CONTRIBUTION
On se souvient de la démission-cinéma du ministre Mame Mbaye Niang intervenu le 10 juin 2018. C’est au Premier ministre qu’il a remis, nuitamment semble-t-il, sa démission trompe-l’œil, démission «pour convenance personnelle». En réalité, ce serait un rapport de l’Inspection générale des finances (Igf) du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan qui l’impliquait, avançait-on çà et là, dans un scandale financier intervenu au Programme de développement des domaines agricoles communautaires (Prodac). Le rapport révélait, semble-t-il, de fortes surfacturations qui impliquaient l’entreprise israélienne Green 2000, avec des complicités. Et l’Igf de recommander alors «l’ouverture d’une information judiciaire pour des ‘’faits de délinquance’’» contre le coordonnateur du Prodac au moment des faits et son prédécesseur. M. Mame Mbaye Niang, alors ministre de la Jeunesse et de la Construction citoyenne, assurait la tutelle du Prodac. Le ministre Niang n’avait pas seulement «démissionné», il avait aussi annoncé une plainte contre deux sites, pour «diffamation et diffusion de fausses nouvelles». De plainte, on n’en entend plus parler depuis lors (1).
Le plaignant ne s’y était pas trompé : il savait que, dans notre pays, les plus gros scandales font l’objet de commentaires fugaces et superficiels, avant d’être définitivement enterrés. En «démissionnant» aussi, il savait parfaitement que cette démission trompe-l’œil n’allait durer que le temps d’une rose. Il était sûr en particulier, qu’avec notre président-politicien qui juge les gens plus en fonction de leurs performances politiques et politiciennes que sur celles qu’ils réussissent au niveau des responsabilités administratives qu’ils ont en charge, il se tirerait d’affaire sans encombre. Sa démission-spectacle ne pouvait donc durer que le temps d’une rose et il a retrouvé le plus normalement du monde sa place dans le gouvernement. Pourtant, selon le rapport supposé de l’Igf, le scandale du Prodac porte sur 29 milliards de francs Cfa. Vrai ou faux ? Je n’en sais rien. Ce dont je suis convaincu, par contre, c’est que si nous avions à la tête de notre pays un homme d’Etat patriote, vertueux, respectueux des deniers publics, de ses compatriotes et de sa conscience, ce supposé scandale du Prodac serait rapidement élucidé et les mesures idoines prises. Il suffirait de rendre public le rapport de l’Igf et, s’il n’était pas suffisamment convaincant, de donner pour mission à l’Inspection générale d’Etat (Ige) de tirer l’affaire définitivement au clair. Rien de tout cela n’a été fait, et ne sera sûrement jamais fait, en tout cas tant que le président-politicien préside aux destinées de notre pays.
Le ministre Mame Mbaye Niang, alors sûr de toute impunité éventuelle, sort enfin du bois et ne perd pas de temps. Pour gagner plus de galons auprès du président-politicien, il organise, le samedi 3 novembre 2018 à Ngor, une cérémonie de lancement de la Plateforme Sénégal 2035 et profite de l’opportunité pour aborder imprudemment la question relative au contrat passé avec Petro-Tim. Faisant allusion à «ceux qui s’agitent sur les contrats pétroliers, ceux-là mêmes qui ont avoué avoir parlé avec Karim Wade et promis d’aller rendre visite à son père Abdoulaye Wade», il déclare : «Les gens qui ont écrit sur l’affaire Petrotim ont plagié vos articles de presse (à eux journalistes) pour faire un livre. Abdoulaye Wade et Karim Wade ont signé le contrat de manière douteuse et celui qui exige toute clarification sur cette affaire se propose d’aller les voir au Qatar.» Et notre très compétent ministre d’ajouter, sûr de lui : «Il n’y a rien d’opaque dans ce contrat. Qu’ils arrêtent d’embrouiller l’opinion. Ils n’ignorent rien que nous ne sachions déjà, car c’est eux qui ont signé.»
