CONTRIBUTION
Le principal cri de cœur des élus locaux depuis la mise en place de cette nouvelle politique de gouvernance territoriale est la faible capacité financière des collectivités territoriales. Sur ce point, il faut souligner dès le départ que les responsabilités sont partagées. Conformément au principe constitutionnel de la «libre administration», la source principale des collectivités territoriales doit demeurer les ressources propres. Le législateur a quand même introduit dans cette catégorie de ressources, les dotations provenant de l’Etat (Fdd, Fecl (1), fonds de péréquation etc.). Les communes doivent mener une stratégie hardie de mobilisation de ressources propres locales. Pour ce faire, les élus locaux doivent être animés d’un volontarisme politique et soucieux d’assainir la situation de leurs communes respectives. C’est pathétique d’entendre très souvent des maires dire : «Nous attendons l’Etat». Or, l’article 73 du code prévoit que «ne peuvent être constituées en communes que les localités ayant un développement suffisant pour pouvoir disposer des ressources propres nécessaires à l’équilibre de leur budget».
Cette disposition pertinente qui est le soubassement même de la décentralisation n’est malheureusement pas respectée. La création de beaucoup de communes est dictée par des considérations politiciennes, ce qui est à l’origine de la prolifération ou de la fragmentation territoriale. Certaines communes n’ont aucune potentialité ou viabilité territoriale ou économique pour générer des ressources propres, elles demeurent en permanence sous perfusion des fonds de l’Etat. Et d’ailleurs, si l’article 74 du Cgct était rigoureusement appliqué, toutes ces communes devraient être dissoutes. Cet article souligne que «lorsque, pendant quatre années financières consécutives, le fonctionnement normal d’une commune est rendu impossible par le déséquilibre de ses finances, sa suppression peut être prononcée par décret, après avis de la Cour suprême». Mais pour éviter des troubles et autres contestations, l’Etat renforce la perfusion au niveau de ces communes pour les maintenir en vie institutionnelle.
L’Acte 3 a beau proclamer vouloir mettre en place des «territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable», mais ces voeux restent pieux. Le découpage ne permet pas l’atteinte de cet objectif général, visé par «l’Acte III de la décentralisation». A titre illustratif, nous avons participé à une mission d’appui au recouvrement organisée par une ancienne communauté rurale dans la région de Kaolack avec l’appui de la coopération allemande. Au lieu de recouvrer de l’argent auprès de contribuables, c’est le maire (qui faisait partie de la mission) qui était obligé de donner de l’argent aux populations. Il n’y avait pas de potentiel et le taux de pauvreté était tel que le maire était obligé de distribuer de l’argent dans des villages sillonnés.
Les communes qui ont un potentiel fiscal relativement important font face à un manque à gagner important dans le recouvrement des recettes. Dans ces communes, la matière imposable reste non actualisée. Ce qui constitue un obstacle à un recensement exhaustif des contribuables et à l’élargissement de l’assiette de la fiscalité locale. Dans la pratique, il est perçu des produits des expéditions des actes administratifs, des actes de l’état civil ou autres droits de légalisation, sans reversement de ces recettes dans le budget. Le modus operandi consiste à délivrer ces actes sans y apposer de timbre, à l’instar des collecteurs «djouti» dans les marchés, qui perçoivent les droits de place (à un montant inférieur à la valeur faciale) sans délivrer de tickets en contrepartie. Une collectivité territoriale ne doit plus être gérée comme une administration classique, mais plutôt comme une entreprise. Dans cette optique, les maires peuvent confier le recouvrement à des cabinets privés avec signature de contrats de performance. Ces privés se feront rémunérer sur la base du taux de recouvrement, conformément aux objectifs de performance qui leur sont assignés, selon le potentiel de l’assiette. C’est une manière d’ailleurs de contribuer à la promotion du partenariat public-privé, inscrit en lettre d’or dans la nouvelle politique économique du Sénégal. En 2005, le maire de Dakar a mis cent agents à la disposition de la Direction générale des Impôts et des Domaines (Dgid), et une hausse considérable a été enregistrée à la suite de cette initiative. Pour le seul quartier des Almadies, le produit de l’impôt collecté dans ce secteur est passé de 9 millions de francs Cfa à 5 milliards. Ce partenariat facilitera à la commune, la tenue d’une comptabilité des ressources tirées de ces produits (état civil) en vue de disposer de situations de synthèse périodiques, conformément à la réglementation en vigueur.
