Outre les opposants politiques, le président sortant Macky Sall doit faire face à d’autres opposants non politiques. Il doit faire face à ses engagements forts qu’il n’a pas honorés : comme de réduire la durée de son mandat et de ne jamais favoriser son frère en le nommant par décret. Beaucoup de citoyens auront à l’esprit ces renonciations le jour du scrutin, le 24 février 2019.
Candidat à sa propre succession pour l’élection présidentielle de février 2019, le président de la République devra surmonter de nombreux obstacles pour se maintenir au pouvoir. Son principal adversaire est sans doute le non respect de ses deux contrats phares : celui de faire un mandat de cinq ans et celui de ne jamais nommer son frère. Entre les deux tours de la présidentielle et après son élection à la tête du pays, Macky Sall a promis, urbi et orbi, de réduire la durée de son mandat de 7 à 5 ans. Plus qu’une promesse de campagne électorale, c’était un engagement fort qui avait séduit bon nombre d’électeurs, mais qu’il n’a pas honoré, en se refugiant derrière le Conseil constitutionnel. Et cela, de nombreux citoyens qui lui avaient fait confiance, en se disant que pour la première fois un homme politique respectera sa parole, lui en veulent. Et le jour du vote, beaucoup s’en souviendront.
Autre engagement fort pris et non respecté : celui de ne jamais favoriser son frère en lui faisant bénéficier de sa signature. «Si mon frère a été amené à être cité dans des affaires de société privée, c’est parce que je lui avais justement indiqué très clairement, dès ma prise de fonction, qu’il ne bénéficierait jamais, de ma part, d’un décret de nomination, notamment en raison de l’histoire récente du Sénégal et parce que je ne voulais pas être accusé de népotisme», avait-il promis dans un entretien accordé en décembre 2016 au journal panafricain Jeune Afrique.
Mais en septembre 2017, oubliant certainement ce serment, il nomme son frère cadet Aliou Sall Directeur général de la très juteuse Caisse des dépôts et consignations (Cdc). Cette dernière qui réceptionne les dépôts et consignations des entreprises et des particuliers, pèserait, selon plusieurs sources, une centaine de milliards de francs Cfa. Une nomination décidée en Conseil des ministres, alors qu’Aliou Sall était accusé par l’opposition avec son ami l’homme d’affaires roumain, Franck Timis, d’avoir fait main basse sur une partie des énormes réserves pétrolières et gazières récemment découvertes au Sénégal. Cette décision de placer son frère à la tête de la Cdc a ulcéré de nombreux citoyens qui se remettaient à peine du règne de son prédécesseur Abdoulaye Wade qui avait fait de son fils Karim Wade un véritable chef du gouvernement bis, Souleymane Ndéné Ndiaye le Premier ministre officiel réduit à inaugurer les chrysanthèmes et à baptiser des pouliches. Les citoyens ont combattu la tentative de Wade d’imposer son fils à la tête du Sénégal.
Les Sénégalais risquent de ne pas être indulgents le moment venu
La matérialisation de ces engagements dépendait de la seule volonté politique du président Macky Sall. C’est pourquoi, les Sénégalais risquent de ne pas être indulgents le moment venu, contrairement au respect de sa promesse de réaliser l’autosuffisance alimentaire en riz. En effet, le gouvernement a annoncé, à plusieurs reprises, l’atteinte de l’autosuffisance en riz en fin 2017. Mais nous sommes en fin 2018 et le Sénégal continue toujours d’importer du riz. Les quantités importées n’ont pas baissées. Outre, le riz, le gouvernement s’est glorifié d’une production record d’arachide de 1,4 million de tonnes en 2017-2018. Ce qui ne correspond pas à la réalité, selon l’ancien Premier ministre devenu opposant. Néanmoins, les Sénégalais peuvent être indulgents et comprendre que l’agriculture sénégalaise dépend des caprices de la pluie. Par contre, les citoyens risquent de sanctionner les «statistiques mensongères». En effet, Abdoul Mbaye accuse le gouvernement de traficoter les chiffres de l’économie nationale avec la complicité de la direction de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd). Le leader de l’Act cite la production d’arachide qui a été annoncée de 1,4 million de tonnes en 2017-2018. D’après lui, cela correspond à un record absolu jamais atteint par le Sénégal. «Mensonge, car il équivaudrait à une croissance de 40 % en une seule année (…) Mensonge révélé par des incohérences, car la capacité théorique des huileries atteint à peine 500 000 tonnes (sans doute moins de 350 000 tonnes en réel), parce que les achats effectués par les huileries ne dépassent pas 250 000 tonnes, les crédits nécessaires pour commercialiser ce record de production à 210 francs est de 200 milliards minimum contre moins de 40 milliards mis en place, et parce que les exportations n’atteignent pas 300 000 tonnes», explique Abdoul Mbaye. Puis il ajoute : «Le mensonge sur l’autosuffisance en riz en fin 2017 a été entretenu jusqu’en juin 2017 par des déclarations incroyables du même ministre, qui a du reconnaître face au maintien des importations à leur niveau antérieur que cela ne serait finalement pas possible».
Au plan politique, le président Macky Sall doit faire face également à l’impopularité grandissante de ses responsables locaux qui ne parviennent pas à mobiliser les foules pour son compte. A preuve, il est venu deux fois à Pikine et à chaque fois ses relais n’arrivent pas à remplir la moitié du stade. Le dimanche 1e avril, lors du lancement de la Semaine nationale de la jeunesse, lui et son gouvernement ont été accueillis dans un petit stade de 2 000 places à moitié vide. En octobre dernier, le ministre Moustapha Diop, comme pour laver l’affront de cette faible mobilisation, a lancé son mouvement à Pikine. Seulement, la quasi-totalité des militants étaient convoyés par de nombreux cars «Ndiaga Ndiaye», selon des responsables apéristes locaux. A les en croire, ceux qui étaient au stade Alassane Djibo n’habitent pas Pikine. L’autre adversité et qui n’est pas à négliger que le candidat sortant doit affronter c’est la perception que les Sénégalais se font de la justice. Last but not least, le chômage endémique qu’il n’arrive pas à juguler, malgré des milliards investis dans les grands travaux. Cependant, Macky Sall peut se consoler d’avoir une avance sur ses concurrents avec un fichier électoral qu’il maitrise parfaitement et qui est inaccessible à l’opposition. D’ailleurs, le candidat Samuel Sarr ne cesse de dénoncer l’existence de trois fichiers pour ce scrutin.
Charles Gaïky DIENE