Après avoir mené sa propre enquête, le Forum social sénégalais a tenu, hier, une conférence de presse pour dénoncer le comportement et les habitudes du marchand française de l’eau, Suez, dans le monde, particulièrement au Sénégal. Pour Mignane Diouf, président de ladite organisation, il y a un fort soupçon de corruption dans le marché qu’il avait remporté au Sénégal et qui a finalement été cassé par le gendarme des marchés publics, l’Armp.
Un coup de flotte. C’est ce que flaire le Forum social sénégalais dans l’appel d’offres international pour la gestion de l’hydraulique urbaine au Sénégal. Ce, dans le cadre d’un contrat d’affermage. Ainsi, l’affaire est loin de connaître son épilogue, deux ans après les résultats provisoires de cet appel. Et, c’est le Forum social sénégalais qui est monté au créneau pour dévoiler les résultats de ses investigations.
Face à la presse, Mignane Diouf, président dudit Forum a étalé les éléments de soupçons et le fondement de leur démarche. «Lors de notre conférence du 23 octobre 2018, nous avions émis des doutes sur la transparence du processus, et nous avions soupçonné Suez de corruption pour avoir le contrat. Nous avions annoncé que nous allions mener des investigations sur ces soupçons et engager une campagne internationale de dénonciation. Mais, entre-temps, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp), au nom de la transparence, a suspendu la décision provisoire et renvoyer le dossier au ministre de tutelle», a rappelé M. Diouf. Qui souligne qu’en dehors de la longueur du processus et de la durée du dépouillement mais aussi de la connaissance que l’organisation a des comportements et habitudes de cette entreprise française, il y a d’autres éléments qui justifient des soupçons pour toute personne soucieuse des intérêts de son pays. Mais également, ajoute-t-il, de l’importance de l’eau qu’il considère comme un bien commun qui fait et défait la vie.
«Parmi ces éléments, nous pouvons évoquer pour mémoire que le 10 juin 2018, dans une émission bien suivie, et où il était l’invité dans une radio de la place, le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement d’alors, a rendu public les tarifs qui étaient proposés par les soumissionnaires et a affirmé que la Sde a proposé le prix exploitant le plus bas, 284,9 francs Cfa le mètre cube, suivi de Suez qui a proposé 298,5 francs Cfa le mètre cube et Veolia qui a proposé 366,3 francs Cfa le mètre cube», a-t-il expliqué. Non sans signaler que cette différence de prix entre Suez et la Sde représente un manque à gagner pour le Sénégal d’au moins 50 milliards de francs Cfa sur la période du contrat d’affermage de 15 ans, si toutefois, c’est à Suez qu’on offre le marché dans un faisceau de soupçons de corruption. «L’adjudication provisoire accordée à Suez le 22 octobre 2018 par le ministre est donc contraire au cahier des charges de l’appel d’offres et pénalise les intérêts du Sénégal. Et pourrait aussi poser la question de la pertinence de la poursuite des financements des bailleurs de fonds sur les infrastructures liées à l’eau. C’est sans doute là, une des raisons qui ont amené l’Autorité de régulation à suspendre la décision et à retourner le dossier», a soulevé Mignane Diouf.
Flagrant conflit d’intérêts
Ne s’en arrêtant pas là, Mignane Diouf révèle que leurs investigations ont permis à l’organisation de savoir qu’en 2016, lorsque le gouvernement lançait l’appel d’offres, Suez a remis en mars 2016, plusieurs véhicules à la ville de Saint- Louis dont deux bennes tasseuses qui ont été officiellement réceptionnées devant la presse nationale par le maire de la ville qui se trouvait être le ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement. Pourtant, poursuit-il, jusqu’à cette date de l’appel, Suez n’a aucune activité liée à l’environnement au Sénégal pouvant expliquer et justifier une donation de cette nature. «Le doute est là, et nous suspectons un amadouement, une corruption, au vu de l’insistance et de l’acharnement par lesquels des personnes veulent vaille que vaille, orbi et urbi, attribuer ce marché à Suez. Toujours, sur les éléments de suspicion, nous avons noté la déclaration du directeur général de Suez, Bertrand Camus, qui a dit dans un journal (Jeune Afrique) avoir déjà mis beaucoup de millions d’euros dans ce dossier d’appel d’offres. Comment des millions d’euros peuvent-ils être mis dans un simple appel d’offres ? A qui ces millions d’euros ont été remis ? Et pour quelle raison ? Et nous avons trouvé que parmi les intermédiaires de ce Directeur, il y a des noms qui apparaissent et reviennent dans ce dossier. Il s’agit de Mme Diane Binder, membre du conseil présidentiel pour l’Afrique et de Monsieur Eric Ghabali», a confié Mignane Diouf. Par ailleurs, le président du Forum social sénégalais, indique que le marchand de flotte choisi provisoirement et suspendu par la suite, et son partenaire ont déjà obtenu le marché de construction du site de Keur Momar Sarr 3. Lequel est censé, selon lui, renforcer les adductions d’eau vers Dakar depuis le Lac de Guiers.
Dans ce cadre, note-t-il, Suez devrait être celui qui construit les infrastructures et qui exploite en même temps le réseau de production et de distribution d’eau dans le cadre du contrat d’affermage. «C’est là un flagrant conflit d’intérêts qui n’est pas acceptable. Au demeurant, soupçons de corruption et conflit d’intérêts, rien que ces deux éléments devraient amener le Sénégal à chercher à comprendre ce qui s’est réellement passé dans le processus d’appel d’offres de ce dossier de l’eau», a incité M. Diouf. Face à ces nombreux manquements jugés grave par cette organisation de la société civile, une plainte sera déposée contre Suez au Tribunal de première instance de Paris, chargé des questions économiques, en plus d’une saisine de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) au Sénégal.
En outre, le Forum social sénégalais réclame une suspension de la procédure, la mise en place d’une commission d’enquête autonome et citoyenne pour élucider les rumeurs et suspicions qui alimentent le débat.
Adama COULIBALY