«Senegaal daal moo néex ! Lu waay néex wax te dara du ko ca fekk.» Ce ministre ne manque vraiment pas de toupet. Il a en tout cas tout faux, et sur toute la ligne. D’abord, il accuse Sonko (dont il se garde de citer le nom) de plagiat : il ne se serait servi que d’articles de presse pour écrire son livre. Mais, qu’attend-il pour sauter sur l’occasion et le confondre, le ridiculiser en mettant sur la place publique les articles plagiés ? Evidemment, il se gardera bien de s’y aventurer, car il n’a certainement pas lu le livre. Et puis, à supposer même qu’il l’ait lu, il aurait besoin de beaucoup de place car, le livre fait quand même 233 pages, 233 pages de plagiat.
Notre ministre se goure encore en affirmant que «Abdoulaye Wade et Karim Wade ont signé le contrat de manière douteuse (…)». Vous avez encore tout faux, Monsieur le Ministre : les deux ne signent pas le contrat ; c’est Karim, en sa qualité de ministre de l’Energie qui signe le contrat et le président Abdoulaye Wade le valide par un décret, dont il a l’exclusivité de la signature avec, naturellement, le contreseing de son Premier ministre. Le proche du couple présidentiel ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il veut gagner le maximum de galons. Ainsi, affirme-t-il encore : «Celui qui exige toute clarification sur cette affaire (douteuse) se propose d’aller les voir au Qatar». Aller jusqu’au Qatar pour avoir «toute clarification sur cette affaire (douteuse)» ! En a-t-on vraiment besoin ?
Certes, Wade-père et Wade-fils ont entamé la procédure effectivement douteuse, mais ils ne l’ont pas achevée. C’est plutôt, désormais, au président-politicien qu’il faut demander des clarifications car, il a trouvé sur place le dossier douteux : le contrat et un projet de décret. Projet car, même si le président Wade et son Premier ministre l’avaient signé, il n’avait encore aucune valeur. Il n’avait pas encore d’existence juridique et tout contrat qu’il approuvait était nul et de nuls effets. Il devait être envoyé au Secrétariat général du gouvernement où il serait numéroté, daté, enregistré, puis publié au Journal officiel. C’est à ce moment-là seulement qu’il pouvait trouver place dans l’ordonnancement juridique et approuver le fameux contrat en faveur de Petro-Tim.
Le président-politicien savait parfaitement que ce dossier en cours n’était pas conforme à la loi. C’est pourquoi il avait saisi – certainement pour la forme – l’Inspection générale d’Etat pour que celle-ci fît des investigations pour lui permettre d’en avoir le cœur net. En lui remettant le rapport, le Vérificateur général de l’Ige d’alors, Mme Nafy Ngom Keïta, ne manqua pas d’attirer son attention sur toutes les suspicions et incertitudes qui entouraient ce dossier qu’il fallait classer purement et simplement. Mais, c’était sans compter avec les intentions peu catholiques du président-politicien qui s’en était fait sa propre religion. Son frère étant partie prenante, il signa, à l’insu de l’Ige, un décret pour approuver le contrat douteux. Un décret avec un exposé des motifs basé sur du faux. Petro-Tim, qui a été créé deux jours après la signature du fameux contrat par le ministre Karim Wade, ne remplissait aucune des conditions liées aux capacités techniques et financières et à l’expérience qu’exigeait le Code minier. Donc, en attendant demain (en 2019 ou en 2024) pour faire la lumière sur cette affaire nébuleuse, c’est au président-politicien qu’il faut demander des clarifications qu’il ne donnera sûrement pas, tant qu’il sera aux affaires.
Nous n’en avons pas fini avec notre ministre qui poursuit ses certitudes et déclare : «Il n’y a rien d’opaque dans ce contrat. Qu’ils arrêtent d’embrouiller l’opinion. Ils n’ignorent rien que nous ne sachions déjà, car c’est eux qui ont signé.» D’abord, j’ai un problème de compréhension ici. Probablement, c’est le journaliste qui a rapporté la déclaration qui s’est trompé. Au lieu de «Ils n’ignorent rien», ce devrait être, je crois : «Ils ne savent rien que nous ne sachions déjà». Voilà des gens qui croient tout savoir de tout et pensent, à l’image de leur mentor, que les autres ne savent rien. En effet, on l’entend souvent lancer, en direction de l’opposition, ces mots : «Que ceux qui n’en savent rien aillent s’informer !» Croient-ils vraiment, lui et les siens qui le répètent à longueur de journée, que ce sont eux seulement qui savent tout et que les autres ne savent rien ?
