentation de 29,4 % par rapport à 2017). Alors que les deux pays sont frappés par une très dure crise économique, de nombreux hommes d’affaires poussent au renouvellement du traité.
Autre signe qui inquiète certains Frères musulmans : l’extradition, en février dernier, de Mohamed Abdelhafiz Ahmed Hussein, condamné à mort en Égypte pour l’assassinat du procureur général égyptien. Si l’État turc a indiqué avoir lancé une enquête sur l’événement, pas sûr que cela suffise à rassurer la confrérie.
LePoint