Contribution
«Le sens et l’esprit de l’Etat reposent dans le droit, la justice, la morale et l’éthique.» (Marcus CICERON)
Le président de la République exerce les plus hautes fonctions et assume les plus lourdes responsabilités auxquelles un citoyen puisse prétendre dans un pays comme le nôtre. Cet honneur revient à Macky Sall qui a été élu président de la République en 2012 par 65 % des Sénégalais qui avaient, à l’époque, ajouté une foi incommensurable à son discours. Un discours qui prônait un programme pensé et réfléchi à la suite de moult tournées dans toutes les contrées du Sénégal. C’est ainsi qu’a été élaboré le «Yonu Yokuté» censé incarner une rupture paradigmatique dans la gestion des affaires publiques, notamment à travers une gouvernance sobre et vertueuse. Et l’essentiel des propos du candidat Macky Sall se résumait à dire, voire à seriner que la priorité de son magistère se situerait au niveau des principes axiologiques, des valeurs sociétales et républicaines et que tous ses actes et actions seront sous-tendus par la morale et l’éthique. Les infrastructures étaient reléguées au rang d’infra- priorités ; le mental passerait avant le métal. Ne disait-il pas «la gouvernance ne se réduit pas à construire des infrastructures ; une gouvernance c’est aussi des valeurs morales, des principes et de l’éthique».
Le diagnostic était bon et correspondait effectivement et parfaitement à un constat général. Le pays vivait une véritable et profonde crise des valeurs. Les ordres social et institutionnel suivaient dangereusement des logiques incohérentes et déstabilisatrices et prenaient une dérive suicidaire qui mettait en péril l’harmonie et la cohésion sociales. Il y avait de la part des Sénégalais une véritable soif de justice, d’égalité et d’équité devant une arrogance injustifiée et une morgue inexplicable de la part d’arrivistes et de parvenus qui ont réussi la prouesse d’usurper toutes les fonctions sociales. Et, c’est parce que le candidat Macky Sall avait promis un redressement moral et une moralisation de la vie et des charges politiques qu’une majorité très confortable de Sénégalais lui avait accordé ses suffrages avec le grand espoir de trouver en lui un jeune président qui n’aura d’autres soucis et préoccupations majeures que de remettre à l’endroit le fonctionnement de l’Etat et de promouvoir les valeurs cardinales qui ont, de tout temps, régi nos réalités sociales. Ne disait-il pas : «Le rétablissement de l’Etat de droit sera ma priorité dans la conduite des affaires du pays» ; un Etat de droit adossé sur les socles de la justice, du droit, de l’équité et de l’égalité de tous les citoyens
Il faut le dire tout de go sans ambages ni précaution oratoire, la déception a été immense proportionnellement à l’espoir, à la limite démesurée, qu’avait suscité l’accession du candidat Macky Sall à la magistrature suprême de notre pays, à l’époque, sevré de démocratie et d’orthodoxie. Certains ont été désagréablement surpris, voire ébahis de l’entendre évoquer un deuxième mandat alors qu’il n’avait pas encore effectué six mois de magistère. Aussi avaient-ils très tôt compris qu’il ne sera pas l’homme de la situation et qu’il y a manifestement tromperie sur la marchandise. L’homme paraissait ce qu’il n’était pas et était réellement ce qu’il ne paraissait pas.
Notre président de la République, parmi ses engagements phares, avait déclaré qu’il ne protégera personne. Soit dit en passant, pour davantage emporter l’adhésion de ses compatriotes, il avait tenu à faire la nuance entre engagement et promesse et ceci, pour simplement faire croire qu’il était un homme de parole, ce qui aujourd’hui est très loin d’être le cas. Et, pour faire bonne mesure, il a tenu à préciser, s’adressant à ses militants, partisans et sympathisants, que la Crei est destinée aux responsables du régime déchu et que l’Ofnac a été mis en place pour les responsables présentement aux affaires. C’est à ce niveau de gestion des affaires de l’Etat que le président de la République a lamentablement échoué et que son laxisme a été mis à nu et à rude épreuve. Il fallait être d’une très grande lucidité et doté d’une profonde intelligence ainsi que d’une capacité d’analyse avérée et soutenue pour comprendre et détecter, dès l’entame de son magistère, que ses propos n’étaient que du vent, ceux d’un véritable marchand d’illusions.
