Le constat est grave : 3 225 dossiers en souffrance, pour seulement dix juges d’instruction, au 1er trimestre 2019. Voilà qui explique, selon le magistrat Cheikh Bâ, la lenteur dans le traitement des affaires criminelles et correctionnelles, synonyme des longues détentions.Les juges de Dakar sont submergés par le travail. Dans la capitale, le volume du contentieux est plus élevé que nul par ailleurs dans le pays. Au premier trimestre 2019, 3 225 dossiers impliquant plus de 914 détenus sont en souffrance, au Tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar. Il s’agit d’affaires pendantes devant les dix cabinets d’instruction où sont traitées les affaires criminelles (meurtre, trafic de drogue, infanticide, vols aggravés, etc.) et correctionnelles (foncier, escroquerie, abus de confiance…). C’est ce qu’a révélé le magistrat Cheikh Bâ, hier à Dakar, dans le cadre de la journée de réflexion de l’Union des magistrats sénégalais (Ums) sur le thème : «Détentions provisoires et peines alternatives à l’incarcération ».
Le doyen des juges remporte la palme. Il traite le plus grand nombre d’affaires, avec 414 dossiers en cours de traitement, lesquels impliquent 91 prisonniers dont le vieux détenu provisoire boucle 8 années derrière les barreaux. Le troisième cabinet d’instruction vient après, avec 394 dossiers en examen, pour 107 détenus placés sous mandat de dépôt depuis 2016, pour la plupart. La troisième marche du podium est occupée par le 6e cabinet dont le juge est submergé par 375 affaires datant de 2013 et mettant en cause 111 détenus. Les autres cabinets se partagent le reste des affaires. Le juge d’instruction du 4e cabinet gère les dossiers mettant sur la sellette des mineurs. C’est ainsi que 18 mineurs sont inculpés pour diverses infractions liées au vol, à la drogue, aux coups et blessures volontaires, entre autres.
Mille détenus victimes de longues détentions
Dans son exposé sur la «Problématique des longues détentions au Sénégal», le juge Bâ n’a pas manqué de relever les difficultés pratiques qui assaillent ses collègues, dans l’exercice quotidien de leur métier. Pour lui, la lenteur dans le traitement de certains dossiers est liée au blocage dans certaines enquêtes. Dans le décompte, il ressort que 40 mandats d’arrêt et une demande d’extradition ne sont toujours pas exécutés. «La France a coopéré mais le Sénégal refuse de supporter les charges», constate amer le magistrat Cheikh Bâ, juge d’instruction au Tgi de Dakar. Autre facteur qui bloque les enquêtes, entretient la lenteur et justifie les longues détentions, les experts qui ne sont pas payés par l’Etat. «Le cumul de la dette est si important que ces derniers n’assistent plus les juges dans leur travail. Pour le cas de certains interprètes, certains avocats et juges sont obligés de se cotiser pour payer. Un sourd muet est resté en prison un an sans être entendu, faute d’interprète», dira-t-il.
Et pour boucler la boucle, le ministère de la Justice a récemment fermé deux cabinets d’instruction sans intérim, avant que la réouverture n’ait été faite tardivement après que les dégâts ont été constatés de part et d’autre.
Pape NDIAYE