CONTRIBUTION
Excellence, le mardi 05 février dans votre mythique de Versailles, vous avez fait une déclaration dans laquelle, après avoir fustigé le comportement déshonorant et machiavélique du candidat Macky Sall, vous avez appelé les Sénégalais à ne pas voter le 24 février 2019. Ce qu’il faut surtout retenir, c’est votre neutralité dans le soutien aux différents candidats et surtout votre refus de donner une consigne de vote contre le candidat sortant.
Excellence, il n’y a pas de comparaison possible entre les quatre candidats de l’opposition et Macky Sall considéré comme votre ennemi juré ; celui qui a trainé et voué aux gémonies votre fils Karim Wade qui a eu le seul tort d’avoir fait montre d’ingéniosité pour s’enrichir en profitant bien évidemment de ses stations ministérielles et sa position familiale, ce qui, il le faut reconnaitre, est aux antipodes de l’éthique républicaine. Macky a fait endurer à votre fils les traitements les plus dégradants, il ne s’est point embarrassé de scrupules pour fouler au pied les droits les plus élémentaires de Karim. Il avait deux objectifs majeurs : l’écarter de la présidentielle et vous faire mal en tant que père. Et pourtant, vous lui avez tout donné, même le fauteuil présidentiel sur lequel il trône.
Pour vous humilier davantage, vous faire mal dans votre chair et vous perturber dans votre esprit, il s’emploie à accorder ostensiblement à votre adversaire de toujours, en l’occurrence le président Abdou Diouf, toutes les faveurs et tous les honneurs qui, normalement et légitimement, devraient vous revenir. Pire, il s’évertue à vouloir effacer votre magistère des annales de notre histoire politique qui, quoique l’on puisse dire, ne peut s’écrire sans citer le plus grand artisan de la démocratie sénégalaise, Me Abdoulaye Wade. Macky Sall n’a de cesse d’insulter la mémoire et l’intelligence des Sénégalais en cherchant à tout prix à leur faire croire qu’aucune réalisation ne saurait vous être attribuée ; votre passage à la tête de ce pays serait un insignifiant et banal accident de l’histoire qui ne mérite guère d’être évoqué. Aussi êtes-vous ignoré dans toutes les cérémonies et inaugurations de beaucoup de réalisations dont vous avez été l’initiateur. Quelle ingratitude !
Excellence, aujourd’hui les Sénégalais qui vous ont toujours manifesté leur admiration et qui, aux prix de vies humaines sacrifiées, vous ont toujours soutenu pendant les durs moments de vos combats épiques pour l’avènement de la démocratie, ne comprennent pas votre refus de soutenir un candidat de l’opposition, notamment ceux issus de la famille libérale. Cette famille dont vous êtes le patriarche incontesté et qui a vaillamment participé à toutes les étapes de la longue lutte pour l’instauration de la démocratie. Une démocratie longtemps vantée et fierté de notre peuple, mais qui, hélas, du fait d’un minus habens, d’un médiocre, prend les allures d’une farce caractéristique des républiques bananières. Vous avez été et êtes toujours considéré comme le chef incontesté de l’opposition sénégalaise. Aujourd’hui, le doute est permis.
Excellence, le président sortant a déroulé tranquillement sa feuille de route électorale sans rencontrer la moindre résistance significative de la part des Sénégalais restés amorphes, sans indignation particulière, comme pris par un effet de sidération. Peut-être attendaient-ils que vous fussiez de retour pour rallumer la flamme de la contestation, du refus héroïque et légendaire que vous avez toujours incarné. Malheureusement, vos propos ont été une douche froide qui a vraiment émoussé et entamé leur ardeur patriotique
Excellence, quelle ne fut leur surprise, leur étonnement et leur désarroi quand vous avez déclaré ne soutenir aucun candidat. Que vous décidiez de ne soutenir aucun des quatre candidats de l’opposition, pour observer une neutralité de sagesse, cela peut se comprendre aisément ; mais que le candidat Macky Sall puisse bénéficier de cette posture est inexplicable. Cela veut tout simplement dire que les candidats de l’opposition ne méritent pas plus que Macky Sall votre soutien. Lui, le tortionnaire et le bourreau de votre fils que vous semblez déifié alors qu’il n’est qu’un simple humain.
Les relents d’un deal
Excellence, vous auriez dû ou pu dire et annoncer officiellement que, certes, vous ne soutenez aucun candidat de l’opposition mais que, par contre, vous donnez comme consigne claire et sans équivoque de voter contre Macky Sall. Comment pouvez-vous mettre sur un pied d’égalité et loger à la même enseigne le bourreau et tortionnaire de votre fils et ceux qui ont eu à le défendre. Quelle explication crédible pouvez-vous donner aux Sénégalais pour qu’ils comprennent et admettent ce qui, aux yeux de beaucoup d’entre eux, apparait comme une complicité en faveur du candidat sortant. Les sceptiques soupçonnent une combine et les plus extrémistes perçoivent, à travers votre déclaration, les relents d’un deal ou, plus grave encore, les allures d’une haute trahison du peuple.
Excellence, demander aux Sénégalais de ne pas aller voter sous le fallacieux prétexte que les dés sont déjà pipés, est une insulte à leur intelligence. Ils ne peuvent comprendre qu’après avoir accepté de participer au parrainage, accepté la validation de ce même parrainage et introduit des recours devant le Conseil constitutionnel, on vienne leur dire qu’il faut boycotter le scrutin. Cela ne fait pas sérieux. Nous ne sommes pas des marionnettes pour amuser une galerie.
