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La nouvelle zone pour le développement économique et industriel du Sénégal, la Petite-Côte (de Bargny à Ndayane), abritera bientôt deux des plus grands ports de l’Afrique de l’Ouest. Parallèlement, les expropriations des cultivateurs, la destruction de la biodiversité et de la pêche artisanale concourent à l’appauvrissement des populations, qui voient disparaître leurs principales ressources de subsistance.
Le 27 novembre 2017, sur ordre présidentiel, le premier ministre du Sénégal, Mahammed Boun Abdallah Dionne, pose la première pierre du port minéralier et vraquier de Bargny-Sendou. Les terres cultivables de ces deux communes ont déjà accueilli la construction d’une centrale électrique à charbon de 125 mégawatts (achevée en 2018) et du pôle urbain de Diamniadio. Des habitants de la commune de Sendou tenteront d’organiser une marche de contestation, mais seront bloqués à la sortie de leur village. L’heure est à la fête. Danseuses traditionnelles et spectateurs, financés pour l’occasion, sont invités à prendre part à l’événement, armés de pancartes et banderoles à la gloire du président Macky Sall et de ses grands projets. Le 24 février 2019, Macky Sall remettra son mandat en jeu lors de la onzième élection présidentielle sénégalaise.
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© Laurence Grun & Pierre Vanneste
Novembre 2018. À l’avenir, sur moins de 50 kilomètres se côtoieront trois ports : l’actuel port autonome de Dakar, le port minéralier et vraquier de Bargny-Sendou (prévu pour 2021), et le port du Futur de Ndayane (en cours de signature). Alors qu’aucune attestation de conformité n’a encore été délivrée par le ministère de l’environnement et du développement durable, les contours du projet se précisent. Un mur d’enceinte a été dressé pour définir les limites du périmètre du futur port minéralier et vraquier. Il s’étendra sur une superficie de 1 346 hectares : 483 hectares en zone terrestre et 863 hectares en zone maritime (avec une jetée de quatre kilomètres en mer). Mal informées, les populations oscillent entre promesses d’emploi et peur de la destruction de leur côte et de leur mode de vie.
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Novembre 2018. À Sendou comme à Bargny, 80 % de la population travaille dans le secteur de la pêche. Avec la pollution et la zone de contournement de sécurité, la ressource halieutique et la pêche sont condamnées à disparaître. Mamadou Diop est artisan-pêcheur depuis l’âge de 10 ans. Pour lui, cette étendue du port sur plusieurs kilomètres dans la mer est vécue comme une catastrophe. À 45 ans, il ne s’imagine pas faire un autre métier : « Tout le monde ne peut pas travailler au port, pourtant il ne restera que le port. »
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Plan du port minéralier et vraquier de Bargny-Sendou. Selon le rapport provisoire d’étude d’impact environnemental et social de décembre 2017, rapport toujours pas public car en cours de finalisation, les conséquences sont sans appel. Les impacts négatifs se feront « particulièrement » sentir durant la « pré-construction, la construction et l’exploitation ». Risque d’accentuation du phénomène d’érosion côtière, destruction de la biodiversité marine, fin de l’agriculture et de l’élevage, délocalisation de centaines de personnes. Un rapport ignoré des populations de Sendou et Bargny car n’ayant pas fait l’objet d’une audience publique, pourtant obligatoire selon le code de l’environnement sénégalais.
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Novembre 2018, à Sendou. Depuis quelques mois, les habitants de Sendou ont appris qu’une zone de sécurité de 250 mètres s’ajouterait à la superficie du port. Cette extension n’était pas prévue et amputera la commune d’un tiers de ses habitations. La concession de Cheikh Tidiane N’doye se trouve dans cette zone. « Un jour, ils sont venus avec le préfet pour faire le recensement des maisons situées dans le périmètre des 250 mètres sollicité par le port. Heureusement, les gens n’étaient pas prêts à les accueillir. Car si on accepte le recensement, cela veut dire qu’on est d’accord pour partir. » Officiellement, des relogements sont prévus par l’État pour ce type de projets, même si leur effectivité n’est pas toujours garantie. De plus, ceux-ci correspondent à des standards qui ne répondent pas aux habitudes de vie et besoins des populations.