N’est-ce pas l’omniscient ministre Mame Mbaye Niang, encore lui, qui va clore le débat en ces termes tranchants : «Le président Macky Sall a déjà résolu depuis longtemps la question de la gestion du pétrole et du gaz ; tout le reste n’est que pure invention que ce soit sur les déclarations sur la fiscalité ou sur la signature des contrats.» Et voilà la question définitivement réglée ! Tout ce que diront désormais les Thierno Alassane Sall, Boubacar Camara, Ousmane Sonko, Mamadou Lamine Diallo et tous nos nombreux autres compatriotes dont la compétence dans bien des domaines ne fait point l’ombre d’un doute, ne sera que pure invention. Comment faire une telle déclaration dans ce Sénégal de 2018 ? Waaw ki moom, da fa xamul, walla da fa ñame Yalla, walla nguur gèe naan yuur gi ? Quand même !
Nos ressources naturelles n’appartiennent pas au président-politicien, ni à sa famille ni à sa coalition ! Il ne peut pas les gérer comme il gère ses biens propres. Oublie-t-il déjà son discours, le 7 mars 2016 au Grand Théâtre, quand il y rencontrait sa coalition pour la préparation du référendum de la même année ? C’est donc désormais déjà derrière lui, tout ce qu’il disait sur les droits des citoyens sénégalais, notamment leurs droits sur la gestion de nos ressources naturelles qui leur appartiennent ? A-t-il déjà oublié qu’il a consigné ces droits dans la Constitution ? Je renvoie le lecteur à ce discours du 16 mars 2016, rappelé par le citoyen-patriote Papa Allé Niang, dans sa chronique du 7 mars 2018. Est-ce vraiment le président-politicien qui a prononcé ce discours avec la passion qu’il laissait entrevoir ?
En tous les cas, nous ne laisserons jamais cet homme, sa famille, son parti-Etat et son clan hétérogène gérer nos ressources naturelles (or, fer, pétrole, zircon, gaz, etc.) à leur convenance. Nous n’accepterons jamais de vivre les malheureux exemples de l’Angola, du Congo Brazzaville, du Gabon, de la Guinée équatoriale, du Nigeria, etc. Cet homme qui préside aux destinées de notre pays, est incapable de transparence. Les structures trompe-l’œil qu’il met en place, n’y changent rien. En particulier, nous restons réservés, très réservés par rapport à l’efficacité de ce Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (Cos-Pétrogaz). Sa composition n’est pas de nature à atteindre l’objectif qui lui est assigné : gérer sainement et de façon durable nos ressources naturelles. Il est composé, en effet, du Premier ministre, du ministre en charge de l’Energie, du ministre de l’Industrie et des Mines, de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie), de représentants d’institutions de la République, ainsi que d’autres structures dans le secteur de l’énergie.
Ce Cos-Pétrogaz a pour Secrétaire permanent M. Ousmane Ndiaye, ingénieur des Mines. Il a pour adjoint M. Mamadou Fall Kane, économiste. M. Ndiaye est Conseiller spécial à la présidence de la République. Il a occupé d’importantes fonctions, notamment celle de Directeur général de Petrosen. C’est lui-même qui aurait recruté Macky Sall pour son premier emploi. M. Sall en deviendra plus tard le directeur général. M. Kane est aussi Conseiller spécial à la présidence de la République. Ce Cos-Pétrogaz est donc ce qu’on pourrait appeler un «nous dans nous». Tous les membres sont pratiquement des obligés du président-politicien. C’est pourquoi cette structure fait l’objet de critiques régulières, au point que le président-politicien a annoncé, sûrement le cœur gros et peut-être sans conviction, qu’elle sera ouverte à la société civile. Il a annoncé la nouvelle à Diamniadio où se tenait «Le dialogue national sur l’exploitation des ressources pétrolières et gazières». Il y a ainsi déclaré : «J’ai (reçu) la demande de la société civile. Elle n’était pas membre du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (Cos-Pétrogaz). Je suis tout à fait ouvert à ce qu’on ouvre le Cos-Pétrogaz à la société civile.» Il ajoutera que pour la transparence, il n’a aucun problème d’y associer les forces vives de la Nation. Que ne l’avait-il pas fait dès le début de la création de la structure ?