Monsieur le Président de la République a remis au goût du jour la Crei uniquement pour se débarrasser d’un concurrent potentiellement dangereux, en l’occurrence Karim Meissa Wade, qui a fini par être exilé au Qatar. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il a trainé et voué aux gémonies son ancien ami et allié le maire de la capitale, Khalifa Sall, sous le prétexte plus que fallacieux et filandreux d’une mauvaise gestion de la caisse d’avance dont certains éminents membres de son parti ont eu à bénéficier alors qu’ils traversaient de terribles moments d’impécuniosité, je pourrais même dire d’aridité financière. On peut allégrement citer des noms et les montants remis. Et, à l’issue d’un procès dont le caractère politique n’a échappé à personne, Khalifa Sall a été condamné. Alors que ses recours sont en cours, le chef de l’Etat a précipitamment pris un décret le révoquant de ses fonctions de maire.
Combien de responsables proches du président de la République ont été pris en flagrant délit de vols, de détournements de deniers publics et de dissipation des ressources de l’Etat par les corps de contrôle, avec une description exhaustive de leurs procédés dolosifs ? Les produits de leurs rapines ont été utilisés à des fins d’enrichissements personnels et pour financer des activités politiques partisanes. Aucun de ces délinquants financiers, du reste impavides, n’a été interpellé, encore moins inquiété par la justice qui a été d’une promptitude effarante dans le cas de Khalifa Sall. Ces bandits de grands chemins ne seront jamais inquiétés ; au contraire, ils sont présentement adulés, adoubés et chouchoutés. Le président de la République a lui-même avoué, sans aucune gêne, qu’il a mis le coude sur de nombreux dossiers.
Nous sommes un peuple de croyants et à majorité musulmane, jamais il ne nous viendra à l’esprit de souhaiter avoir à la tête de l’Etat un président musulman qui lève le coude ; encore que certains collaborateurs du président sont de véritables disciples de Bacchus alors que d’autres s’avèrent des fornicateurs invétérés. Notre soif d’équité, d’égalité, d’impartialité et de justice nous exhorte à exiger de son excellence Macky Sall, parce qu’agissant au nom du peuple, qu’il lève le coude sur le dossier du Coud, qu’il poste le dossier de la Poste au niveau de la justice et enfin qu’il porte celui du Port chez le procureur. Nous demandons au PR (Président de la République) de bien vouloir transmettre tous les dossiers en sa possession au PR (Procureur de la République).
Il y a d’autres dossiers beaucoup plus graves sur lesquels nous reviendrons ultérieurement pour satisfaire une exigence fondamentale en démocratie, le droit à l’information des citoyens pour qu’ils opèrent leurs choix en toute connaissance de cause. Ils ne doivent rien ignorer des qualités professionnelles et morales ainsi que des défauts, vices et tares des personnes qui aspirent à les diriger.
