CONTRIBUTION
Dans un peu moins de cent (100) jours, notre pays va boucler cinquante- huit (58) ans d’indépendance. Malgré des slogans le plus souvent creux et trompeurs, des affiches de propagande géantes qui envahissent pratiquement toutes les rues de Dakar et principalement celle qui conduit chez le président-politicien à Mermoz, malgré des réalisations – il en existe – dont la pertinence est loin d’être prouvée, bien plus de prestige que de développement et fortement surfacturées, le Sénégal n’arrive pas encore à décrocher de la liste des vingt-cinq pays les plus pauvres et les plus endettés du monde. Rien d’étonnant à ce que nous en soyons encore à cette situation peu enviable : depuis 1960 et, en particulier, depuis le 1er avril 2000, nos cochets conduisent mal, très mal, pratiquement de la même manière. Si nous tenons vraiment à mettre notre pays à l’endroit, nous devons changer de monture. Nous devons enfourcher un tout nouveau cheval, qui change carrément de direction, celle qui nous conduise enfin aux ruptures profondes, auxquelles nous aspirons depuis 1960. Cette monture ne devrait être, de mon humble point de vue, ni Karim Wade (le fils de son père), ni son «ex-frère» Macky Sall.
Oui, nous devons inventer un autre Sénégal, mais pas avec «l’exilé» de Doha, dont le père tient à nous imposer la candidature ou le chaos. Il convient quand même de toujours rappeler – puisque nous oublions très vite dans ce pays – qui est le père de ce «candidat du peuple». La réponse à cette question suffit à se faire une religion de l’ancien «ministre du ciel et de la terre» et de sa candidature si, par extraordinaire, elle était validée. La longue gouvernance de son père a concentré les plaies les plus béantes et les plus puantes de la mal gouvernance. Le 1er avril 2000, il jurait solennellement «devant Dieu et devant la Nation (… ) d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois (…)». Or, de cette date au 25 mars 2012, il a passé le plus clair de sa gouvernance à les violer. J’en entends déjà qui répètent à l’envi cette rengaine : «Il n’a que haine pour le président Wade». Pour une première réponse, je les invite à lire ces mots de l’écrivain français Alfred de Vigny : «On ne doit avoir ni amour ni haine pour les hommes qui gouvernent. On ne leur doit que les sentiments qu’on a pour son cochet : il conduit bien ou il conduit mal. Voilà tout.» Pour une seconde, je leur rappellerai quelques crimes irréfutables, parmi de nombreux autres du vieux président prédateur, en m’appuyant sur des rapports officiels, notamment ceux de l’Inspection générale d’Etat (Ige) et de la Cour des comptes.
Nous Sénégalais, ne sommes pas de gros lecteurs. En outre, les rapports des deux organes de contrôle ne sont pas accessibles au plus grand nombre. C’est pourquoi on entend souvent affirmer que Karim Wade n’a jamais fait l’objet de contrôle et qu’il «est blanc comme neige». En attendant de revenir sur le fils, je vais mettre en évidence les lourdes fautes du père, en m’appuyant sur ce que les contrôleurs de l’Ige appellent «les cas illustratifs de mal gouvernance». Son Rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes de juin 2015 (comme au moins deux autres) m’en donne l’opportunité. Parmi les innombrables cas illustratifs de mal gouvernance, je retiens ceux constatés par les contrôleurs de l’Ige lors de l’inspection du Projet Coeur de ville de Kaolack (Cvk) tombé dans l’oubli. Le maître d’ouvrage de ce gros chantier était le Projet de construction d’Immeubles administratifs et de réhabilitation du patrimoine bâti de l’Etat (Pcrpe) domicilié, depuis le règne des socialistes, au coeur de la présidence de la République (1). Le candidat Wade s’était engagé, une fois élu, à le dissoudre carrément. Il n’en fit rien. Non seulement il le maintiendra, avec son directeur Salif Bâ (que la terre de Touba lui soit légère), mais il l’érigera, avec plus de pouvoir «corruptogène », en Agence du programme de construction d’immeubles administratifs et de réhabilitation du Patrimoine bâti de l’Etat, par décret n° 2004-193 du 17 février 2004. L’objet du Projet «clés en mains», selon le contrat, était de «doter la ville de Kaolack d’un centre-ville moderne conforme à son rôle de zone de polarisation des activités économiques, sociales et culturelles digne d’une capitale administrative régionale (…)». Il y avait, pour la réalisation du Projet, trois entités parties prenantes qui étaient :
– le très «corruptogène» Pcrpe, maître d’ouvrage,
– une certaine entreprise S.,
– le ministère de l’Habitat et de la Construction, bénéficiaire.
