Il est difficile de comprendre les relations entre le pouvoir et les organisations de la société civile au Sénégal. Tellement les relations qui les lient changent au gré des intérêts de ceux qui sont au pouvoir.
En effet, en période de galère, de persécution, de chasse aux sorcières ou frappés par les rigueurs de la pratique d’opposant on fait le pied de grue aux portes des organisations de la société civile et autres défenseurs des droits de l’Homme pour un soutien. On trouve tout cela normal. Mais une fois au pouvoir, les rapports évoluent négativement. Le discours aussi et les convictions aussi. Tout ce qui était normal devient anormal. Les anciens «frères d’armes» deviennent subitement des ennemis. L’actualité brûlante au Sénégal est là pour le confirmer.
Ceux qui ont suivi les pas de l’opposant Macky Sall de 2008 à 2012 sont tentés de sourire en suivant ses passes d’armes avec ses anciens amis de la société civile devenus selon lui, des «politiciens encagoulés». Au point de chercher à asphyxier financièrement certains et à interdire d’autres de continuer à exercer leurs activités sur le territoire national. Le mouvement Y en a marre qui est devenu aujourd’hui la bête à abattre était pourtant l’un des tout premiers grands soutiens du candidat Macky Sall. A l’époque, Fadel Barro, Thiat, Kilifeu et Cie étaient, aux yeux de l’opposant Macky Sall, des jeunes conscients, patriotes et engagés. «J’ai rencontré une jeunesse très consciente engagée, patriotique, une jeunesse citoyenne qui m’a réaffirmé les principes pour lesquelles le mouvement Y en a marre a été créé ici, dans cette maison, au mois de janvier 2011», disait le candidat Macky Sall qualifié au second tour, au sortir d’une rencontre avec ces jeunes en mars 2002 à l’entre-deux-tours. «Cet esprit Y en a marre qui peut heurter certains, en réalité, est un esprit extrêmement positif pour l’approfondissement de la démocratie et le développement de la citoyenneté dans notre pays. Fadel Barro et ses amis ont montré leur choix irrévocable de poursuivre le combat qui a été entamé depuis plusieurs mois à travers ce second tour de l’élection présidentielle. Ils ont dans ce cadre décidé, à travers l’opération doggali (En finir, Ndlr), de poser le dernier jalon et donc de soutenir ma candidature pour une victoire du camp du peuple au soir du 18 mars», ajoutait le leader de l’Apr. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le mouvement Y en a marre est devenu infréquentable pour ne pas dire dangereux pour la démocratie et la stabilité du régime en place.
D’autres organisations de la société civile comme Amnesty international sont aussi devenues infréquentables. «Amnesty international gagnerait à voir le statut de ces représentants chez nous. Je respecte Amnesty international tout comme toutes les Ong qui luttent quotidiennement et vaillamment pour les droits de l’homme. Mais lorsque les représentants de ces organisations marchent avec l’opposition, lorsqu’il s’agit d’un référendum, vont voter dans le camp de l’opposition contre le pouvoir, ces avis n’ont aucun intérêt à mes yeux. Absolument, elles sont politisées. Elles gagneraient à quitter ces organisations pour rentrer dans l’opposition et on est à l’aise. Mais quelqu’un qui manifeste avec l’opposition, ne peut pas me donner un avis de société civile», a martelé le Président Sall sur le plateau de France 24 il y a quelques jours. Une volte face qui s’explique difficilement.
Quand Macky sollicitait l’intervention des services de l’Onu contre Wade
Pourtant en 2011, à la place de l’Obélisque, l’opposant Macky Sall acquiesçait en entendant Alioune Tine et autres membres de la société civile aujourd’hui accusés d’être des politiciens encagoulés, dire clairement au président sortant Me Wade, que leur objectif n’était pas de prendre le pouvoir mais de défendre le peuple. «Notre vocation n’est pas de conquérir le pouvoir, mais de veiller au respect de la Constitution dans le but de préserver la paix», expliquait Alioune Tine alors président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho). «Ce qui nous intéresse, c’est la vie de la nation et des populations. Nous sommes là pour elles, pas pour prendre la présidence de la République», renchérissait Mouhamadou Mbodj du Forum civil.
Mieux, les tenants du pouvoir actuel qui font fi des décisions et autres observations ou recommandations d’organisations comme le Conseil des droits de l’Homme de l’Onu dans l’affaire Karim Wade ont à un moment donné sollicité leurs interventions. Ce fut le cas quand l’opposant Macky Sall adressait une lettre au Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme en début février 2011pour «arrêter les dérives» de Wade. «Nous venons par la présente lettre porter à votre attention les violations flagrantes des droits fondamentaux des Sénégalais. Les 30 et 31 janvier derniers, cinq personnes ont trouvé la mort et des dizaines d’autres ont été blessés par les forces de sécurité à Podor et à Dakar lors de manifestations pacifiques contre la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature illégitime d’Aboulaye Wade», disait Macky Sall à Mme Navi Pillay. «La violence d’Etat n’a qu’un seul but : Museler le peuple et en particulier la jeunesse face à la volonté du Président sortant de briguer illégalement un troisième mandat. En votre qualité de Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, nous vous demandons d’interpeller dans les meilleurs délais l’Etat du Sénégal pour ses violations du droit à la vie ainsi que du droit inaliénable de tout peuple à s’exprimer librement et à manifester pacifiquement pour le respect de la Constitution et de la démocratie», ajoutait-il. Pourtant, sept ans après, c’est exactement ce que demandent aujourd’hui, l’opposition sénégalaise et les membres de la société civile. Autre temps, autres mœurs.
Avant Macky Sall, son prédécesseur avait tenté le même coup en accusant Alioune Tine et consorts d’être des politiciens encagoulés. Au point de brandir la menace d’exclure la Raddho des organisations qui devraient assurer l’observation du scrutin présidentiel de 2012. «La Raddho mène un combat contre le pouvoir d’un côté et de l’autre dit : ‘Je veux être observateur’, c’est inacceptable», disait Serigne Mbacké Ndiaye, porte-parole de Abdoulaye Wade, aujourd’hui dans la mouvance présidentielle. Il ajoutait : «Il est hors de question que la Raddho soit observateur. (…) Il faut que les règles du jeu soient respectées et il faut des gens neutres pour assurer la supervision du scrutin». La suite, on la connait. «Ils changent de camp, mais la Vérité hélas, reste toujours la Vérité…Elle est comme l’eau, incolore et inodore. Elle appartient toujours à elle-même. Elle est têtue, déterminée et constante. Elle ne change pas et n’appartient à personne. Elle traverse toujours le temps et transcende les contingences, les clivages et les hommes. Elle, c’est la Vérité d’hier, qui est plus que Vérité aujourd’hui. Ce qui était faux hier, l’est plus qu’aujourd’hui. Qu’importe les acteurs et les auteurs, les coupables et les victimes», rappelle Abdourahmane Sow coordonnateur de la Cos/M23.
Georges Nesta DIOP