Comme je n’ai eu de cesse de le dire, aucun des grands bandits financiers ne sera jugé ; pour la bonne et simple raison que le parti au pouvoir, et en premier son chef, ne compte que sur eux pour gagner la prochaine élection présidentielle. La situation est très grave, voire catastrophique. Aujourd’hui, les Sénégalais sont obligés d’observer impuissants et d’assister interloqués leur président de la République s’accommoder de la compagnie, de la fréquentation d’individus réputés voleurs, détourneurs de deniers publics, de prévaricateurs et de faussaires. Et tout ceci parce qu’il faut impérativement un deuxième mandat. Ne dit-on pas que qui s’assemblent se ressemblent et que qui se ressemblent s’assemblent ? C’est plus que triste et désolant. Je dirais même que c’est tragique de voir notre beau pays, jadis vanté pour la qualité de sa démocratie et sa stabilité, s’engouffrer dans une telle déchéance morale du fait et par la faute d’un homme dont pourtant Souleymane Jules Diop nous avait dressé le profil en disant de lui qu’il était «un incapable, n’ayant aucune épaisseur intellectuelle, aucune compétence et ne pouvant aspirer, au mieux des cas, qu’à être un petit chef de service». Il nous avait aussi avertis en affirmant qu’élire Macky Sall, c’est porter au pouvoir Marième Faye Sall ; l’histoire semble lui donner raison.
Notre cher président n’a présentement d’autre objectif et n’envisage aucune autre perspective que de se réinstaller au Palais de la République et ce, nolens, volens, prêt à user de tous les moyens à sa disposition ; peu importe pour lui les tragédies et autres drames dont son peuple pourrait éventuellement souffrir. Ce vaillant peuple, il ne faut surtout qu’il l’oublie, a versé son sang et sacrifié plus d’une dizaine de ses enfants pour son avènement à la magistrature suprême. Il faut qu’il comprenne que la dignité des fonctions de président de la République exige de la classe, de la noblesse et surtout de la décence. Permettez-moi de persifler un peu pour dire qu’un gros président ne fait pas forcément un grand et bon président. Notre président n’en a ni la posture ni la carrure, encore moins la stature.
Il n’y a plus de retenue ni de décence dans l’utilisation de l’argent public comme moyen de conservation du pouvoir. Le palais de la République est devenu un Gab où l’argent coule à flot ; de l’argent du contribuable distribué au profit des militants du parti au pouvoir. Le ridicule et le comble, c’est qu’il arrive que le partage soit fait par le président de la République en personne. C’est indécent, insultant, dégradant et déshonorant. Le président pourrait s’inspirer de feu son ancien chef de protocole dont la nation toute entière a reconnu et loué la posture républicaine en toutes circonstances de temps et de lieux. Par certains de ses actes et comportements, quelquefois puériles et inappropriés, il a banalisé les fonctions de président de la République, desanctuarisé le palais, siège de la souveraineté populaire et désacralisé la parole du chef.
Il est fort regrettable de le constater, l’affaissement et la dépravation de nos mœurs ont fait de la corruption, de la concussion, de la cupidité, de l’escroquerie, de l’hypocrisie et du mensonge des valeurs positives. L’argent est en train d’exercer son pouvoir aliénant, addictif, corrupteur et corrosif dans toutes les sphères de la vie sociale. Personne n’y échappe, notamment certains chefs religieux qui ont fini de vendre leur âme au diable. Il est de notoriété publique que le soutien de certains chefs religieux, n’est pas spontané ; soit ils sont impliqués dans des affaires économiques louches et apocryphes, soit ils ont été pris en flagrant délit d’écarts aux mœurs très compromettants pour leur réputation.
Notre président de la République devrait être à même de comprendre l’embarras et la grande gêne de ces milliers de policiers, gendarmes, douaniers, éléments des eaux et forêt et du service d’hygiène qui doivent légitimement se poser beaucoup de questions. En effet combien de nuits blanches, combien de temps passé à traquer, à interpeller, à arrêter des délinquants et des malfaiteurs ; et ce, souvent au risque de leur vie. Ils ne font et ne feront que leur travail ; et rien ne pourra les détourner de leurs missions, parce que tout simplement ce sont des hommes de devoir. Malheureusement, il leur arrivera souvent, pour ne pas dire tous les jours de constater que les vrais délinquants, les vrais fossoyeurs de notre économie, les vrais bandits de la république qui, de par leurs prédations privent des milliers de Sénégalais pauvres et démunis de leurs droits sociaux et économiques, sont non seulement identifiés, mais bénéficient de la haute protection du chef. Ces bandits de grands chemins qui se savent protégés, font quelquefois montre d’arrogance en narguant policiers et gendarmes. Il arrive souvent, pendant les moments d’affaissement psychologique, que policiers, gendarmes et douaniers se demandent à quoi bon se casser la tête ou risquer sa vie. Mais jamais ils n’abdiqueront.
