CONTRIBUTION
L’historien grec Thucydide a dit que «tout homme tend à aller jusqu’au bout de son pouvoir». Avec Macky Sall, la chose est vraiment bien pire : il va constamment et irrésistiblement au-delà de son pouvoir. Après avoir vassalisé tous les autres pouvoirs politiques, le voici à la conquête du spirituel : dans les foyers religieux, il ne se contente plus de la posture d’un homme d’État qui doit naturellement collaborer avec le pouvoir spirituel, il veut laisser ses empreintes politiciennes sur le pouvoir spirituel.
De la gouvernance à la politique, de la politique à la communication et de la communication à la comédie : voilà le résumé des sept longues années de Macky Sall au pouvoir. Les innombrables bourdes qui jalonnent le règne de Macky, traduisent une dégénérescence dans la trajectoire d’un homme qui avait tout pour rompre avec une tradition, mais qui s’est plutôt employé à la perpétuer et à la pervertir. La trame de fond de l’art politique, comme le suggère le mythe de Prométhée chez Platon (1), réside dans la pudeur et la justice. La pudeur est «la discrétion, la retenue qui empêche de dire ou de faire quelque chose qui peut blesser la modestie, la délicatesse» (2). La pudeur, c’est avant tout de la retenue, de la responsabilité, de la dignité ou «Ngor». Il n’y a nulle grandeur là où la pudeur est absente. Et là où la pudeur fait défaut, il n’y a pas de limite dans l’obscénité et dans la férocité : l’action et la parole triviales deviennent alors les normes (c’est la mort du fameux Jom). Un corps politique pourrait-il survivre en faisant siennes de telles normes ? Qu’arrive-t-il alors lorsque les dirigeants enlèvent toute forme de noblesse à leur action politique ? Ils deviennent d’habiles, mais de vils politiciens.
Quant à la justice, elle réside dans la vertu consistant à «reconnaître et à respecter les droits d’autrui en se conformant au principe d’équité» (3). Dans l’art politique, la justice est vitale, car c’est le sentiment de justice qui nous interdit de profiter de nos positions contingentes pour régler des problèmes personnels ; c’est également ce sentiment de justice qui nous interdit de refuser aux autres, seraient-ils nos pires adversaires, ce que la loi leur accorde comme droit. Qu’un homme d’Etat puisse gouverner des hommes sans être nanti de ces deux vertus est la pire malédiction qui puisse arriver à un peuple. Celui qui gouverne devrait chaque fois, devant sa conscience et devant Dieu, prendre l’engagement de faire preuve de pudeur et de justice dans ses actions.
Gouverner des hommes n’est, dès lors, pas une tâche facile, c’est même un sacerdoce : car on ne peut pas les gouverner sans réformes, or pour réformer les cités, on ne peut pas s’accommoder des tares contenues dans leurs mœurs. Macky Sall aurait posé un acte de gouvernance mémorable s’il avait, dès son accession au pouvoir, démissionné de la direction de son parti. Mais il est incapable de se mouvoir sur un terrain autre que celui de la politique : par la nomination et par sa justice politicienne, il pêche toute sorte de poissons pour garnir son parti devenu un aquarium politique où se bousculent de petits poissons sans saveur. Il avait pris l’engagement de faire cinq ans, non par souci de gouvernance démocratique, mais par pure démagogie : il voulait surfer sur l’élan de sympathie né de la chute de son prédécesseur.
Celui qui veut réellement gouverner un peuple, incarne des idées et de valeurs qu’il cherche à traduire en politique économique et institutionnelle. Celui qui, en revanche, fait de la politique incarne des rôles : il se met dans des habits qui ne sont pas les siens parce qu’il cherche à berner le peuple. Exploiter les tares d’un peuple pour asseoir ou perpétuer son régime, c’est confondre gouvernance et politique. Chercher à plaire au peuple par tous les moyens pour conserver le pouvoir transforme fatalement le dirigeant en démagogue.
Quand un gouvernement investit autant d’argent et de ressources humaines pour faire accepter au peuple une absurdité du genre «Macky Sall a fait mieux que tous les autres présidents», il est dans la communication. Et quand un président prétexte de problèmes techniques du train pour vendre son autoroute «Ila Touba», il sort du domaine de la communication pour entrer sans pudeur dans celui de la comédie politique. Le rapport que Macky tente d’instaurer entre lui et les citoyens sénégalais est du même type que celui que le comédien entretient avec son public : la séduction prend le dessus sur le sérieux, le spectacle sur la réalité.