Conformément à l’article 7 du contrat, la réalisation du projet devait se faire en deux phases (se reporter à la page 108 du Rapport de l’Ige).
Les contrôleurs de l’Ige constatent déjà une faille dans la phase de conception «marquée par l’absence d’étude préalable devant permettre la maîtrise du coût du projet». Naturellement, «il en a résulté un dérapage budgétaire» qui faisait passer ainsi le montant initial de 12 497 100 000, à 17 230 807 324 francs Cfa. L’Ige constate aussi – ce n’est pas une surprise – que «la réalisation du projet a été conclue par entente directe », ce qui a entraîné de nombreuses violations aussi bien du Code des obligations de l’administration (Coa) que du Code des marchés publics (Cmp) alors en vigueur (page 109). Un avenant a aussi retenu l’attention des contrôleurs de l’Ige, un avenant de 4 733 707 324 francs qui a notablement renchéri la réalisation du projet en portant son coût à 17 230 807 324 francs Cfa, «sans programmation budgétaire». Les travaux avancés pour justifier cet avenant étaient non justifiés. Ils n’existaient pratiquement pas. Les contrôleurs ont aussi constaté, qu’au contraire du «contrat de maîtrise d’ouvrage clés en mains» au terme duquel l’entreprise S. devait préfinancer les travaux conformément à ses engagements, «ils (ont) été entièrement pris en charge par l’Etat». Or, «l’absence de recours à un appel d’offres a été exclusivement motivée par cet engagement de préfinancement des travaux», comme le stipulait clairement le contrat.
Selon l’Ige, ce non-respect des termes du contrat «a conduit à de nombreuses violations dont les conséquences ont été déplorables pour les finances publiques», ces violations se caractérisant notamment par : – le non-respect des règles d’engagement et d’exécution de la dépense publique, entraînant des dépenses d’un montant de 1 516 258 444 francs Cfa, exécutées sans aucune pièce justificative ; – le recours non justifié à un décret d’avance d’un montant de 3 000 000 000 de francs détourné de son objet initial ; – le contrôle technique des chantiers assuré par un bureau de contrôle lié contractuellement au maître d’oeuvre, plutôt qu’au maître d’ouvrage, avec pour conséquence une situation de conflits d’intérêts préjudiciable à l’exécution convenable des infrastructures du Projet ; – l’estimation erronée des travaux exécutés – et pour cause – avant la rupture du contrat et matérialisée par un protocole d’accord de résiliation, les travaux étant forfaitairement évalués à 80 %, taux correspondant, en réalité, au montant des décaissements effectifs ; – la conclusion avec un opérateur privé, suite à la résiliation du marché initial, d’un contrat type de Construction- exploitation-transfert (Cet), sans mise en concurrence (encore) ; – l’ouverture d’une procédure de liquidation du Pcrpe, alors que le projet «était en cours de réalisation, provoquant ainsi une opacité dans la traçabilité des fonds». Pour que ce texte ne soit pas trop long et pour en faciliter la lecture, je le conclus provisoirement ici. J’y reviendrai dans un second jet – si la presse me le permet – pour passer en revue le «gaspillage de ressources publiques » que le rapport de l’Ige a mis en évidence et clairement expliqué.
Le vieux président-politicien n’ignorait rien de ce gaspillage qu’il a carrément couvert et encouragé. En outre, le rapport de juin 2015 qui fait état de très nombreuses forfaitures, gît sous le coude du président-politicien Jr, comme des dizaines d’autres.
Mody NIANG