Monsieur le Président de la République avait en son temps décrié, avec indignation, la pratique malsaine et abjecte de la transhumance qu’il qualifiait de cancer de la vie politique. C’est effarant, aujourd’hui, que ce soit lui en personne qui l’encourage et s’en fait le chantre et le héraut, reniant ainsi toutes ses convictions antérieures. Et publiquement, sans la moindre pudeur qu’exigent ses éminentes fonctions, il incite les hommes politiques, notamment ceux dépourvus de dignité et d’honneur, à s’y adonner. Les transhumants sont des créatures immondes, des êtres immoraux et amoraux, détestables et exécrables qui ne peuvent et doivent susciter que dégout et mépris, parce que n’ayant aucune once de dignité sociale ni de reconnaissance humaine. Ils ne sont rien de moins que des prostitués qui baissent la culotte ou le pagne avec une légèreté déconcertante. Qu’ils soient maudits ! Quant à ceux qui provoquent et suscitent leur trahison et qui les accueillent à bras ouverts et en grande pompe, ils n’ont qu’une dignité bassement égale à celle des renégats qu’ils reçoivent. Tous des vermines de la pire espèce.
Le roi Chaka Zoulou disait que l’homme est un animal à deux têtes ; l’une le tend vers la grandeur, la dignité, l’honneur, la fierté et l’amour de son peuple ; l’autre le pousse vers la luxure, la vie facile, le plaisir et l’égoïsme. Ces deux têtes sont en perpétuel conflit et la victoire de l’une sur l’autre déterminera la personnalité de l’individu. Après analyse, il me semble que chez les dirigeants de l’actuel régime, la luxure, le plaisir et l’égoïsme ont pris le dessus. Et pour perpétuer le mode de gouvernance qu’ils ont imposé aux Sénégalais, le président et ses affidés sont prêts à tout. «Quand un homme d’Etat perd l’exemplarité et le charisme, c’est dans la vulgarité et dans la brutalité qu’il trouve son confort.» (A. Kitane). Tel est le crédo comportemental adopté par l’actuel locataire de l’Avenue L.S.S et qui, malheureusement, sera source de convulsions, de remous et de soubresauts dans notre pays. Il y aura toujours des fils dignes et des hommes intègres pour défendre les intérêts supérieurs du peuple, ne serait-ce qu’en se faisant l’écho de sa souffrance.
Le président de la République doit savoir qu’il occupe le palais par la seule volonté du peuple souverain dont le choix a été guidé par Allah Le Tout-Puissant. Ses illustres et suprêmes fonctions, d’une insigne majesté, d’une grande noblesse d’une solennelle dignité, lui interdisent moralement et constitutionnellement de protéger des délinquants financiers avérés ou présumés. Ses actes ne doivent laisser subsister aucun doute, aucune suspicion quant à sa réelle et sincère volonté de respecter rigoureusement les dispositions de la charte fondamentale de la République, qu’est la Constitution.
Mais hélas ! Que de reniements, que de renoncements, que d’abjurations en un si court laps de temps et au cours d’un seul mandat. «Un chef qui fait trembler est comme une grosse pierre qui barre une piste. Les voyageurs l’évitent, la contournent, puis un jour ils s’aperçoivent que le chemin serait moins long s’il n’y avait pas la pierre, alors ils viennent en grand nombre et la déplacent. La force ne crée pas un chef, mais un adversaire à abattre.» (Le père Djigui dans «Sous l’orage» de Seydou Badian).
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police
de classe exceptionnelle à la retraite.
Ancien Directeur général adjoint
de la police nationale