Au moment où j’allais conclure ce texte, mon attention a été attirée par la revue de presse d’une radio qui annonçait notamment la «Une» du quotidien Source A, que j’avais à côté avec d’autres journaux que je n’avais pas encore commencé de lire. La «Une» faisait état, bien mise en évidence, d’une déclaration de notre très sérieux ministre, déclaration que le quotidien qualifie à juste raison de «lourde charge». C’est au cours d’une conférence de presse tenue hier, qu’il accusa «les pourfendeurs de Macky Sall dans la gestion de nos ressources naturelles», d’être «sponsorisés par de puissantes compagnies pétrolières aux élections présidentielles (cherchant) à déstabiliser ce pays par un débat stérile». Avant de revenir sur sa déclaration, je fais remarquer amicalement à notre très compétent et très sérieux ministre, qu’il a dû se tromper : nous nous acheminons vers une élection présidentielle, et une seule. Il me permettra aussi de lui demander, qu’à force d’organiser des conférences de presse et des cérémonies de lancement de slogans pour défendre son mentor, s’il lui restera suffisamment de temps pour s’occuper de son ministère.
Pour le reste, en se faisant imprudemment «sponsorisés par de puissantes compagnies pétrolières» et en cherchant à «déstabiliser ce pays», les opposants leur offrent du pain béni : si ces graves accusations sont avérées, le président-politicien n’a qu’à envoyer les plus dangereux pour sa réélection à Rebeuss, rejoindre Khalifa Ababacar Sall !
Donc, depuis qu’il est sorti du bois après sa démission-cinéma, le poulain du couple présidentiel tient à l’assurer que la priorité des priorités pour lui, c’est d’assurer sa défense, au quotidien. Dans cette perspective, il lui arrive de faire des déclarations qui en étonnent plus d’un, comme celle-ci : «Si un homme politique aspirant à la gestion de ce pays ne peut pas saluer les actes de transparence posés par le président de la République, il faut arriver à la conclusion qu’il est de mauvaise foi, ou qu’il est manipulé depuis l’extérieur par des forces occultes liées à la puissance des compagnies qui ont longtemps déstabilisé les pays africains ne se soumettant pas à leur diktat.»
Pour seul commentaire, je lui oppose ces engagements du président-politiciens, pris lors du message à la Nation, le 3 avril 2012 : «S’agissant de la gouvernance économique, je serai toujours guidé par le souci de transparence et de responsabilité dans la gestion vertueuse des affaires publiques. Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes publics de la Nation et d’éclairer l’opinion sur l’état des lieux. Je compte restituer aux organes de vérification et de contrôle de l’Etat la plénitude de leurs attributions. Dans le même sens (…), la lutte contre la corruption et la concussion me tient particulièrement à cœur. A tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protègerai personne. Je dis bien personne !» Nous sommes le 12 novembre 2018. Je laisse aux lecteurs le soin d’apprécier et de tirer leurs conclusions.
Je ne terminerai pas avec notre ministre, sans lui suggérer amicalement d’être plus modeste, plus humble. Quand, ministre du Tourisme du Sénégal, il ne connaît même pas le nombre de pays de notre sous-région qui composent l’Uemoa, il doit sérieusement envisager de descendre de son olympe et de cesser de distribuer trop facilement des leçons. Pour l’aider à s’y résoudre, je lui conseille, si ce n’est pas trop lui demander, de s’inspirer d’une réflexion du président Nicolas Sarkozy. Interrogé par Laurent Delahousse après la nomination d’un ministre par le président Hollande, Nicolas Sarkozy, son prédécesseur, répondit : «On ne s’invente pas ministre de la République. Un ministre, c’est un long processus.» Il était l’invité du Journal parlé de 20 heures de France 2 du 21 septembre 2014.
Mody NIANG
1 – La plainte annoncée de M. Mamour Diallo est sur le point de connaître le même sort, malgré les accusations graves qui pèsent sur ses épaules.