Le comédien, comme tout artiste, a le don de focaliser l’attention de son public afin d’instiller dans les consciences le monde illusoire qu’il crée. C’est ce type de tartufferie que Thucydide dénonçait chez les politiciens de son époque qui avaient l’habileté de transformer les citoyens en spectateurs de la vie politique. L’illusion démocratique entretenue par les politiciens, sophistes à souhait, fait du citoyen un figurant : «Vous vous faites toujours spectateurs de paroles et auditeurs d’action. […] Bref, des gens dominés par le plaisir d’écouter, semblables à un public installé là pour des sophistes plutôt qu’à des citoyens qui délibèrent de leur cité» (4).
Par son Ter et son Ila–Touba, Macky aspire à faire de nous des auditeurs d’actions : certains voyageurs ont été abusés par la rapidité du voyage permise par l’autoroute, mais ils ignorent le montant de la dette et la durée d’amortissement. On ne discute plus alors de l’impact économique réel d’un tel investissement dans la vie quotidienne des citoyens de la localité et du pays. Avec un tel niveau de perversion démocratique, on gouverne désormais par la parole et on communique par des actes. Ecouter est un acte passif comme l’est du reste l’action de regarder un spectacle, il y a très peu de place ici pour la réflexion, pour la délibération effective qui fait l’essence du citoyen. Auditeur et spectateur : dans les deux postures, le citoyen participe certes, mais il n’est pas le centre de gravité de l’action gouvernementale, il est exactement comme un figurant dans un film.
Macky Sall est en train de faire au Sénégal ce que les successeurs de Périclès firent à Athènes : en cherchant le plaisir du peuple, ils finirent par en faire dépendre la conduite des affaires de la cité. Les citoyens devirent, par leur malice et leur démagogie, les spectateurs d’une comédie à ciel ouvert. Quand, par leur existence de tous les jours, les citoyens sont comme au théâtre, les leaders deviennent des acteurs, des comédiens qui miment le réel pour le cacher. Ils transfigurent l’inessentiel pour déloger l’essentiel des consciences. Ceux qui ont suivi Macky Sall à Touba balbutier et baragouiner les khassayides de Serigne Touba, comprendront aisément qu’il était en pleine scène de comédie, qu’il exécutait laborieusement un rôle dans le tragique et piteux espoir d’émerveiller et de happer son public : un électorat connu de tous.
Gouverner, c’est voir, vouloir et prévoir le meilleur pour son peuple, traduire en actes et en décisions les aspirations profondes de celui-ci. C’est tout le contraire que Macky Sall s’est employé à faire depuis son accession au pouvoir : dresser les Sénégalais les uns contre les autres, mobiliser les passions, théâtraliser et vassaliser (pour son propre prestige) les institutions comme la justice, le gouvernement et l’Assemblée nationale. Quémander un Ndigueul auprès d’un guide religieux relève non seulement d’un manque de grandeur, mais aussi d’une passion morbide pour le pouvoir. Insinuer que l’achèvement des projets de l’Etat à Touba est tributaire de la réélection du président sortant, c’est faire preuve d’une piètrerie sans précédent. L’urbanisation d’une ville, serait-elle la plus sainte au monde, ne saurait obéir à des exigences religieuses : c’est du devoir de l’Etat que de s’efforcer à améliorer la vie de ses citoyens et ce, quelle que soit leur localité. Touba ne saurait réclamer des faveurs en matière d’infrastructures : son statut de grande ville suffit à justifier les investissements que l’Etat a l’obligation d’y consentir.
Les Sénégalais ont passivement suivi Macky Sall dans sa décision de ressusciter ce monstre qu’est la Crei, parce qu’ils avaient besoin d’une reddition des comptes. Lui s’en est servi pour assouvir sa soif de pouvoir et écraser tous les potentiels récalcitrants : la preuve tous ceux qui avaient des dossiers «morts» à la Crei ont fini dans les rangs de l’Apr. Tout cela montre que la politique, telle qu’elle est pratiquée dans nos démocraties, est un ensemble de procédés, de stratagèmes, et parfois d’intrigues destinés à la conquête ou à la conservation du pouvoir sans vision ni noblesse.
La différence entre un président qui gouverne et celui qui fait de la politique est que, pour le premier, le pouvoir est un moyen alors que, pour le second, c’est une fin. Macky Sall ne gouverne pas : il fait de la politique. Son penchant pour l’ostensible et le spectacle montre qu’il aime la mise en scène (au plus fort de la crise de l’eau due à une panne de l’usine de Keur Massar, il ne trouva guère mieux que d’arborer la tenue militaire !). Son armée de journalistes et de communicants montre son penchant immodéré pour la scénarisation de toute l’activité de son gouvernement. Aussi, préfère-t-il les metteurs en scène et les affabulateurs aux véritables commis et serviteurs de l’Etat. Macky Sall n’a jamais gouverné ce pays !
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal
1 – PLATON. Protagoras.320.321c. (Traduction d’Emile Chambry).
2 – Dictionnaire Larousse
3 – Dictionnaire Encarta
4 – Soulignés par nous.