Le premier anniversaire du drame de Boffa aurait pu être célébré hier. Un an après le massacre collectif de quatorze coupeurs de bois dans une forêt au sud de Ziguinchor, les familles des victimes sont toujours dans l’attente d’un procès. Retour sur le film d’une des plus grandes tragédies enregistrées en Casamance.
(Correspondance) – C’est certainement une des journées les plus noires dans l’histoire récente de la Casamance. Le 6 janvier 2018, quatorze prétendus coupeurs de bois sont massacrés dans la forêt de Boffa Bayotte, non loin de Ziguinchor. La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Un peu plus de six ans après le massacre de Diagnon qui avait fait une dizaine de morts dans les rangs de cette même catégorie socioprofessionnelle, la Casamance renoue avec les tueries de masse. Même si aucun lien direct n’a été établi entre la crise qui secoue cette région sud du Sénégal et ce drame humain, il reste que cet événement douloureux intervient dans un contexte de développement d’une économie de guerre avec la promotion de la culture du cannabis et l’exploitation sauvage et criminelle de la forêt. Une forêt qui devient parfois hélas le champ mortuaire de plusieurs trafiquants.
Comme à Diagnon, l’atrocité venait de se manifester à travers cet acte répréhensible qui rappelle une autre facette de la nature humaine en zone de conflit. Mais, contrairement à Diagnon, cette fois-ci, une enquête sera ouverte pour identifier les auteurs du massacre. Laquelle aboutira rapidement à l’interpellation de plus d’une vingtaine de personnes.
La gendarmerie démasque les auteurs présumés
L’enquête fut rapide et efficace. Une semaine seulement après le massacre de Boffa, la brigade de recherches de la gendarmerie nationale oriente son enquête vers des jeunes, interpellés des mois auparavant, jugés puis libérés après avoir purgé leurs peines. Ces jeunes de Toubacouta et environs se seraient rendus coupables d’agression sur des coupeurs de bois. Les soupçons portés sur eux permirent de faire avancer l’enquête. Près d’une trentaine de personnes seront interpellées à Boffa, à Bourofaye, à Toubacouta et à Ziguinchor. L’identité de certains présumés auteurs ou complices provoque la surprise et l’émoi à Ziguinchor. Journaliste, ancien stagiaire dans beaucoup d’organes de presse du pays comme Walfadjri Fm, Rts 4 et Rfm, l’arrestation de René Capin Bassène surprend plus d’un à Ziguinchor. Certes, ses liens avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc), notamment avec le chef de guerre César Atoute Badiatte, étaient un secret de polichinelle, mais de là à présenter le responsable de la communication de l’Anrac comme le cerveau de ce massacre comme semblaient le laisser entendre les propos du procureur, il y a un pas que seule l’enquête pouvait franchir. Et pourtant, René Capin Bassène séjourne depuis un an à la maison d’arrêt et de correction de Ziguinchor en compagnie de son ami et co-sympathisant du Mfdc, Oumar Ampoï Bodian. Le destin du «jeune barbu» a commencé à changer depuis 2012. Ancien secrétaire général de l’Ujtl, militant inconditionnel du Pds et de Me Abdoulaye Wade, candidat malheureux au poste de président du conseil départemental de Ziguinchor, Ampoï, comme on l’appelle communément dans la capitale du sud, a certainement mal pris ses échecs politiques au point de s’envisager un autre avenir. Au lendemain du drame de Boffa, il envahit les médias pour réfuter toute responsabilité du Mfdc dans ce massacre. Son nouveau statut de chargé de mission du maquis du mouvement séparatiste de Casamance et ses dérapages verbaux ont certainement fini par faire de lui un potentiel complice.
L’opinion dans l’attente d’un procès
Ils sont au total plus d’une dizaine de prévenus à séjourner en prison en rapport avec le drame de Boffa. Le face-à-face avec le procureur de la République aurait certainement fini par fonder une certaine responsabilité de ces hommes dans cette tragédie humaine. Le groupe de suspects, près d’une trentaine au début, s’est rétrécie. Selon des sources proches du dossier, l’instruction est très avancée et le procès ne saurait tarder. Entre temps, les prévenus attendent le début de l’opération, certains à la Mac de Ziguinchor, d’autres dans une prison dakaroise. Pendant ce temps, les proches des victimes s’impatientent, le cœur rempli de colère. «Rien ne saurait justifier cette violence aveugle», se plaint A. Diallo qui continue de pleurer son frère. «Ce que nous attendons de la justice, c’est que les coupables soient sévèrement punis pour qu’ils comprennent qu’ils n’avaient pas le droit de faire ce qu’ils ont fait, pour qu’ils aient une idée du niveau de notre souffrance». Cette attente est fortement partagée par les familles des victimes. Lesquelles ont vu leur vie basculer du jour au lendemain. «Les victimes étaient toutes des soutiens de familles. Leur disparition a plongé des familles entières dans le désespoir d’une vie désormais bouleversée et même indigente. Le procès permettra non seulement de déterminer le niveau de responsabilité des uns et des autres, mais aussi de faire le deuil de nos disparus», conclut A. Diallo.
Mamadou Papo MANE