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À l’est de Sendou, le quartier “Sendou extension”. La population augmentant, les propriétaires de parcelles se construisent de nouvelles concessions. Qui sont sommées de s’interrompre pour laisser place au port.
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Mur entourant l’actuel chantier du port. Les travaux ont privé définitivement les habitants de Bargny et Sendou de leurs champs. Ils seront indemnisés, mais uniquement sur la valeur des cultures trouvées le jour de l’inspection pour le recensement de celles-ci. Au Sénégal, une grande majorité de la population ne dispose pas de titre foncier et gère les terres selon le droit coutumier. Elles se transmettent de génération en génération. Ces terres déclarées non identifiées appartiennent au domaine national et sont la propriété de l’État.
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Yanga Mbengue n’a, depuis un an, plus de champ où travailler et attend toujours ses indemnités : 150 000 francs CFA (228 euros). Elle avait trois hectares de terres, où elle cultivait du gombo. Son amie devait quant à elle recevoir 500 000 francs CFA (760 euros) pour la même superficie.
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Champ de gombo terrassé avant la pose de la première pierre du port minéralier et vraquier. À ce jour, aucun cultivateur ne dit avoir touché les indemnisations promises et dues.
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Au pied du mur se trouvaient d’anciennes carrières, qui ont été remblayées par les équipes de construction du port. Il y a encore quelques mois, celles-ci servaient d’abreuvoirs pour le bétail des éleveurs peuls de la zone. Les dernières carrières accessibles se situent désormais derrière la nouvelle centrale électrique à charbon, dans la commune voisine de Bargny. Le mur érigé pour délimiter le territoire du port n’a pas encore été totalement fermé. Mais à l’avenir, les Peuls n’auront plus d’accès direct à l’eau.
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Au nord de Sendou se trouve le village de Sendou Peul. Avec l’accaparement des terres par la centrale à charbon de Bargny et du port de Bargny-Sendou, les Peuls n’ont presque plus d’espace pour leurs activités. Omar Kâ et Elhadji Kâ, respectivement chefs du village et des éleveurs, envisagent le port comme une possible reconversion pour les jeunes. Mais ils n’ont jamais vu de port de leur vie, pas même l’actuel port de Dakar. Personne n’est venu les consulter, ni leur expliquer le contenu du projet et l’impact qu’il aura sur leur vie.
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Amadou Sen est à la limite de la zone des 250 mètres condamnée par le port. Il ne sait pas si vivre aux portes de ce dernier sera possible.
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Face à la mer, Sendou Thiossane est le plus ancien quartier de la commune. Il est un accès direct à la mer pour les pêcheurs de la localité. Outre la destruction des principales sources de revenus des populations, la pêche et l’agriculture, ainsi que la pollution directe émise par les produits qui y seront stockés, tels que le clinker, le ciment, le charbon, le souffre, l’acide phosphorique ou les hydrocarbures, le déboisement des arbres pour la construction du port sur plusieurs centaines d’hectares n’est pas sans conséquence d’un point de vue environnemental et sanitaire.
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Sendou Thiossane. Avec l’arrivée du port, le risque de voir s’accentuer le phénomène d’érosion côtière, qui ne cesse de s’aggraver à Bargny comme à Sendou, inquiète les habitants. Une digue de protection sera bien construite pour le port, mais rien ne semble prévu pour protéger les habitations.
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Onze kilomètres plus loin, on parle déjà d’un second port, actuellement en cours de signature : le port du Futur, un port à conteneurs, cargos et navires rouliers, dont le promoteur n’est autre que la société émiratie Dubaï Port World. « Une réplique du port de Jebel Ali » à Dubaï, dit-on. L’ambition est de faire de Dakar la première zone portuaire de la côte africaine (devant Lomé et Abidjan). Et, avec la future zone économique intégrée, de s’imposer comme le hub d’affaires en Afrique de l’Ouest. Mais les impacts environnementaux et sociaux pourraient se faire sentir sur une centaine de kilomètres. La Petite-Côte sénégalaise semble condamnée.