Il est évident que ces genres d’initiatives font appel à l’appui constant, concerté et planifié des services des Impôts et du Trésor dans un programme de travail commun. Ce partenariat peut être porté par les Commissions de fiscalité locale. Ce nouveau et pertinent mécanisme est mis en place par le nouveau Code général des impôts (article 308). Malheureusement, cette commission se limite aux contributions foncières des propriétés bâties et non bâties. Il s’agit maintenant de l’élargir aux autres impôts locaux, de l’animer, de le rendre dynamique pour assurer une meilleure communication entre les parties prenantes.
Les considérations électoralistes sont à l’origine de fortes déperditions fiscales. Beaucoup de maires sont peu rigoureux dans la perception des impôts locaux, par crainte d’être débarqués lors des prochaines élections locales. Cette crainte ne tient pas. Les populations ne sont pas contre le paiement, mais exigent des réponses idoines à leurs préoccupations et en toute transparence. Le taux de recouvrement des impôts locaux de la commune de Dakar est passé de moins de 19 000 000 000 FCfa en 2010 à près de 25 000 000 000 en 2013, c’est-à-dire à la veille des élections locales de 2014 et pourtant cette même équipe a été reconduite par les Dakarois.
Les équipes municipales doivent enfin utiliser les opportunités offertes par l’article 198 (Cgct) qui permet aux collectivités locales de créer en fonction des potentialités locales des équipements marchands et d’instituer des taxes sur l’utilisation de ces équipements. Par exemple, Wack Ngouna dans le Saloum peut s’équiper de machines d’arachide (décortiqueuse, égreneuse, tireuse, éplucheur etc.). Ces équipements permettent d’alléger les travaux de l’agriculteur et de renforcer la qualité de la production, tout en générant des recettes budgétaires. La commune de Oréfondé (Matam) peut mettre en place une mini-rizerie, vu que les producteurs vont sur de longues distances ou se contentent des méthodes traditionnelles. Là également, la gestion de ces équipements, pour plus d’efficacité, pourrait être confiée à des privés.
Les organes exécutifs locaux (président du conseil départemental et maire) ont la charge de favoriser un environnement local propice pour impulser le développement d’entreprises(même informelles). L’Etat a déjà mis en place des outils de promotion de l’entreprenariat (Adpme, 3Fpt, etc…) (2), il appartient maintenant aux autorités décentralisées de les articuler avec la décentralisation par des initiatives de développement économique local aptes à valoriser leurs territoires par l’exploitation de toutes les potentialités locales.
Le Sénégal a mis en place un cadre de partenariat public-privé. Ces opportunités doivent être exploitées par les collectivités territoriales. A ce titre, les communes pourraient s’inspirer de la belle trouvaille de Malicounda dans la mise en place de la centrale solaire d’un coût de 22 milliards de francs Cfa et dans laquelle la commune détient 5 % des parts de la société d’exploitation. Pour couronner toutes ces initiatives de succès, les communes doivent impérativement mettre en place les cadres de concertation prévus à l’article 7 du Code général des collectivités territoriales. Ces cadres auront un droit de regard sur la gestion de ces fonds collectés, ce qui est de nature à renforcer la transparence, à lever toute suspicion et à amener les contribuables ainsi rassurés à s’acquitter convenablement de leurs obligations fiscales.
A côté des élus locaux, l’Etat a aussi une part de responsabilité dans la faible capacité financière des communes. En 1996, l’Etat a transféré d’importantes compétences aux collectivités territoriales, sans transférer les moyens pour couvrir toutes ces nouvelles charges. Or, selon l’article 282 du Cgct, «les transferts de compétences par l’Etat doivent être accompagnés au moins du transfert concomitant aux départements et aux communes des moyens et des ressources nécessaires à l’exercice normal de ces compétences…». Cette disposition laisse apparaitre deux principes, d’une part chaque transfert de compétence est accompagné de moyens et d’autre part, ces moyens doivent permettre un exercice normal de ces compétences.