Excellence, il faut vraiment arrêter de dire que, sans Karim Wade, il n’y aura pas d’élection. Votre fils qui suscite beaucoup de sympathie autour de sa personne, n’est pas plus méritant que tous ces filles et fils de ce pays qui ont consenti et continuent de consentir les plus lourds sacrifices pour le soutenir. Si ce n’est pas Karim, cela pourrait et devrait être un autre. Karim n’a rien de plus que les autres, sinon qu’il est le fils d’un ancien président de la République. Maitre, notre pays a énormément évolué et vous semblez ne pas le comprendre. Qui plus est, le Sénégal ne se limite, ne se résume ni ne se réduit à la famille Wade.
Excellence, demander aux Sénégalais de ne pas voter, c’est priver l’opposition de milliers de voix, c’est neutraliser des suffrages au détriment de l’opposition et en faveur du candidat sortant. Votre jeu est trouble et troublant. Les Sénégalais refuseront de répondre à votre appel. Pour l’heure, le mot d’ordre qui sied et s’impose est de demander aux électeurs d’aller récupérer leurs cartes et voter massivement le jour du scrutin. Tout appel à l’abstention ou au boycott est une consigne déguisée pour un vote en faveur de Macky Sall.
Excellence, objectivement, s’il y a quelqu’un que vous devez soutenir, ça ne peut être qu’Idrissa Seck et pour les raisons suivantes. C’est grâce à son ingéniosité que vous avez pu accéder pour la première fois à la présidence de la République et ce, à un moment où vous-même n’y croyiez plus. Durant votre longue absence du pays, il a su tenir le gouvernail avec efficacité. Après tout, autant Macky vous a fait mal et porté tort, autant vous avez fait mal et porté tort à Idrissa Seck et à toute sa famille. Vous ne pouvez pas traiter de la même manière celui qui vous a humilié et celui que vous avez humilié. Question de logique et de bon sens.
Excellence, quant au scrutin du 24 février 2019, ne vous faites aucune illusion, il se tiendra. Les forces de défense et de sécurité sont suffisamment bien organisées pour assurer sa tenue et il y a que les Sénégalais sont vraiment décidés à y participer. Cette élection est capitale et décisive pour l’avenir de notre pays. Il ne saurait être question que, pour les seuls beaux yeux de Karim, le peuple se prive de ce grand moment d’expression démocratique, même s’il faut se désoler des nombreux impairs qui ont émaillé le processus.
Une stratégie aventureuse et inconséquente
Excellence, non seulement les candidats de l’opposition sont déterminés à y participer, mais il y a que, sauf à vivre dans une bulle onirique ou un monde chimérique, vous ne pouvez pas réunir la masse critique de citoyens nécessaires pour initier une telle opération. Il n’y a plus au Pds des baroudeurs de la trempe de Boubacar Sall, Abdoulaye Faye, Pape Samba Mboup, Cheikh Touré, Cheikh Khoureyssi Ba, Jean Paul Dias et tant d’autres que j’ai eu l’honneur de côtoyer et de pratiquer pendant les années de braises. Ceux de vos partisans d’aujourd’hui se distinguent par leurs discours comminatoires, pas plus. Avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de penser que vos propos et autres gesticulations ne sont que pure fanfaronnade et rodomontade inutile qui ne peuvent porter à conséquence. Vous courez le risque de la solitude dans une stratégie aventureuse et inconséquente.
Sénégalaises et Sénégalais, c’est un devoir, voire un impératif d’aller voter massivement le 24 février 2019 pour que notre beau pays, balafré dans sa dignité et son honneur, puisse se débarrasser de celui qui l’a plongé dans les profondeurs abyssales de la déchéance morale et de la pauvreté. Faire quitter Macky Sall du Palais est une œuvre de salubrité politique, d’assainissement des mœurs sociales, de restauration des valeurs positives et de l’éthique et de promotion de la trilogie vertueuse : égalité-justice-droit. Ne prêtez point une oreille attentive aux appels spécieux dont les échos ne cessent de s’amplifier pour que soit maintenu et préservé l’ordre social existant dont certains jouisseurs, des cercles politiques et maraboutiques, voudraient toujours profiter au détriment de la plèbe, sciemment et volontairement confinée dans une impécuniosité provoquée et entretenue pour un asservissement et avilissement durables.
Excellence, c’est pour vous une obligation morale et un devoir citoyen de donner officiellement une consigne de vote contre Macky Sall ; tout silence de votre part sera, à juste raison, considéré comme un soutien en sa faveur.
Quant à votre fils Karim Wade, il a l’obligation de venir avant le scrutin, sinon il sera considéré comme un lâche qui a de tout temps fait croire aux Sénégalais qu’il sera à leurs côtés pour affronter Macky Sall. A travers des déclamations guerrières, des appels à la mobilisation, il a essayé de fouetter la détermination et l’ardeur de ses partisans, en sachant pertinemment qu’il ne viendra pas. Et le cas échéant, il aura commis le plus gros mensonge politique depuis notre accession à la souveraineté internationale. Il est grand temps que les Wade arrêtent leur comédie politique et cessent de penser que nous sommes de serviles sujets manipulables à souhait. Après le 24 février, il n’y a plus d’avenir politique pour Karim.
Excellence, vous avez eu un parcours politique exceptionnel et fort enviable comparable à celui du légendaire Nelson Mandela ; aussi n’avez-vous aucunement le droit de le salir, de le ternir, encore moins de le maculer par un message inapproprié qui ne correspond guère à votre personnalité ni ne reflète point votre grandeur. Excellence, je ne souhaite pas qu’il vous arrive de dire comme Don Diègue : «O ! Souvenirs de ma gloire passée ; œuvre de tant d’années en un jour effacée».
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite