Membre de la Cellule de communication du Dahira Moustarchidine wal Moustarchidati, Makhary Mbaye revient, dans cet entretien, sur les différentes péripéties qui ont jalonné l’évolution du mouvement porté sur les fonts baptismaux en 1978, par Serigne Moustapha Sy, mais qui est devenu, entretemps, une force politique.
Pouvez-vous nous faire l’historique du mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati ?
Le mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati est sorti du giron de la confrérie tidiane. C’est un mouvement qui a pris naissance dans la cour du khalife général Seydi Aboubacar Sy, dans les années 70. Vous savez, les années 70 marquent un tournant décisif dans l’histoire politique et sociale du Sénégal et même du monde. On vient de sortir de mai 68 qui a été une période de désenchantement du monde, une période de révolte juvénile à travers le Sénégal comme à travers le monde. On se rappelle les évènements en Chine et au Kenya. Donc, sur le plan social, c’était une période de fortes tensions, marquée par la grève des syndicats qui a fini par créer un embrasement total. Vous vous rappelez la grève des étudiants en mai 68. Sur le plan politique aussi, il y avait une remise en cause des systèmes politiques posés après les indépendances. Malgré les politiques d’ajustement structurel, on n’est pas parvenu à sortir la tête hors de l’eau. Sur le plan économique également, il y avait une crise générale et généralisée. Il y a eu aussi, en 1979, la crise iranienne qui est un tournant dans l’histoire des mouvements religieux. C’est dans ce contexte de troubles qu’est né le mouvement.
Au-delà du contexte, y a-t-il un prétexte ou un fait marquant ayant été à l’origine du lancement de ce mouvement ?
C’est en 1978 que Serigne Moustapha Sy, lors d’une conférence religieuse présidée par son père Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy à Keur Dieumb Ndiaye, qui fut un lieu de retraite du guide spirituel des Moustarchides et où il retrouvait souvent ses disciples comme El Hadj Ndiassé Mbaye, El Hadj Mbaye Dondé Mbaye et toute la famille Mbaye. Lors de cette conférence, Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy a lancé une invitation à la jeunesse sénégalaise en disant que, de 68 à 78, c’est une décennie qui a été dévolue à la jeunesse et dédiée à la révolte. Il dit alors que l’occasion est donnée à la jeunesse sénégalaise pour rattraper les temps de révolte. Après 10 ans de révolte, il doit s’ensuivre 10 ans de travail et d’action. C’est ainsi que Serigne Moustapha Sy a pris la balle au rebond pour lancer le mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati. De 1978 à 1985, il a réussi à implanter le mouvement sur tout le territoire national. On se rappelle la première ‘’ziara’’ de Tamkharit (Achoura) en 1985. Après avoir implanté le mouvement sur tout le territoire national, rendez-vous était donné à Tivaouane pour marquer ce qu’on appelle le premier jour de l’an où il y a eu un défilé de toutes les coordinations régionales du Dahira Moustarchidine wal Moustarchidati.
Au-delà de la dimension religieuse, est-ce que le mouvement a un aspect contestataire ?
C’est un mouvement multidimensionnel. On peut définir le mouvement Moustarchidine wal Moustarchidati comme une réalité mystique. Le mot même ‘’Moustarchidine’’ est tiré du vocable ‘’Ruchd’’. A travers le Saint Coran, le Seigneur nous dit : ‘’Auparavant, c’est nous qui avons donné la droiture à Seydina Ibrahim, mais nous savions qu’il le méritait.’’ Ce mot ‘’Ruchd’’ est tiré du Coran pour signifier la droiture. Donc, le Moustarchide est celui qui est en perpétuelle quête de la droiture. Le mouvement est une voie sunnite, dans la mesure où tous les enseignements sont inspirés de la vie du Prophète Muhamed (Psl). On peut aussi définir le mouvement comme un organisme politique. Je fais allusion au Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) qui est l’aile politique du Dahira Moustarchidine wal Moustarchidati.
C’est un parti qui a été porté sur les fonts baptismaux en 1998, dans un contexte de crise, parce qu’il y avait le vent de l’alternance qui commençait à souffler sur le Sénégal. C’était à la veille de l’élection présidentielle de 2000. Dès sa création, le Pur a organisé son congrès à l’issue duquel Serigne Moustapha Sy a été porté à sa tête. Il avait même, à l’époque, déposé sa candidature, puis il l’a retirée sur ordre de son guide et père Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy. Actuellement, le Pur, qui a participé aux élections législatives de 2017 avec brio, est une force politique redoutable. C’est un parti qui a fait cavalier seul et qui a eu 3 députés face à des coalitions composées de dinosaures politiques comme Benno Bokk Yaakaar qui comptait plus d’une quarantaine de partis, la coalition gagnante/Watu Sénégal conduite par le Parti démocratique sénégalais qui regroupait plus d’une vingtaine de partis et la coalition Mankoo Taxawu Sénégal conduite par Khalifa Sall.
Le mouvement est aussi une voie sociale, étant donné que l’islam est une religion qui accorde beaucoup d’importance à la solidarité. C’est la raison pour laquelle, après les piliers de l’islam tels que la profession de foi et la prière, il y a la zakat qui est le troisième pilier de l’islam. C’est pourquoi les Moustarchidines accordent une place privilégiée à la solidarité. C’est ce qui fait du mouvement une force sociale.
Quelle est, aujourd’hui, la vraie force politique du ‘’dahira’’ et de son guide moral ?
La chance du Pur, c’est qu’il a un substrat qui est ancré sur tout le territoire national comme international. Il y a des adeptes du ‘’dahira’’ dans toutes les régions du pays. C’est Serigne Cheikh qui disait que le musulman sénégalais n’est pas un simple musulman. Il est militant d’un parti, adepte d’un ‘’dahira’’, l’écolier d’un établissement, l’employé d’une usine, etc. Ce que l’islam lui recommande, c’est d’être un bon militant, un bon adepte, un bon élève et un bon ouvrier. L’islam, c’est donc le spirituel et le temporel. Le prophète Muhamed a incarné le spirituel et le temporel pendant la cité-Etat de Médine qu’il dirigeait lui-même. C’est cette force religieuse qui se transforme en force politique pendant les échéances électorales. Cela ne veut pas dire que c’est un parti constitué uniquement de Moustarchidines, non. Au sortir des législatives de 2017, on s’est vite attelé à une vaste campagne de massification et, partout, on a enregistré une adhésion massive des citoyens sénégalais qui sont convaincus par le programme du Pur et les résultats qu’il a obtenus pendant les élections législatives.
Comment comptez-vous engager la prochaine présidentielle ?
Je ne voudrais pas qu’on aille trop vite en besogne. La présidentielle de 2019 est une élection à plusieurs enjeux que le Pur prépare activement. Il y a le président du parti qui dégage les orientations. On est à l’écoute de Serigne Moustapha Sy. Le Bureau politique conduit par le Pr. Issa Sall est également à l’écoute de son président. Actuellement, on est en période de Gamou, célébrons-le et après cet évènement, si vous nous trouvez à la permanence du parti, on va entrer dans les détails.
Quelles sont les différentes péripéties qui ont jalonné l’évolution du mouvement ?
C’est effectivement un mouvement qui a traversé différentes étapes. Comme je l’ai dit plus haut, de 1978 à 1985, il y a eu l’implantation du mouvement sur le territoire national. En 1986, vous vous rappelez le colloque international qui a été organisé sous la présidence effective d’Abdou Diouf, qui fut le président de la République du Sénégal à l’époque. Colloque auquel ont participé des délégations étrangères des jeunesses venues des coins cardinaux. Il y a eu une année dans l’évolution du mouvement consacrée exclusivement à la jeunesse, une année à la femme avec différentes conférences sur le territoire national pour parler de la dimension féminine de l’islam.
C’est une religion qui a eu des symboles avec Seydina Aliou qui symbolisait la jeunesse – ce sont les jeunes qui ont les premiers embrassé l’islam pour appuyer le prophète et le soutenir dans sa mission. Ensuite, il y a eu les femmes représentées par Seydatouna Khadija qui fut une opératrice économique et qui a investi tous ses biens dans la cause musulmane. Il y a aussi une année consacrée à l’enfance. 1989 a été placée sous le signe de l’éducation des enfants. 1990 est une année consacrée au troisième âge. C’est donc toutes les couches sociales qui ont été prises en compte dans le programme d’action de Serigne Moustapha Sy. Maintenant, en 1994, ce fut la traversée du désert.
Justement, quelle est la vérité des faits dans cette affaire où il y a eu mort de six policiers ?
Le mouvement a été considéré comme une force redoutable, parce qu’il a participé à des élections avec des résultats probants. Ce qui fait qu’il constituait la cible, la bête à abattre du régime socialiste. Les évènements du 16 février 1994 n’étaient pas pourtant provoqués par le mouvement. A l’époque, c’étaient les ténors de l’opposition comme les Me Abdoulaye Wade, Landing Savané et autres qui ont organisé un meeting qui a été autorisé et auquel a pris part le mouvement Moustarchidine. C’est la Coordination des forces démocratiques dont les Moustarchides étaient membres, qui a organisé ce meeting. A la fin de la rencontre, Me Abdoulaye Wade a laissé entendre dans sa communication, comme pour répondre à la demande de la masse : ‘’Vous voulez marcher ? Marchez !’’ La marche sur les grandes avenues a dégénéré, il y a eu des évènements tragiques. Six policiers ont été tués, des centaines de Moustarchides ont été arrêtés, mais à la fin, ils ont tous eu des non-lieux. Ils ont été incarcérés, il y a même eu quelqu’un qui a succombé à la torture dans les locaux de la police, à savoir M. Samb de Niary Tally. Mais comme dit l’adage, un coup de massue, soit affaibli son destinataire ou le renforce davantage.
En 1996, on venait de sortir de ces évènements, mais il y a eu les sorties religieuses de Serigne Cheikh Ahmet Tidiane Sy, le cycle de conférences sur l’unicité de Dieu a permis au mouvement de reprendre du poil de la bête.
Est-ce que le mouvement a toujours le même engouement qu’avant ?
Si vous venez demain (Ndlr : aujourd’hui) au champ des courses, vous aurez la réponse à votre question. Le mouvement a toujours la même capacité de mobilisation qu’avant. En 1998, Serigne Cheikh est revenu à Tivaouane après des années d’absence. Parce que c’est en 1984 qu’il n’était plus revenu à Tivaouane pour célébrer le Mawloud. C’est en 1998 qu’il revient sur l’hippodrome pour innover la célébration du Mawloud dans cet espace mythique et mystique. Les Moustarchidines sont une force de réflexion, mais aussi une force d’organisation.
C’est une ligue scientifique et culturelle. Là, je veux faire allusion aux universités du ramadan qui ont fini par jeter des passerelles entre l’école de Seydina Muhamed et l’école occidentale. Pendant 20 ans, le mouvement a organisé des universités scientifiques qui ont fini par être une institution, à l’instar des Durous al hassanya organisés par l’Etat marocain. Il y a même un président de la République qui disait, quand il recevait des oulémas du Sénégal : pourquoi vous ne pouvez pas prendre l’exemple des Moustarchidines, en organisant une initiative telle que l’université du ramadan ? C’est le président Macky Sall qui le disait à des oulémas. C’est pour dire que c’est un mouvement qui a marqué de son empreinte la société sénégalaise.
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