En réalité et vingt-deux ans après cette politique de transfert, certaines compétences ne font pas encore objet de transfert financier. Ces transferts consacrés par le législateur tardent à se matérialiser dans toutes les compétences transférées, aggravant ainsi les contraintes d’ordre financier des communes. Les secteurs de la santé, de l’éducation et du sport sont les seuls ayant régulièrement bénéficié des ressources du Fonds de dotation de la décentralisation depuis sa création (3). Ces transferts effectués (pour les compétences qui en reçoivent) ne permettent pas non plus un «exercice normal de ces compétences». Selon ce même rapport, «l’évaluation des coûts de compensation a été virtuelle, depuis l’origine, car n’ayant pas été faite de manière précise, afin de déterminer, pour chaque compétence transférée, la nature des charges concernées (4)».
En outre, le Fdd pourrait être renforcé en diversifiant ses sources de financements, audelà de la Tva. Ce fonds pourrait être alimenté aussi par la Trimf (5). Le problème de cet impôt est qu’il est versé en principe à la commune où l’entreprise a son siège social (article 35 du Code général des impôts). Or beaucoup d’entreprises ont leur siège social à Dakar et déroulent leurs activités dans les communes de l’intérieur. Au lieu de centraliser tous les versements de cet impôt dans la commune du siège social, ils peuvent plutôt contribuer à alimenter le Fdd. Ce qui permet de faire jouer la péréquation en permettant à toutes les communes d’en bénéficier. Deux autres sources pourraient aussi être explorées au profit des communes. L’Etat est dans une dynamique d’augmenter les autoroutes à péage. Une quote-part peut être instituée sur ces péages et ristournée aux communes traversées.
Une autoroute est une perte de recettes pour ces communes. La commune perd des droits de stationnement qui étaient payés par les véhicules de transport en commun qui empruntaient la route qui traversait ces communes. De même, l’économie locale souffre de cette nouvelle situation. Les stations de service et autres boutiques voient leurs recettes baisser. Les vendeurs au bord de la route voient leurs revenus s’amenuiser. Tel est le cas à Dalifort, Pikine, Thiaroye, Diamniadio, Sébikotane, Bambéy, Khombole, etc. Pour réparer ce «préjudice fiscal», un système de ristourne peut être institué au profit de ces communes.
En outre, l’Etat n’a pas adopté une loi définissant les tarifs et les modalités de perception de certains impôts et taxes. Ce qui ne permet pas aux communes de mobiliser (légalement) ces recettes prévues. Nous pouvons citer la taxe sur la valeur des locaux servant à l’usage d’une profession, la taxe de balayage, la taxe de déversement à l’égout, la taxe sur les machines à coudre, la taxe sur les locaux garnis, etc. Si l’Etat ne veut pas que ces taxes soient recouvrées, celles-ci doivent être supprimées et que le code soit ainsi allégé. C’est cette situation qui est également à l’origine de la perception sans base légale des recettes sur les actes d’urbanisme (permis de construire, certificats de conformité, d’urbanisme et de démolition etc.).
La mise en place de la Dscos (6) a propulsé le réflexe des citoyens à aller chercher à la mairie un permis de construire ou autres documents d’urbanisme. Ce qui entraine, par conséquent, la perception de droits par la mairie. Or, ces droits perçus ne sont mentionnés, ni dans la nomenclature budgétaire, ni dans les dispositions de l’article 195 du Code général des collectivités territoriales qui énumèrent les recettes de fonctionnement et d’investissement de la collectivité territoriale. La Cour des comptes a déjà attiré, en vain, l’attention des autorités sur cette question (7).
Il est vrai que l’Etat fait des efforts pour augmenter régulièrement les transferts au profit des collectivités territoriales, mais cet effort est affaibli par l’absence de contrôle systématique et de sanctions sur l’utilisation de ces fonds. En ce qui concerne le secteur minier, il peut sensiblement contribuer au financement des collectivités territoriales. Ce secteur draine aujourd’hui de flux massifs d’investissements couvrant diverses substances minérales.
Kader Fanta NGOM
Conseil Juridique africaDER16 [email protected]
1 – Fdd = Fonds de dotation de la décentralisation ; Fecl = Fonds d’équipement des collectivités locales
2 – Adpme : Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises; 3Fpt : Fonds de financement de la formation professionnelle et technique
3 – Rapport 2015 de l’Inspection générale d’Etat (page 85)
4 – Rapport 2015 de l’Inspection générale d’Etat (page 87)
5 – Taxe représentative de l’impôt du minimum fiscal
6 – Direction de la surveillance, du contrôle et de l’occupation des sols.
7 – Rapport annuel de la Cour des comptes de 2013, page 76.