CONTRIBUTION
Idrissa Seck a choisi la figure du héros en politique. Celui qui prend ses distances avec le peuple et se retranche dans un silence assourdissant.
Il veut être un surhumain parmi les humains, un surhomme parmi les hommes. Il cultive le silence pour récolter le mystère, le clair-obscur. La distance est sa zone de confort. Un héros est né, son étoile est enfouie dans les profondeurs abyssales de l’océan.
C’est la figure que Idrissa Seck, le leader du parti Rewmi, cherche à incarner en politique – même d’après certains témoignages de proches – dans la vie courante. L’ex maire de Thiès est retombé dans ce travers depuis sa bourde sur l’origine de l’un des lieux saints en islam : la Mecque.
Idrissa Seck n’est pas à son coup d’essai, puisqu’en 2004, après sa défénestration de la Primature (ancienne Maison Militaire, en face du Palais), il avait choisi le silence comme mode communication, jusqu’au jour où il a répondu à la provocation de Me Wade sur l’affaire des chantiers de Thiès.
Pourtant, Idrissa avait su créer, il y a sept mois, une ambiance de dualité entre le président sortant et lui, à travers ses sorties répétées contre la gestion de Macky Sall. Il avait réussi cette percée parce que le héros est descendu de son piédestal, en devenant un homme ordinaire. L’être à part, s’est mué en l’un de nous, humain trop humain !
Mais chasser le naturel, il revient au galop. Au lieu de couvrir ce bruit involontaire suscité par son imprudence, en dépit du pardon demandé, sur les termes de Maka et Baka (la religion est sensible parce que c’est la « science» du dogme), par un autre, volontaire, cette fois-ci, et plus retentissant, grâce à une pratique de terrain plus accrue, l’ex Premier ministre a préféré s’emmurer dans un silence assourdissant, synonyme de capitulation. Un de ses collaborateurs a tenté de justifier la posture du héros, par la grande réflexion qu’il était en train de mener sur le Sénégal. Il en conclut que le « silence est d’or » et ne s’accommode pas de déclarations politiciennes au quotidien. Une grave erreur, parce qu’on n’attend pas moins de deux mois de la présidentielle, pour cogiter sur la vision à proposer à ses compatriotes. Au contraire, c’est dans cette période qu’il doit faire feu de tout bois pour renvoyer aux Sénégalais l’image de quelqu’un qui est à leur service et les défend contre l’injustice sociale.
Il se comporte, en lieu et place, comme un président de la République dont le temps est long, parce qu’il se fixe un horizon et ne saurait être dans la réaction à la petite phrase et le commentaire de l’actualité.
Mais cette image (héros) ne sied pas à quelqu’un qui cherche le pouvoir. Comment cultiver la distance avec le peuple censé vous hisser au sommet de l’Etat ? Comment se montrer altier ou camper dans la légende, pour parler comme Roger-Gérard Shwartzenberg, si l’on veut atteindre le cœur des électeurs ?
Autant dire, tout de suite, que le leader de Rewmi a fait un très mauvais choix qui risque de lui coûter cher. Il est peut-être en train de créer, sans le savoir, les conditions d’un décrochage des électeurs.
Entendons-nous bien : je ne suis ne suis pas en train de dire que le candidat ne doit pas, en temps opportun, cultiver la distance à travers un silence volontaire. Puisque l’image aussi qui sature à travers des sorties nombreuses et brouillonnes, fera l’objet de rejet de la part des électeurs qui se situent à la lisière de la familiarité et de l’énigme. C’est pourquoi nous donnons raison au philosophe français, Blaise Pascal, qui soutient qu’« il y a une éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait le faire ». Car parler, c’est peut-être encourager les autres à aller chercher à lire entre les lignes, à traquer les non-dits d’un discours que l’on voulait énigmatique.
D’un autre côté, le silence, en politique, équivaut à la mort. De Gaulle l’a appris à ses dépens, lors de la présidentielle de 1965, en jouant sur le registre du mystère et du silence.
Pour rester au-dessus de la mêlée, il refuse d’utiliser son temps d’antenne. Sur les 2 heures de radiotélévision offertes à chaque candidat, il n’utilisera que 23 mn. Cette posture lui a fait récolter le ballotage. Au second tour, l’homme de l’appel du 18 juin, a changé d’image : le héros se mue en homme ordinaire. Mais aussitôt réélu, il se retranche dans son confort de héros. L’auteur de L’Etat Spectacle arrivera à la conclusion selon laquelle « Mai 1968 est d’une certaine manière, une révolte contre ce pouvoir hautain et lointain ».
Idrissa Seck ne doit nullement ignorer que la nature a horreur du vide. D’autres leaders ont occupé l’espace, au moment où le leader de Rewmi se confortait dans sa retraite spirituelle.
Le héros a fini de secréter la lassitude au peuple. Lequel a besoin de chaleur, de semblant d’intimité pour se laisser reconquérir.