Le ministre de la Justice ne supporte plus les critiques acerbes venant de certains Sénégalais qui le cataloguent comme «un tailleur de la Constitution».
Prenant part à un débat sur la «Justice et l’Etat de droit», samedi dernier à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Ismaïla Madior a dit tout le mal qui l’habite en entendant ces discours. «A l’université, je gagnais suffisamment ma vie et personne ne m’insultait. Aujourd’hui, je suis à la tête du ministère de la Justice parce que j’estime que je peux continuer à réformer mon pays. Ce n’est pas parce qu’il y a une conjoncture dans la justice qu’on doit casser et changer tout», martèle l’ancien professeur à la Faculté des sciences politiques et juridiques (Fsjp) de l’Ucad. Pour ce dernier, la justice est un idéal c’est-à-dire qu’il n’y a aucun pays au monde où la justice est totalement indépendante. Le Garde des Sceaux dit défier quiconque. Selon lui, une enquête menée dans les pays de l’Union européenne (Ue) montre qu’il n’y a aucun pays au monde où leurs citoyens sont satisfaits de leur justice. Il rappelle que même les Etats-Unis qui est un modèle de démocratie les Américains disent : «Qu’il y a une justice pour les pauvres et une autre pour les riches». Un constat qui lui fait dire que la question de l’indépendance de la justice est une problématique universelle qui n’est pas exclusive au Sénégal. Et que c’est un débat qui est posé partout dans le monde. «Les Sénégalais pensent que les problèmes qui se posent dans notre pays sont spécifiques. Il n’y a aucun pays dans le monde où 60 % des populations sont satisfaits de leur justice. D’où la nécessité de relativiser les discours selon lesquels, il y a une rupture de confiance entre les juges et les citoyens. Il faut faire attention aux spéculations», alerte le successeur de Sidiki Kaba.
Le ministre de la Justice reconnait tout de même que la question de l’indépendance de la justice se pose avec acuité dans notre pays. Et qu’il faut le reconnaitre et oser en débattre. Il propose, d’ailleurs, d’organiser des colloques pour discuter de cette question. Il rappelle que des voix s’élèvent pour réclamer l’indépendance de la magistrature. Mais il précise qu’il ne faut pas faire la confusion, parce que l’indépendance de la magistrature ne veut pas dire forcément indépendance de la justice. D’après Ismaïla Madior Fall, le juge statue dans le respect de la loi et dans son intime conviction. Pour lui, l’indépendance de la justice ne s’apprécie pas quand on nomme une personne mais elle s’apprécie au moment où cette dernière rend la décision. «Aujourd’hui, on peut discuter de l’indépendance de la justice dans notre pays. Il le faut d’ailleurs. Mais il faut le faire en gardant l’objectivité sur le diagnostic et éviter de grossir les problèmes qui ne sont pas des problèmes», lance-t-il.
Poursuivant, le constitutionnaliste déconseille d’éviter ce qu’il appelle le «piège de l’actualité». Et que deux affaires politiques pénales soient l’arbre qui cache la forêt. De son avis, les affaires de droit ne doivent pas se résumer seulement sur l’arrestation d’un politicien. Il faut que les gens sachent, dit-il, que quand on parle de justice au Sénégal, c’est d’abord les juridictions. «Quand on fait le focus sur le magistrat, on passe à côté. Il faut l’indépendance des magistrats c’est bien mais il faut associer tous les acteurs de la justice qui concourent avec les décisions de la justice. Le magistrat a un rôle important à jouer mais il n’est pas le seul. Les gens quand ils sont dans l’opposition, ils passent tout leur temps à défendre ces positions. Il faut faire attention. N’alimentons pas les discours politiques», avertit-il.
Samba BARRY