Dans la nuit de mardi à mercredi, des groupes de jeunes se sont de nouveau opposés aux forces de l’ordre dans trois villes de Tunisie, notamment à Kasserine, lieu de la mort du journaliste Abderrazk Zorgui qui s’est immolé par le feu lundi pour «commencer une révolution».
De nouveaux heurts nocturnes ont éclaté à Kasserine, ville de l’ouest de la Tunisie où un journaliste est décédé lundi après s’être immolé par le feu, mais aussi à Tebourba (nord) et Jbeniana (est), a indiqué ce mercredi le ministère de l’Intérieur.
Ces heurts ont opposé des groupes de jeunes, essentiellement, aux forces de l’ordre. À Kasserine, la police a répliqué aux jets de pierres par des tirs de gaz lacrymogène, selon un correspondant de l’AFP. Un policier a été blessé à Jbeniana, au nord de Sfax, la deuxième ville de Tunisie, tandis que cinq personnes au moins ont été interpellées à Tebourba, a déclaré à l’AFP le porte-parole de la sûreté nationale, Walid Hkima.
Dans un communiqué distinct, le ministère de l’Intérieur a par ailleurs affirmé avoir procédé à l’arrestation d’une personne pour son implication présumée dans le geste qui a coûté la vie à Abderrazk Zorgui, 32 ans. Lundi, ce journaliste s’est immolé par le feu à Kasserine en affirmant vouloir protester contre le chômage et la dégradation de la situation économique dans cette région parmi les plus pauvres du pays. «Pour les habitants de Kasserine qui n’ont pas de moyens de subsistance, aujourd’hui, je vais commencer une révolution, je vais m’immoler par le feu», a déclaré le journaliste dans une vidéo qu’il a publiée 20 minutes avant de passer à l’acte.
Il a par la suite succombé à ses blessures, et ce drame a suscité la colère d’habitants. Des dizaines d’entre eux ont brûlé des pneus et bloqué la rue principale du centre-ville dans la nuit de lundi à mardi, avant que des affrontements ne reprennent durant la journée de mardi. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a appelé à une grève nationale de la «dignité» le 14 janvier, jour anniversaire de la révolution de 2011.
Une classe politique incapable de répondre aux difficultés économiques et sociales du pays
Kasserine est l’une des premières villes où avaient éclaté fin 2010 des manifestations pour protester contre la pauvreté et la marginalisation. Provoquées par l’immolation par le feu en décembre 2010 d’un jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid (centre-ouest), excédé par la pauvreté et les humiliations policières, les manifestations s’étaient ensuite propagées à travers le pays, conduisant au renversement du régime de Zine El Abidine Ben Ali. La Tunisie est parvenue par la suite à préserver sa transition démocratique – de nouvelles élections libres sont prévues en 2019 -, mais la situation économique et sociale reste difficile, les gouvernements peinant à répondre aux aspirations des Tunisiens. Inflation et chômage alimentent les troubles sociaux.
Sous le signe de ralliement «Qu’est-ce qu’on attend?», des émeutes avaient éclaté en janvier dernier dans de nombreuses villes du pays pour protester contre la «vie chère» après une augmentation de plusieurs taxes, dont la TVA. Celles-ci s’étaient alors étendues à l’intérieur des terres et n’avaient pas seulement concerné la capitale, Tunis. Plus de huit ans après le début des printemps arabes, les résultats de la révolution tunisienne se font toujours attendre, au risque de déstabiliser un système démocratique déjà fragile.
«Le mouvement d’aujourd’hui, c’est aussi un moyen de faire le bilan de la révolution de 2011. Si le bilan politique est assez remarquable par rapport aux autres pays, avec la création d’une république qui reconnaît à peu près le pluralisme et la liberté d’expression, en revanche, le bilan économique et social est très mauvais. Les mécontents reprochent à la classe politique son impuissance et risquent de poser la question de sa légitimité», expliquait déjà au Figaro, l’an dernier, le chercheur Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS et cofondateur du site Chronik.fr. Un constat plus que jamais d’actualité.
Les Ivoiriens de Tunisie scandent leur colère après la mort d’une de leurs figures
Falikou Coulibaly, le président de l’Association des Ivoiriens de Tunisie, a été poignardé à mort dans la nuit de samedi à dimanche dernier à La Soukra, un quartier de la banlieue nord de Tunis. D’après le ministère de l’Intérieur tunisien, l’homme aurait été agressé par un malfaiteur qui voulait lui voler son téléphone portable. Le suspect a été arrêté et a reconnu les faits d’après Le Monde . Pour la communauté ivoirienne, le meurtre de ce père de famille de 33 ans n’est pas un acte anodin. La première communauté subsaharienne du pays avec 4000 à 6000 ressortissants dénonce des actes et comportements «racistes» réguliers.
Afin de lui rendre hommage, des milliers de personnes ont marché environ 20 kilomètres entre l’hôpital de La Marsa, dans la banlieue nord de la ville, où il a perdu la vie et l’ambassade de Côte d’Ivoire, lundi 24 décembre.
Lefigaro